Ce portrait de Jérôme Bonaparte (1784-1860), frère cadet de Napoléon Ier, illustre une scène de sa vie de jeune adulte passée dans la marine française, entre 1800 et 1806 . Il a été peint par le prolifique artiste flamand François-Joseph Kinson (1771-1839) (ou Kinsoen avec l’orthographe flamande originale) qui devint par la suite le peintre officiel de Jérôme devenu roi de Westphalie. Kinson s’était installé à Paris à partir de 1799 après y avoir été exposé. Il se mit alors à travailler pour la cour de Napoléon ainsi que pour les riches et célèbres personnalités de l’époque.
Jérôme avait seulement trois mois lors de la mort de son père, et il semblerait qu’en raison de ce deuil précoce, sa mère, Letizia, fut moins sévère avec lui qu’elle ne l’avait été avec ses frères et sœurs aînés. Napoléon, de quinze ans son aîné, allait devenir un quasi-père pour le plus jeune Bonaparte. C’est dans cette fonction paternelle qu’il décida de l’éducation de son frère. Lorsque le turbulent Jérôme eut 15 ans, et après un duel avec Louis-Alexandre Davout (frère du futur maréchal) probablement au sujet d’une femme, Napoléon décida de faire entrer son frère dans la marine. Était-ce une sanction pour son comportement ? Une stratégie pour l’éloigner du style de vie hédoniste de la capitale française ? Ou tout simplement le lancer dans une carrière où il pourrait connaître le succès, n’ayant pas de vocation professionnelle particulière ? Rien ne permet de trancher mais il est certain que le frère cadet du Premier Consul connut un rapide avancement, grâce à ses relations familiales sans doute plus que grâce à un talent exceptionnel ou un travail acharné. À la fin de 1802, il était aux commandes du brick L‘Épervier qui se dirigea vers les Caraïbes et, peu après, le 25 Nivôse an XI (15 janvier 1803), il fut promu lieutenant de vaisseau par le Premier Consul.
Bien que cette peinture ne soit pas datée, les détails qu’elle comporte ainsi que la chronologie de la vie de Jérôme suggèrent que cette représentation de Jérôme a été peinte quand, alors jeune capitaine de frégate (depuis le 21 mai 1805), il entreprit deux missions consécutives entre son retour en Europe en avril 1805 et la fin de l’année suivante. Jérôme est en effet vêtu de l’uniforme d’un capitaine de frégate (mais avec des anomalies curieuses détaillées ci-dessous), debout sur le pont d’un navire de guerre, comme l’atteste la présence de canons et de boulets de canon. En juillet 1805, Jérôme fut envoyé à Alger par Napoléon : en charge du navire de guerre La Pomone et de la division navale génoise, Jérôme devait libérer les prisonniers génois, italiens et français qui y étaient détenus. À la fin de la même année, l’amiral Willaumez l’envoya au commandement du Vétéran équipé de 74 canons qui menait campagne dans l’Atlantique. Jérôme fut promu au rang de capitaine de vaisseau le 1er novembre 1805, puis de contre-amiral le 18 septembre 1806. Ces faits tendent à prouver que le Jérôme ici représenté est celui de la période située entre mai 1806 et septembre 1806. La présence de la Grande Plaque de la Légion d’honneur (que Napoléon donna à Jérôme le 12 septembre 1806) pourrait suggérer une date finale du travail de l’artiste. Cependant, une date antérieure reste plus probable : son uniforme permet de le distinguer comme officier général mais ne correspond pas à celui d’un capitaine de vaisseau, uniforme qui a été réglementé par un décret du 7 Prairial An XII (28 mai 1804) de manière détaillée. Ce même décret prévoit en revanche la plaque en métal doré que porte Jérôme, en tant qu’officier général, de même que son col noir. En revanche, la Grande Plaque pourrait avoir été facilement ajoutée en cours d’exécution et après le 12 septembre 1806.
Il est très probable que Kinson a composé cette peinture d’après d’autres représentations de Jérôme ou peut-être des croquis. Le décor est a priori le produit de l’imagination de l’artiste : rien ne permet de l’identifier comme faisant partie d’un navire particulier. Le porte-voix que Jérôme tient dans sa main droite devrait normalement être frappé du nom du navire mais on n’y distingue clairement que les lettres J et B, sans parvenir à identifier le nom du bateau auquel elle appartient. L’uniforme comprend divers éléments de fantaisie : les bottes doublées de fourrure et le sabre qui, avec ses décorations de coquillages et ses incrustations de nacre, ressemble plus à une arme de cérémonie qu’à une véritable épée de capitaine de marine. La représentation de Kinson est donc plus symbolique que réaliste.
L’ascension extraordinaire de Jérôme devait se poursuivre à la fin de 1806 : il quitta la marine pour rejoindre la Grande Armée, devenant bientôt général de division (équivalent à la plus haute classe navale du grade de vice-amiral). Il atteignit finalement le sommet de sa carrière en 1807 avec le titre de « roi de Westphalie ». Kinson allait peindre Jérôme plusieurs fois par la suite, notamment en habit de roi de Westphalie, ou avec sa deuxième femme Catherine de Wurtemberg, choisie pour lui par Napoléon, devant le palais royal de Westphalie de Napoléonshöhe.
Après la chute de l’Empire, Kinson poursuivit une carrière prospère en tant que peintre de la cour de France jusqu’en 1830.
Ce portrait de Jérôme rappelant sa carrière navale fut la propriété de sa mère Letizia (portrait par Kinson) jusqu’à sa mort en 1836. Il entra alors dans la collection du cardinal Fesch et est hébergé aujourd’hui par la mairie d’Ajaccio en Corse.
Rebecca Young, juin 2017 (Mise à jour avec l’aimable concours de M. Le Carvèze en juillet 2017)
Pour aller plus loin : un article de Patrick Le Carvèse sur Jérôme Bonaparte, officier de Marine dans Napoléonica. La Revue