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Après la mort de Napoléon le 5 mai 1821, un culte laïc se développe, propagé par les témoignages des hommes et des femmes qui l’ont accompagné à Sainte-Hélène. Une iconographie, vectrice d’une mythologie qui compare Napoléon à Prométhée, se diffuse également. Ce culte napoléonien exulte avec le Retour des Cendres de Napoléon en décembre 1840. Après 20 ans de demandes réitérées par les proches de l’Empereur, le roi Louis-Philippe, sous l’impulsion d’Adolphe Thiers, sollicite l’autorisation des Anglais d’aller chercher le corps de Napoléon à Sainte-Hélène afin de l’inhumer en France, à Paris. Le 7 juillet 1840, la Belle Poule et la Favorite quittent la rade de Toulon avec à leur bord plusieurs anciens compagnons de la captivité : les généraux d’Empire Bertrand et Gourgaud, le valet de chambre Marchand, le second valet de chambre et bibliothécaire Saint-Denis, dit le mamelouk Ali, ainsi qu’Emmanuel de Las Cases, le fils du secrétaire de Napoléon auteur du Mémorial de Sainte-Hélène. À Sainte-Hélène, le corps de Napoléon est exhumé le 15 octobre, 25 ans jour pour jour après l’arrivée du Northumberland à Jamestown. Le 15 décembre suivant, un cortège composé de près d’un million de personnes traverse Paris pour accompagner l’Empereur jusqu’aux Invalides, où son corps repose depuis dans la crypte spécialement creusée pour accueillir le tombeau impérial dessiné par Louis Tullius Visconti. En avril 1821, l’Empereur avait exprimé alors dans son testament son souhait d’être enterré « sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé. »
Les membres du voyage-pèlerinage de 1840 et anciens compagnons de Napoléon ont tenu à rapporter différents souvenirs de Sainte-Hélène, et particulièrement de la Vallée du Géranium où reposait l’Empereur, en mémoire de son exhumation. Ce sont principalement des éléments végétaux, des cailloux, des morceaux de sarcophage, ou encore de l’eau de la source à laquelle buvait l’Empereur. Placés dans un cadre, un changement de statut s’opère : d’objets anodins, ils prennent une dimension presque sacrée.
Le reliquaire présenté ici fut constitué par Louis Marchand, premier valet de chambre de l’Empereur. Marchand avait été choisi par Bertrand pour remplacer Louis Constant Wairy, qui s’était enfui après la première abdication à Fontainebleau. Il suivit Napoléon lors de ses deux exils, à l’Île d’Elbe puis à Sainte-Hélène. Qualifié d’ami par l’Empereur dans son testament, il sera l’un de ses trois exécuteurs testamentaires.
Quatre des éléments de ce cadre reliquaire ont été collectés dans la Vallée du Géranium : deux morceaux de maçonnerie (un fragment de ciment romain qui recouvrait entièrement la dalle fermant le caveau, et un morceau de maçonnerie provenant du mur latéral qui jouxtait le tombeau et qui avait commencé à être démoli afin de pouvoir extraire le cercueil de l’Empereur), un morceau d’une branche du seul saule subsistant de ceux qui ombrageaient la tombe de Napoléon en 1821, et un morceau de cercueil d’acajou de l’Empereur, quatrième et dernier cercueil de l’inhumation de 1821. Rendu inutile par la présence de deux nouveaux cercueils venus de France, il devait être laissé à Sainte-Hélène mais chaque membre du voyage du Retour des Cendres en reçut un morceau. Ces quatre reliques sont accompagnées de notes manuscrites de la main de Marchand, attestant de leur origine. Dans la composition du cadre reliquaire, elles entourent une estampe intitulée « Napoléon Bonaparte Lieutenant-colonel, 1er B[ataill]on de la Corse en 1792 / Napoléon Ier Empereur des Français 1804 ». Diffusée en 1840 d’après le dessin de Léopold Massard et la gravure de Claude Dien, elle s’inspire d’une peinture réalisée en 1834 par Henri Félix Emmanuel Philippoteaux appartenant aux collections du château de Versailles.
De retour en France fin novembre 1840, Louis Marchand et les autres membres de l’expédition séjournent en rade de Cherbourg, où ils demeurent jusqu’au 8 décembre, date à laquelle les cendres de Napoléon sont transférées au Havre afin qu’elles réalisent leur ultime voyage sur la Seine vers Paris. Le 5 décembre, Louis Marchand confie les reliques qu’il rapporte de Sainte-Hélène au colonel Joly. Il se peut qu’il s’agisse d’Alfred Jean Louis de Joly, qui avait servi l’Empereur lors des batailles de Dresde, Leipzig ou encore Waterloo, et avait été promu colonel en 1833. C’est probablement lui qui réalise la composition de ce cadre reliquaire. Le colonel Joly ainsi que sa famille le conserveront précieusement, ainsi aujourd’hui encore les reliques sont présentées dans leur cadre d’origine.
C’est au cours de la « Croisière Impériale » à bord du paquebot France, organisée au printemps 1969 pour le bicentenaire de la naissance de Napoléon, que l’entrepreneur et collectionneur Martial Lapeyre achète ce reliquaire. Ce voyage fait plusieurs escales en Corse, à l’Ile d’Elbe mais aussi sur l’Ile de Sainte-Hélène. Pendant le trajet retour, le 23 avril, une vente aux enchères en duplex depuis Paris est organisée. Parmi les lots présentés, Martial Lapeyre acquiert le numéro 98, décrit comme étant d’ « importantes reliques de Sainte-Hélène, rapportées et données par Marchand ». Elles entrèrent dans les collections de la Fondation Napoléon en 1987.
Elodie Lefort, octobre 2015