Les relations entre Napoléon Bonaparte et Jacques-Louis David ont été tumultueuses mais on retient surtout aujourd’hui les images que le second a donné du premier et qui ont tant servi sa cause de général, de Premier Consul, puis d’Empereur pendant une quinzaine d’années. Après l’échec d’un premier portrait monumental qui devait commémorer le traité de Campoformio (18 octobre 1797), et dont subsiste le fameux tableau, inachevé, du musée du Louvre (anc. coll. Beistégui), David élabora ce nouveau portrait. Il lui fut commandé par l’ambassadeur d’Espagne à Paris pour son maître, le roi Charles IV, qui voulait placer dans le salon « des grands capitaines » du Palais royal de Madrid une effigie du nouveau héros de l’Europe. Le fait, qui n’est pas bien documenté, intervint peut-être même avant les événements représentés, à la fin de 1799 ou au début de 1800, mais le tableau fut réalisé entre septembre 1800 et janvier 1801.
Il commémore le passage victorieux, au mois de mai 1800, du col du Grand-Saint-Bernard par l’armée de réserve sous la direction du Premier Consul, première étape de sa triomphale reconquête de l’Italie. Avec une grande audace, Bonaparte joua la surprise en franchissant un col réputé peu praticable au printemps. Il renouait avec l’exploit des grands capitaines du passé, dont les noms sont inscrits dans la roche aux pieds du cheval, Hannibal, passant les Alpes avec ses éléphants en 218 lors de la Deuxième Guerre punique, et Charlemagne, à son tour, en 773, dans sa lutte contre les Lombards. Si l’on croit la tradition, il voulait être représenté « calme sur un cheval fougueux », bien qu’il eût franchi le col sur une mule. Le Premier Consul n’a d’ailleurs pas posé pour le tableau : David travailla en atelier, avec des mannequins ; pour la tenue, selon l’usage, il prit modèle sur un habit prêté par le Premier Consul, celui qu’il portait à la bataille de Marengo.
La première version espagnole de la composition, plus tard saisie à Madrid par Joseph Bonaparte et léguée par ses descendants au musée du château de Malmaison en 1949, fut sans doute immédiatement suivie par plusieurs répétitions, toutes destinées à des bâtiments en vue : la première au château de Saint-Cloud (1802), résidence consulaire, où elle fut saisie par Blücher en 1815, emportée triomphalement à Berlin et remise au roi de Prusse, avant d’être placée au musée en 1816 (aujourd’hui au château de Charlottenburg) ; la deuxième à l’Hôtel des Invalides (décembre 1802), remise en 1816 aux musées royaux, d’où elle fut envoyée à Versailles sous Louis- Philippe ; la suivante au palais de la République italienne à Milan (printemps 1803), d’où elle fut transportée à Vienne en 1834 avant d’y entrer au musée (Kunsthistorisches Museum, présentée au Belvédère). Un dernier exemplaire, probablement peint au début de 1803, dont on ne connaît pas la destination, resta dans l’atelier de David et fut donné par sa fille aux neveux de l’Empereur, puis acquis par l’État français auprès du prince Napoléon en 1979 et déposé à Versailles.
Les célébrations du bicentenaire de l’épopée napoléonienne, depuis une quinzaine d’années, ont confirmé le statut d’icône absolue de la composition de David, archétype de la représentation du héros de la Révolution, probablement le portrait de Napoléon le plus célèbre à travers le monde.
Frédéric Lacaille
Conservateur en charge des peintures du XIXe siècle au Château de Versailles
Février 2013
L’affiche de l’exposition « Napoléon Ier et l’Europe » (musée de l’Armée, 2013) reprend ce célèbre portrait du Premier Consul dans un montage expliqué sur le site du Musée de l’Armée.
Pour lire une étude des différentes versions du tableau (site histoire-empire.org)