Photographie : [Paul Nadar et deux membres de l’ambassade Japonaise 1862]

Artiste(s) : NADAR Gaspard-Félix Tournachon dit
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Photographie : [Paul Nadar et deux membres de l’ambassade Japonaise 1862]
[Paul Nadar et deux membres de l'ambassade Japonaise, 1862] par Félix Nadar (1820-1910)
© BnF/Gallica (domaine public)

Le contexte des relations franco-japonaises

Après plusieurs siècles de fermeture aux puissances occidentales, le Japon est confronté au début des années 1850 à une pression pour ouvrir ses ports au commerce étranger. Un premier traité avec les États-Unis en mars-mai 1854 (Convention de Kanagawa) est rapidement suivi par des traités avec les puissances européennes, à savoir la Grande-Bretagne (Traité d’amitié anglo-japonais, octobre 1854), la Russie (Traité de Shimoda, décembre 1854), la France (novembre 1855) et les Pays-Bas (Traité de paix et d’amitié, janvier-février 1856). Puis l’année 1858 voit la signature de cinq traités dits Ansei, entre un Japon contraint, et les États-Unis, les Pays-Bas, la Russie, l’Angleterre puis la France. Ainsi, le traité d’Edo, signé le 9 octobre 1858, contraint le Japon à entretenir des relations pacifiques avec la France et à lui accorder des droits commerciaux très favorables, bien que ceux-ci soient limités géographiquement.
Des tensions extrêmes contre les Occidentaux installés dans l’archipel dégradent la situation intérieure, entre opposants et partisans de l’ouverture, et les relations extérieures. En 1862, le Japon envoie en Europe une ambassade conduite par Yasunori Takenouchi [gouverneur de la province de Shimotsuke (aujourd’hui préfecture de Tochigi)] afin de renégocier les différents traités. L’année suivante, la décision de l’empereur Kōmei (1831-1867) d’expulser les « barbares » (édit du 5 juin 1863) et de fermer le port de Yokohama déclenche une grave crise, et des attaques et des bombardements sont perpétrés à Yokohama par les Britanniques et à Shimonoseki par les Français. Parallèlement à ces actions militaires, une deuxième ambassade japonaise se rend en Europe en 1864, mais sans grand succès concret. Ce sont les bombardements britanniques et français qui forcent les Japonais à abandonner les politiques d’expulsion des « barbares » et à ouvrir réellement les ports au commerce occidental.

En France, la première ambassade nipponne est reçue par l’Empereur Napoléon III au palais des Tuileries le dimanche 13 avril 1862 (Le Monde illustré, 19 avril 1862). Le photographe Gaspard-Félix Tournachon, dit Nadar (Tournachon utilise Nadar comme nom de plume pour la première fois en 1838 dans le journal parisien Les papillotes) réalise une série de portraits de ces différents membres les 17 et 18 avril.

Paul Nadar et deux membres de l’ambassade japonaise sous l’œil de Nadar

 

[Paul Nadar et deux membres de l’ambassade Japonaise, 1862] par Félix Nadar © BnF/Gallica (domaine public)

Ici, Nadar met en scène son fils Paul âgé de 6 ans, avec deux membres de l’ambassade : on peut voir ce double cliché en détail, en cliquant ici. Alors que la photo de droite propose une pose classique, les adultes regardant de face l’objectif, la seconde offre un climat plus détendu, l’enfant s’appuyant en confiance sur l’épaule du Japonais à sa droite, tandis que celui à sa gauche ébauche un geste affectueux envers le garçonnet. Le photographe a choisi une mise en scène très sobre pour les deux photos, sans accessoire artificiel ou « exotique », seuls un coussin posé au sol, et deux sièges, dont celui de gauche est visible tandis que sur celui de droite l’autre est accroché un drap qui semble de velours et dépasse derrière le Japonais assis. Sur la photo de gauche, une épée est posée au sol devant le personnage de gauche. Cette sobriété, concentrée sur les personnages, est la marque de l’art du portrait de Nadar.

Auteur, dessinateur de talent, caricaturiste de presse, photographe aujourd’hui mondialement célébré, Nadar a participé à l’invention technique et au développement artistique de la photographie. Passionné d’aérostation, il s’aventure dans les airs, mais aussi sous terre en expérimentant la lumière artificielle pour photographier dans les égouts et les catacombes : il est ainsi l’inventeur d’une lampe à magnésium, pour laquelle il dépose un brevet en 1861.

Boyau des Catacombes et dispositif d’éclairage (en bas à droite), par Félix Tournachon, dit Nadar, 1861 © Digital image courtesy of the Getty’s Open Content Program

 

Auteur de très nombreuses photos, Nadar s’intéresse plus particulièrement au portrait. Nombreuses sont les personnalités qui fréquentent son atelier : hommes et penseurs politiques (François Guizot, Émile Deschanel, Eugène Pelletan, Michel Bakounine), hommes et femmes de lettres (Victor Hugo, Baudelaire, George Sand, Alexandre Dumas, Émile Zola), peintres (Eugène Delacroix, Gustave Courbet, Jean-Baptiste Corot, Édouard Manet), compositeurs (Hector Berlioz, Charles Gounod, Gioachino Rossini), comédiens (le mime Charles Debureau, Sarah Bernhardt). Loin des clichés officiels, il sait avec acuité et humanité, mettre en valeur et révéler la personnalité profonde de ses modèles, notamment en trouvant une lumière particulière, subtile, veloutée.

Sarah Bernhardt, par Félix Tournachon, dit Nadar, 1864 © BnF

 

Irène Delage, octobre 2018, mise à jour janvier 2019

 

Ces deux portraits sont présentés dans l’exposition de la BnF, Les Nadar, une légende photographique (16 octobre 2018 – 6 février 2019), dans laquelle sont mis à l’honneur les demi-frères Tournachon, Gaspard-Félix (1820-1910) et Adrien (1825-1903), ainsi que Paul (1856-1939), fils de Gaspard-Félix, tous les trois photographes, peintres, dessinateurs. Un catalogue complet, reprenant 250 illustrations, est édité aux Éditions de la BnF.

© BnF 2018
Date :
1862
Technique :
1 photogr. pos. : papier albuminé : d'après négatif sur plaque de verre
Dimensions :
H = 10,1 cm, L = 17,8 cm
Lieux de conservation :
Bibliothèque nationale de France
Crédits :
© BnF / domaine public
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