Dans les dernières années de l’Empire, le talent de Gros comme peintre d’histoire semble s’épuiser et c’est dans l’exécution de portraits militaires que l’artiste retrouve l’intensité créatrice de ses chefs d’œuvre, celle des Pestiférés de Jaffa ou du Napoléon sur le champ de bataille d’Eylau. Mais si le portrait du général Lasalle en 1808 ou celui du général Fournier-Sarlovèze en 1812 renouent avec le panache du Bonaparte à Arcole peint en 1796, en revanche, le double portrait de Lariboisière et de son cadet en 1814 se situe dans un autre registre, celui du souvenir d’un père et d’un fils tous deux disparus lors de la campagne de Russie. Cette toile de grand format commémore en effet le moment des adieux entre le général comte de Lariboisière commandant l’artillerie de la Grande Armée et Ferdinand, sous-lieutenant au 1er régiment de carabiniers, lors de la bataille de la Moskowa le 7 septembre 1812.
Bien que s’inscrivant dans un contexte militaire – Gros choisit le moment où le jeune homme s’arrête au poste de commandement de son père avant de charger -, la composition n’est qu’un prétexte à un tableau privé traduisant des sentiments familiaux. L’inquiétude des personnages face au danger est palpable. La façon dont le père serre contre lui la main du fils, sans dramatisation ni pathos, est bouleversante. Assis sur un affût de canon, ses décorations s’étalant sur son uniforme de général de division, Lariboisière n’est plus dans cet instant le brillant officier songeant au déroulement de la bataille. Le plan de manœuvre de l’artillerie pend négligemment de sa main droite. Il n’est plus qu’un père près de son enfant, regardant au loin le funeste destin qui s’annonce. Se détachant sur un paysage et un ciel encore clairs, le jeune homme debout, particulièrement fringuant dans son uniforme, montre moins de fatalisme. Mais la partie gauche en arrière plan de la composition trahit le drame qui va se jouer : sous un ciel déchiré, la monture blanche de Ferdinand attend, tenue par un carabinier à cheval. L’effroi qui se lit dans les yeux des bêtes fait écho à l’horreur des combats qui se déroulent autour d’eux. Ici, comme dans Napoléon à Eylau, Gros use de l’émotion pour évoquer la face noire de l’épopée. Au-delà de sa bravoure se profile la mort du héros. Ferdinand tombera mortellement blessé lors de la bataille. Épuisé, brisé et malade, le général Lariboisière s’éteindra trois mois plus tard, le 21 décembre 1812.
Le général de Lariboisière fut inhumé aux Invalides en 1814, il repose dans le caveau des gouverneurs (6e arcade). Son coeur et celui de son fils Ferdinand sont conservés dans la chapelle du château de Monthorin à Louvigné-du-Désert (35).
Karine Huguenaud et Emmanuelle Papot, décembre 2009
Cette œuvre a été présentée dans l’exposition « Napoléon et l’Europe. Le rêve et la blessure », au Centre National d’art et d’expositions de la République Fédérale d’Allemagne à Bonn (17 décembre 2010 – 25 avril 2011).