Peintre pré-impressionniste et illustrateur reconnu d’œuvres de Jules Verne ou Alexandre Dumas, collaborateur de l’hebdomadaire Le Tour du Monde, Édouard Riou (1833-1900) a réalisé en 1870, à la demande de Ferdinand de Lesseps, un album souvenir du voyage organisé pour l’inauguration du canal de Suez en novembre 1869. Destiné à l’Impératrice, ce Voyage pittoresque à travers l’isthme de Suez rassemblait une série de 25 aquarelles accompagnées de textes de Marius Fontane (1838-1914), historien orientaliste, journaliste et secrétaire de Ferdinand de Lesseps.
Plus tard, en 1896, Édouard Riou choisit une toile monumentale pour célébrer l’événement international que fut le percement du canal de Suez. Comme dans un rêve oriental, un ciel bleu magnifique domine trois tribunes accueillant les personnalités, pour la cérémonie religieuse de l’inauguration du canal ce 16 novembre. Tandis qu’au premier plan la population égyptienne se masse pour assister aux cérémonies, en arrière-plan de cette scène comme sortie de nulle part, un front de navires prêts à s’élancer annonce le bouleversement des relations économiques et diplomatiques induit par le canal de Suez. Le lendemain 17 novembre, L’Aigle en tête du cortège entrera dans le canal.
Véritable aventure humaine et technique, le percement du canal de Suez (1859-1869), réunissant la mer Rouge et la Méditerranée, a été l’œuvre d’un homme, le diplomate Ferdinand de Lesseps (1805-1894). Lesseps connaît bien l’Égypte, où il occupa différents postes diplomatiques de 1828 à 1837, et fut chargé par le vice-roi Méhemet-Ali de parfaire l’éducation de son fils Saïd. Cousin germain de la mère de l’Impératrice Eugénie, Lesseps est également proche du couple impérial.
L’arrivée au pouvoir de son ancien élève, le vice-roi Saïd, en 1854, relance l’intérêt de Lesseps pour le projet du percement du canal de Suez. Un firman du 30 novembre 1854 lui accorde l’autorisation de monter une société pour le percement et l’exploitation (pendant 99 ans à compter de la mise en service) du canal, en attendant l’accord final du sultan turc, suzerain du vice-roi égyptien. Un second texte, signé le 5 janvier 1856, définit le canal comme voie d’eau neutralisée, et l’ouvre à tous les navires marchands sans distinction de nationalité, moyennant paiement d’un droit de transit. En décembre 1858, la Compagnie Universelle du canal est définitivement constituée, et la souscription aux actions remporte un grand succès en Europe. Mais l’Angleterre, redoutant le développement d’une influence française en Égypte susceptible de gêner ses intérêts en Inde, est loin de soutenir le projet et lance une campagne contre Lesseps.
Malgré tout, le premier coup de pioche ouvrant les travaux du canal est donné près de Péluse, le lundi de Pâques 25 avril 1859. Ismaël, successeur de Saïd décédé en 1863, remet en cause les accords précédents avec Lesseps, mais la médiation de Napoléon III apaise les tensions. L’accord du 6 juillet 1864 consent une compensation 84 millions de franc-or et une cession de 10 864 hectares pour la Compagnie universelle du canal, et la détention du canal d’eau douce alimentant les chantiers pour l’Égypte. Le 19 mars 1866, un firman du sultan Abd-ul-Aziz ratifie cet accord.
Les tensions diplomatiques apaisées, le chantier peut reprendre. Le 15 août 1869, les eaux de la Méditerranée se mêlent aux eaux de la Mer rouge dans les lacs Amer. Le canal maritime a 164 kilomètres de longueur, de Suez à Port-Saïd, situé un peu à l’ouest de Péluse, 54 mètres de largeur, 8 mètres de profondeur. Trois villes ont été fondées (Suez, Ismaïlia, Port-Saïd) et deux ports aménagés (Suez et Port-Saïd).
L’inauguration du canal par l’Impératrice Eugénie confirme les bonnes relations franco-égyptiennes, mais Napoléon III doit aussi ménager ses liens avec la Sublime Porte, qui s’agace de plus en plus des velléités d’autonomie de son vice-roi d’Égypte, dont le canal de Suez en est le symbole. Les tensions temporisées le temps des cérémonies, l’Impératrice Eugénie est donc d’abord reçue à Constantinople par le sultan Abd-ul-Aziz, puis débarque à Alexandrie le 22 octobre 1869. Elle arrive le 16 novembre à Port-Saïd, où se déroulent les premières cérémonies, religieuses, d’inauguration. Le lendemain, alors que tonnent les canons, le yacht impérial L’Aigle s’engage le premier dans le canal, suivi d’un imposant cortège d’une quarantaine de navires transportant le vice-roi, l’Empereur d’Autriche, le prince royal de Prusse, les princes des Pays-Bas et de Hanovre, les ambassadeurs d’Angleterre et de Russie. Le soir, on jette l’ancre devant Ismaïlia sur le lac Timsah.
Irène Delage
Novembre 2013
Retrouvez notre Hors Série consacré au percement du canal de Suez.