Fille du roi Jérôme, la princesse Mathilde (1820-1904) faillit épouser son cousin, Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III, avant que la tentative de Strasbourg en 1836 ne provoque la rupture de leurs fiançailles. Quant à son union malheureuse avec le prince Demidoff, elle se conclut par une séparation prononcée par décision personnelle du tsar Nicolas Ier en 1847. Indépendante, intelligente, brillante, assumant ses amours tumultueuses avec le comte de Nieuwerkerke, surintendant des Beaux-Arts, la princesse fut une des femmes les plus en vue sous le Second Empire. Napoléon III lui concéda en 1852 un hôtel particulier sis au 24 de la rue de Courcelles à Paris, hôtel qui fut racheté en 1857 à la reine Christine d’Espagne sur les crédits de la liste civile. Rue de Courcelles, Mathilde tenait un salon littéraire et artistique réputé où se pressaient, entre autres, les Goncourt, Flaubert, Sainte-Beuve, Théophile Gauthier, le sculpteur Carpeaux, ou encore les peintres Hébert, Baudry et les frères Giraud.
Eugène Giraud (1806-1881) lui avait été présenté dès 1847. C’est d’ailleurs comme son élève que Mathilde, aquarelliste passionnée et plutôt douée, exposa ses propres œuvres de 1859 à 1867 au Salon. Introduit par son frère dans le cercle des intimes de la princesse, Charles Giraud devint à son tour un familier de la rue de Courcelles. A travers quelques vues intérieures de l’hôtel, il a laissé un témoignage unique de la demeure de la princesse Mathilde, demeure aujourd’hui disparue, nous éclairant sur l’histoire du goût et des arts décoratifs sous le Second Empire. En 1854, Giraud peint la salle à manger de la princesse, ou plus exactement le jardin d’hiver dans lequel une table ovale a été dressée pour une dizaine de convives (une aquarelle conservée au musée des Arts décoratifs nous montre en effet la salle à manger « permanente »). La forme de la pièce évoque celle d’un atrium à l’antique et n’est pas sans rappeler l’atrium de la Maison pompéienne du prince Napoléon. La sobriété de la table d’apparat – nappe blanche, argenterie proche de celle du service de l’Empereur aux Tuileries – contraste étonnamment avec la luxuriance de cet intérieur princier. Présenté au Salon de 1855, le tableau fut acheté par Napoléon III qui l’offrit à sa cousine.
Karine Huguenaud, octobre 2009
Cette œuvre a été présentée dans l’exposition A la table de l’Impératrice Eugénie, le service de la bouche dans les palais impériaux, au château de Compiègne (2 octobre 2009 – 18 janvier 2010).