Bonapartiste, profondément patriote, Horace Vernet évoqua l’épopée napoléonienne dans de nombreuses oeuvres, dont beaucoup avaient Napoléon comme personnage central, mais pas seulement. Ici il tint à célébrer, dans une représentation plus réaliste que romantique, la volonté et le courage qui animèrent le maréchal Moncey (1754-1842), personnalité militaire célèbre, mais aussi des Parisiens plus anonymes, pour la défense de leur cité lors de l’attaque des Alliés de la 6e coalition, en mars 1814. Cette toile s’inscrit dans une série de représentation de grandes batailles livrées par la « nation », telles que Bataille de Las Navas de Tolosa, le 16 juillet 1212 entre les Espagnols et les Maures (1817 ; conservé au musée du château de Versailles), La bataille de Jemmapes (1821 ; National Gallery, Londres), La bataille de Montmirail (1822 ; National Gallery, Londres), La bataille de Valmy (1826 ; National Gallery, Londres), La bataille du Hanau (National Gallery, Londres).
C’est l’orfèvre de Napoléon et de la cour impériale, Claude Odiot (1763-1850), qui commanda cette toile à Vernet, qui le représenta recevant un ordre du maréchal Moncey : Odiot, comme Horace Vernet, participèrent à ce combat. Présenté au salon de 1822, le tableau fut refusé, Horace Vernet étant alors proche du duc d’Orléans. Odiot fit don de cette toile à la Chambre des Pairs en 1835. Elle passa ensuite au musée du Luxembourg en 1837, puis au musée du Louvre en 1874.
En 1813, une 6e coalition s’était constituée contre l’Empire, réunissant l’Angleterre, l’Autriche, la Prusse, la Russie et la Suède, coalition qui remporta une victoire décisive à Leipzig le 19 octobre. En janvier 1814, tandis que les troupes coalisées s’avançaient « comme un torrent sur la capitale » (selon le mot de l’architecte Pierre-François Fontaine), Napoléon dût entamer une campagne sur le sol de France, afin de porter le conflit au nord-est de Paris. Malgré une série de victoires, les Alliés avançaient sur la capitale, une capitale bien mal protégée par une garnison de 20 000 hommes et une Garde nationale de 12 000, armés d’un peu plus de 10 000 fusils et à défaut, de piques.
Nommé le 11 janvier 1814 major-général, commandant en second de la garde nationale de Paris, Moncey avait été chargé de la défense de la capitale aux barrières. Le mur des fermiers généraux, souvent discontinu, n’apportait aucune sécurité défensive. De modestes travaux furent entrepris pour barricader les faubourgs extérieurs, combler avec des palissades les brèches du mur d’enceinte (que l’on aperçoit sur le tableau de Vernet), et protéger les portes avec des tambours en palanques avec créneaux. Les 27-28 mars, les Alliés prirent position à Pantin, Bondy et dans la plaine Saint-Denis, et lancèrent leur attaque le 30 mars au petit matin. Le maréchal Moncey porta notamment son action contre les troupes russes à la barrière de Clichy, à la tête d’un groupe hétéroclite constitué d’un peu plus de 1 000 hommes, volontaires, soldats invalides et élèves des Écoles polytechnique et vétérinaire. La perte des positions françaises, dans la matinée même, à Pantin, Belleville, Romainville et aux Buttes-Chaumont, entraîna la capitulation de Paris, signée par le maréchal Marmont dans la nuit du 30 au 31 mars. Le matin du 31 mars, à 12h, les Alliés faisaient leur entrée par la porte Saint-Martin.
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La situation exposée dans le tableau de Vernet est détaillée en plusieurs scènes traduisant le volontarisme des combattants dans une lutte pourtant vaine, mélange d’actions et d’accablement.
Le deuxième plan attire le regard en premier lieu. Au centre, sur un cheval en mouvement, le maréchal Moncey donne un ordre au colonel Odiot et tend le bras droit vers les hommes combattant à l’arrière. À la gauche du maréchal, des militaires se dressent devant le pavillon de la barrière de Clichy, prolongée par une palissade défensive en bois.
Au premier plan, légèrement décentrée sur la droite, dans un espace relativement dégagé concentrant le regard, une femme habillée de vêtements clairs est assise sur une petite malle, entourée de quelques objets de la vie courante qu’elle a pu emporter dans sa fuite. Serrant un jeune enfant contre son coeur, la tête penchée vers le bas, le regard perdu, elle symbolise le désespoir et l’issue négative des combats. A droite, proche de la femme, deux jeunes pupilles de la Garde sont assis, blessés, accentuant l’impression d’accablement dans cette partie de la scène. A gauche, en contrepoint, un lancier représenté de profil regarde Moncey vers sa droite alors que son corps est dirigé vers la gauche (vers des soldats blessés), distorsion qui accentue l’impression d’action.
Le troisième plan, dans des tonalités plus uniformes et sombres, met en scène les hommes qui se sont érigés contre l’envahisseur, perdus dans la fumée des échanges de tirs. À l’arrière-plan enfin, se profile le cabaret du père Lathuille, qui servit de quartier général au maréchal Moncey.
Grâce à une mise en scène précise et réaliste, mêlant courage et désespoir, Horace Vernet, tout en mettant en bonne place son commanditaire, rend hommage à travers Odiot à l’héroïsme et au patriotisme de volontaires engagés dans la défense de leur ville.
Irène Delage, le 11 janvier 2013