Un décret du 3 mars 1806 ordonna la commande de 18 tableaux destinés à commémorer les hauts faits de l’épopée napoléonienne. Tous étaient destinés à la galerie de Diane aux Tuileries et leur achèvement fermement exigé pour le Salon de 1808. La campagne victorieuse de 1805, et plus particulièrement la bataille d’Austerlitz, constituait la majeure partie des sujets de cette liste. Gautherot fut chargé de représenter l’Empereur haranguant le 2e corps d’armée à Augsbourg ; Hennequin, l’armée autrichienne vaincue après Ulm ; Taunay, l’entrée à Munich ; Girodet, l’entrée à Vienne ; Lejeune et Bacler d’Albe, les bivouacs à la veille de la bataille et Gérard, le général Rapp présentant les drapeaux pris à l’ennemi à Austerlitz. Quant à Gros, c’est l’entrevue de François II d’Autriche et de Napoléon après la bataille qui lui échut. Le tableau, inachevé en 1808, ne fut présenté qu’au Salon de 1812 mais le peintre n’en fut pas blâmé pour autant ; il avait reçu entre temps la commande de la bataille d’Eylau qui fut pour lui l’occasion de réaliser l’un de ses chefs-d’œuvre.
Le surlendemain d’Austerlitz, le 4 décembre 1805, la rencontre de François II d’Autriche et de Napoléon fut organisée à Sarutschitz, en Moravie, au lieu-dit du Moulin brûlé, site qui porte aujourd’hui une plaque commémorative rappelant cet « entretien paisible de deux heures [qui termina] la guerre sanglante qu’ils menaient ». Gros semble plutôt fidèle à la scène : l’entrevue se passe à proximité d’une route, dans un lieu d’une grande simplicité. Seuls un feu et un tronc d’arbre permettant de s’asseoir adoucissent un peu les conditions de cette rencontre historique où Napoléon accueillit François II par ces mots : « Je vous reçois dans le seul palais que j’habite depuis deux mois ». S’éloignant de leur escorte respective, les deux souverains restèrent debout, la conversation se faisant par l’intermédiaire du feld-maréchal Johann von Lichtenstein.
On se souvient de l’importance du geste chez Gros, la main salvatrice qui touche un malade dans les Pestiférés de Jaffa, le main compatissante sur le champ de bataille d’Eylau. Ici encore, c’est la main tendue de Napoléon qui retient l’attention, ce geste conciliateur placé dans la lumière, alors que le visage et la silhouette sont un peu masqués par la fumée du feu brûlant derrière le groupe. Mais dans ce paysage d’hiver, le talent de Gros ne s’exprime que par bribes, notamment le cheval à droite. La composition générale reste maladroite et ne porte pas le souffle épique des grandes œuvres de l’artiste.
Karine Huguenaud, novembre 2005