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Les toiles de Boudin sont de précieux témoignages de ce phénomène en vogue sous le Second Empire. Peintre de plein air, l’artiste saisit sur le vif des morceaux de vie, nous montrant une société en crinolines et redingotes qui se réunit sur le sable des plages normandes comme dans le plus mondain des salons parisiens. Seuls quelques curistes se risquent à prendre un bain ! Quelle distance entre nos plages actuelles surpeuplées de corps dénudés et celles du Second Empire fréquentées par des élégantes aux toilettes recherchées…
« Trois coups de pinceau d’après nature valent mieux que deux jours de travail au chevalet », déclare Boudin. À partir de simples croquis aquarellés, le peintre recompose en atelier les toiles qu’il présente aux Salons. Sur 11 tableaux exposés de 1864 à 1869, 9 représentent la plage ou la jetée de Trouville. La composition finale d’une grande simplicité, trois bandes horizontales – le sable, la mer, le ciel – conserve tout de même la spontanéité de l’esquisse et la fraîcheur de la peinture de plein air. Précurseur de l’Impressionnisme, Boudin excelle dans le rendu des variations atmosphériques, jouant à l’infini des mille nuances de la lumière, révélant la fragilité et la fugacité du moment.
Au milieu du XIXe siècle, les premiers costumes de baignade comment à apparaître mais restent encore très élaborés et peu adaptés à la pratique du bain et de la natation, témoignant des évolutions à venir dans ce domaine de la mode, qui n’est pas sans rappeler celle du quotidien. La robe de bain féminine de cette époque s’accompagne d’un petit corset serré qui entrave les mouvements. Les baignades se pratiquent donc habillés, avec des tenues couvrant la majeure partie du corps. La morale de l’époque exige en effet que le minimum de peau soit visible, restreignant ainsi les possibilités de profiter pleinement des bienfaits de la baignade.
Pour préserver leur intimité, les baigneurs, hommes et femmes, sont transportés directement dans la mer à l’aide de cabines montées sur des charrettes et tirées par des chevaux. C’est au sein de ces abris mobiles qu’ils peuvent se changer à l’abri des regards, avant de descendre les quelques marches pour s’immerger dans l’eau.
Avec son tableau Sur la plage de Trouville, Boudin reflète son intérêt passionné pour capturer les effets éphémères de la lumière et de l’atmosphère. Cette toile nous offre un témoignage très vivant de l’émergence d’une nouvelle culture balnéaire en France. On y voit l’aristocratie et la bourgeoisie se presser sur les plages, dans leur quête de divertissement et de distinction sociale. Au loin, on aperçoit d’autres cabines de bain, posées cette fois à même le sol. Les accessoires utilisés à la plage sont surtout des chaises, ici représentées en désordre, des ombrelles ou encore des seaux pour les enfants qui s’amusent à construire des châteaux de sable.
L’œuvre de Boudin incarne à la perfection l’esprit d’une époque en pleine mutation. Les codes sociaux se redéfinissent ainsi au rythme des nouvelles modes et des loisirs émergents. Au-delà de la simple représentation d’une scène de plage, cette toile nous plonge au cœur d’une société en transition, où les hiérarchies traditionnelles sont bousculées par l’avènement de nouvelles pratiques récréatives. Le peintre nous offre un regard à la fois pénétrant et bienveillant sur cette transformation, soulignant avec subtilité les nouvelles aspirations qui traversent alors la société française.
Karine Huguenaud (juillet 2002) – Claudia Bonnafoux (mai 2024)