L’Hôtel Bonaparte, rue Chantereine (devenue rue des Victoires)

Artiste(s) : REISET Gustave de
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L’Hôtel Bonaparte, rue Chantereine (devenue rue des Victoires)
L'Hôtel Bonaparte, rue Chantereine (devenue rue des Victoires), par G de Reiset © Fondation Napoléon / François Doury

Voir l’image en grand format sur le site des Collections de la Fondation Napoléon

En octobre 1795, lorsque Napoléon Bonaparte tournait dans la rue Chantereine et continuait une longue allée formée par les murs des propriétés adjacentes, il se retrouvait devant la résidence privée, modeste en apparence, de Marie-Joseph-Rose de Tascher de la Pagerie. Leur aventure romantique commença entre ces murs que Joséphine louait à l’actrice Julie Carreau, maîtresse du vicomte de Ségur, qui avait fait construire la propriété pour elle. Ce fut également en ces lieux que Napoléon et Joséphine se marièrent le 9 mars 1796 et que Napoléon revint après ses victoires en Italie et en Autriche. La rue Chantereine fut alors rebaptisée rue des Victoires en son honneur. Et ce fut rue Chantereine/des Victoires qu’il orchestra le coup d’Etat qui le porta au pouvoir, le 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799).

En dépit de son importance historique, l’Hôtel Bonaparte ne survécut pas aux projets de construction du Second Empire : il fut démoli en 1862 pour faire place à l’actuelle rue de Châteaudun.CLe dessin à l’aquarelle est l’une des rares images illustrant l’hôtel avant sa destruction. Une inscription sur le verso du dessin indique que Reiset le fit en 1856, six ans seulement avant la destruction de l’hôtel. Bien que son aquarelle capture une végétation luxuriante, écrin de la demeure, la maison elle-même a un air mélancolique, avec ses volets fermés ou rideaux tirés : aucun élément de la vie qui devait autrefois habiter ces chambres n’est mis en scène.

Pourtant, ce fut l’une des maisons les plus richement décorées et élégantes de Paris. Napoléon lui-même avait déclaré que « la maison [de Joséphine] était la meilleure de Paris », bien qu’il ait été, parfois, consterné par le montant des goûts luxueux de sa locataire. Il confiera ainsi à Las Cases à Sainte-Hélène : « Cette maison ne valait pas plus de 40 000 F[rancs]. Quelle fut ma surprise, mon indignation et ma mauvaise humeur, quand on me présenta le compte des meubles du salon, qui ne me semblaient rien de très extraordinaires, et qui montaient pourtant à la somme énorme de 120 000 à 130 000 F[rancs]. »

Mais Joséphine était la maîtresse de maison parisienne par excellence, et c’était là, dans le salon de l’Hôtel Bonaparte, que les puissants et les grands se réunissaient pour discuter et façonner le destin politique de la France et des Français. Pourtant, le dessin de Reiset dépeint le vide et non l’abondance. La seule silhouette présente dans cet espace pictural est une femme (une domestique, peut-être, portant chapeau et revêtue d’une robe ?) sur le perron de l’hôtel, évoquant les fantômes du passé. Et si, s’élèvent encore, sur la gauche du bâtiment, les vestiges du célèbre vestibule-tente, autrefois rayé bleu et blanc et coeur de l’univers social des Bonaparte, ils ont pris la même couleur que le reste de la maison : celle d’un beige grisâtre, symbole d’une gloire perdue.

Francesca Whitlum-Cooper, trad. Marie de Bruchard, novembre 2014

Enquête sur le mystérieux aquarelliste

L’identification de l’auteur de ce dessin peut être réalisée grâce à une mention « de Reiset » au crayon noir au revers du montage. La famille de Reiset, d’origine de Normandie, est influente sous le Second Empire, et se compose de trois frères : Frédéric, Jules et Gustave. Tous les trois ont une forte appétence pour l’art. Le premier, Frédéric, est connu pour son rôle dans le monde des musées. Collectionneur d’œuvres d’art, historien de l’art, proche du comte Émilien de Nieuwerkerke, il devient en 1850, conservateur au musée du Louvre, avant de prendre la direction des musées nationaux en 1874. Cet amateur d’art qui possède une grande collection de peinture pourrait être l’auteur de notre dessin. Le second frère, Jules de Reiset, est un chimiste agronome et un homme politique réputé. Malgré son goût pour l’art, on s’éloigne un peu de la possible identification de l’auteur de l’œuvre qui nous intéresse. Enfin, le dernier frère, Gustave, est un diplomate français, un historien et historien de l’art, écrivain et collectionneur d’art. C’est grâce à une photographie de ce dessin, accompagnée d’une lettre de Gustave de Reiset, aujourd’hui conservée au musée Carnavalet, qu’il est possible d’affirmer qu’il est l’auteur de ce dessin. Donnés en 1893, l’écrivain précise avoir réalisé ce dessin en 1856. De plus, il explique qu’il conserve chez lui, dans sa villa normande, des meubles qui se trouvaient auparavant dans l’Hôtel Bonaparte et qui auraient appartenu à Napoléon.
Mais alors quel est le lien entre Gustave de Reiset et l’ancien hôtel particulier de Bonaparte et Joséphine ? Tout est encore une histoire d’amour. En mai 1856, il épouse Marie Ernestine Blanche Lefebvre de Sancy de Parabère, qui est la petite-fille de Charles Lefebvre-Desnoëttes. Fidèle compagnon d’armes de Napoléon, il a été son aide de camp du Premier Consul à Marengo et s’est notamment illustré lors de la bataille d’Austerlitz. En 1806, Napoléon Bonaparte donne l’hôtel de la rue de la Victoire à Charles Lefebvre-Desnoëttes, par un brevet signé à Saint-Cloud. Parti en exil après les Cent-Jours, puis disparu en mer lors d’un retour vers la France en 1822, c’est son épouse, Stéphanie qui gère l’hôtel particulier. Sous le Second Empire, leur fille, Madame de Sancy, devient dame de compagnie de l’impératrice Eugénie. Nous sommes donc face à une famille proche du pouvoir, qui ne peut refuser les volontés de renouveau urbanistique de Napoléon III. Lorsqu’il se marie avec Marie Ernestine Blanche Lefebvre de Sancy de Parabère, Gustave de Reiset pressent que le destin de l’Hôtel Bonaparte est sur le point de basculer. C’est pourquoi il s’empresse d’en réaliser un dessin en 1856, témoignage d’un édifice qui a vu s’écrire une page de l’Histoire de France. En 1857, l’hôtel est vendu, puis détruit quelques mois plus tard, pour en créer en 1862, la rue de Châteaudun.

Élodie Lefort, février 2022

 

 

Du 15 octobre 2013 au 6 janvier 2014, le musée de Malmaison proposait une belle exposition consacrée à cet hôtel particulier disparu : un catalogue était édité à cette occasion.

Date :
1856
Technique :
Graphite, aquarelle et gouache
Dimensions :
H = 12 cm, L = 20 cm
Lieux de conservation :
Fondation Napoléon, inv. 1151
Crédits :
© Fondation Napoléon / François Doury
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