Après la destruction des chambres du Parlement du vieux Londres dans un incendie en 1834, la nouvelle « mère des parlements » fut reconstruite et décorée dans les années 1850. Pour sa galerie royale, la commission des Beaux-Arts, dirigée par le prince consort Albert, décida d’un projet de dix-huit fresques monumentales illustrant l’histoire militaire britannique. L’une d’elle, La Réunion de Wellington et Blücher après la bataille de Waterloo, fut ainsi commandée en 1858 au peintre d’origine irlandaise Daniel Maclise.
Maclise était un candidat évident pour la commission. Connu pour son art des scènes romantiques, il était arrivé à Londres en 1827 pour entrer dans les écoles de la Royal Academy l’année suivante et y remporter de nombreux prix. En 1843, la reine Victoria offrit son Ondine à son mari Albert pour son anniversaire, et le prince consort lui-même commanda à Maclise une fresque pour le pavillon de jardin à Buckingham Palace.
Maclise travailla avec enthousiasme sur la commande de Waterloo. Après avoir étudié longuement le sujet, y compris en consultant des témoins oculaires, il commença par un dessin en dix panneaux à presque même échelle que le tableau (l’esquisse achetée en 1870 à la mort du peintre par la Royal Academy a été restaurée en 2015 et présentée durant l’exposition Waterloo 1815: The Art of Battle de la Royal Armouries de Leeds en Grande-Bretagne pour le bicentenaire de la bataille). Ce carton, qui lui permit de travailler dans son studio de Londres, fut plus tard exposé dans la Galerie royale où ses dix panneaux avaient été habilement réunis pour apparaître comme une oeuvre unique. Il fut accueilli avec grand enthousiasme par ses contemporains pour sa composition puissante et pour sa précision quasi obsessionnelle du détail.
La scène entière, de la fresque comme du carton, s’étend sur 14 mètres de large, sur plus de 3 mètres de hauteur. La composition se déroule précisément à 21h15 dans la soirée du 18 juin 1815. Les trois quarts inférieurs de la composition sont occupés par près d’une centaine d’hommes et une vingtaine de chevaux, représentés dans un espace très réduit. Au centre de la composition, le duc de Wellington sert la main de son allié prussien, le Generalfeldmarschall Gebhard Leberecht von Blücher, juste en face de l’enseigne d’une auberge, la bien nommée « à la Belle-Alliance ». Wellington monte son célèbre cheval Copenhagen ; immédiatement à sa droite sont représentés Hill, Somerset et Percy (l’aide-de-camp qui devait délivrer le message de la victoire de Wellington à Londres), mêlés aux gardiens de chevaux. Blücher est accompagné par Gneisenau, Nostitz, Bülow et Ziethen. La scène est dominée par les morts et les blessés, hommes comme chevaux, de tous les régiments, dans une tonalité tragique et non glorificatrice de la guerre.
Maclise rencontra des difficultés quand il voulut reproduire la composition sous forme de fresque dans la Galerie royale. La peinture sur plâtre humide, qui sèche rapidement, l’empêchait de faire un travail aussi détaillé qu’il le voulait. Le peinte était sur le point d’abandonner quand le Prince Albert le persuada de se rendre à Berlin pour apprendre une nouvelle technique appelée « peinture minérale », qui consiste à fixer les pigments sur une surface sèche de plâtre poreuse avec du silicate de potassium. Après avoir étudié la technique à Munich et à Dresde, Maclise revint à Londres pour finir le tableau en moins de deux ans.
Une des caractéristiques les plus remarquables de l’oeuvre est la position centrale des mots « Belle Alliance ». Il y avait eu « débat » en Grande-Bretagne concernant la véracité de la rencontre entre les deux généraux, Wellington ayant manifestement laissé planer le doute à ce sujet. Dans la décennie qui suivit la bataille, la Prusse avait lourdement insisté afin que la bataille fut appelée « de la Belle-Alliance » et non « de Waterloo », nom trop centré sur les quartiers de Wellington. La volonté de mettre en avant ce nom, qui avait la faveur de la Prusse, était sans doute un reflet du souhait de Victoria et d’Albert de cimenter les relations anglo-prussiennes par le mariage de leur fille Victoria (« Vicky ») au prince Frédéric, fils de Guillaume Ier devenu prince héritier de Prusse en 1861.
Cette « belle alliance », conclue dans un climat germanophile, s’expliquait aussi par le climat de méfiance en Grande-Bretagne vis-à-vis de Napoléon III et de son action en Italie. Palmerston exigeait à ce même moment la construction de forts dans la Manche contre une invasion française potentielle (en anglais). Cette alliance continentale et défensive avec la Prusse n’allait cependant pas rencontrer les fruits escomptés, face à la propre volonté d’expansion du conservateur Guillaume Ier et de son ministre-chancelier Bismarck qui préférèrent une alliance avec le Tsar, profitant en 1863 des répressions russes sur les insurrections polonaises pour s’assurer de nouvelles frontières vers l’Est.
Rebecca Young, Peter Hicks. Traduction Marie de Bruchard, juin 2015 – Mise à jour, juin 2020
► Voir une version commentée du tableau en anglais sur le site du Parlement britannique
► Voir aussi Le champ de Waterloo, une oeuvre de Joseph Mallord William Turner de 1818