Photographie : Ruines du Palais des Tuileries, grand vestibule et place du Carrousel (mai 1871)

Artiste(s) : BRAQUEHAIS Bruno
Partager

Le palais des Tuileries

Quelques mois suivant la chute du Second Empire et l’instauration de la Troisième République, Paris, ville Lumière, est éclairée des feux de l’insurrection populaire. Les Communards se sachant presque vaincus provoquent d’immenses destructions par le feu dans la capitale. Le palais des Tuileries, autrefois résidence des rois, n’y échappe pas. Le 23 mai 1871 alors que les derniers insurgés sont chassés de Paris vers l’Est par les Versaillais, l’ancienne résidence des rois bâtie à partir de 1564 est dévorée par les flammes. Après près de douze années de débats quant à son devenir, l’édifice, en ruines, témoin de nombreux épisodes où se jouèrent le destin de la France, est démoli. Bien connu de nos jours pour son jardin conçu en 1665 par André Le Nôtre, ce lieu est riche d’une histoire artistique et politique qu’il convient de ne pas oublier, histoire que les photographies de Bruno Braquehais mettent en valeur pour la postérité.

Photographie : Ruines du Palais des Tuileries, grand vestibule et place du Carrousel (mai 1871)
Palais des Tuileries : grand vestibule et place du Carrousel,
par Bruno Braquehais, Siège de Paris : album historique des malheurs de la France : album 1, 1870-1871
© Biblioteca Nacional do Brasil

Voir l’image en grand sur le site de la Bibliothèque nationale numérique du Brésil

Le Palais des Tuileries ou le faste des empires

Aux portes du Louvre auquel il finira par être raccordé sous le Second Empire, sur les bords de Seine en plein cœur de Paris, le Palais des Tuileries, originellement Château des Tuileries, est sorti de terre en 1564 selon les plans de Philibert Delorme afin de satisfaire une commande passée par Catherine de Médicis. Viendront s’y adjoindre ensuite deux imposants pavillons : les pavillons de Flore et de Marsan. Si le lieu est aujourd’hui le théâtre d’une des plus majestueuses promenades de la capitale, l’édifice qui s’y élevait jusqu’à la fin du XIXe siècle était un véritable chef d’œuvre architectural, témoin des changements politiques de la nation.

Après avoir accueilli Louis XIV jusqu’en 1671, le lieu n’est plus destiné qu’à des représentations musicales et théâtrales, hormis un bref intermède sous Louis XV. Devenu « Palais du Peuple » tandis que la Terreur sévit dans Paris en 1793, l’édifice retrouve ses lettres de noblesse sous l’impulsion de Napoléon Ier. Les Tuileries sont affectées aux nouveaux consuls (Bonaparte, Cambacérès et Lebrun) à la veille de Noël 1799 et prennent alors comme usage d’être le palais du Gouvernement. L’architecte Leconte y réalise d’importants travaux de réaménagement afin de livrer au pouvoir un palais en état avec des appartements dûment rénovés. Le chantier est titanesque et livré en un temps record. On y aménage des appartements pour Joséphine Bonaparte, de quoi loger les invités et l’on y installe le Conseil d’État, institution tout juste créée. Les consuls y entrent le 19 février 1800. Bonaparte récupère un étage autrefois occupé par Louis XVI puis par le Comité de Salut Public, et si Cambacérès choisit d’habiter l’hôtel d’Elbeuf, Lebrun emménage au pavillon de Flore. Les appartements de Joséphine étaient auparavant ceux de Marie-Antoinette. Le pape Pie VII est reçu aux Tuileries le 28 novembre 1804 afin de préparer le sacre à venir. Pendant la Restauration, Louis XVIII s’y éteint le 16 septembre 1824. Le Palais devient ensuite le siège du pouvoir sous Napoléon III qui en fait sa résidence officielle durant tout le Second Empire.

Paris et la Commune ou le difficile changement de régime (1870-1871)

72 jours durant, du 18 mars au 28 mai 1871, les Parisiens insurgés de la Commune tentèrent de renverser la IIIe République naissante avant d’être violemment combattus par le gouvernement républicain lors de la Semaine sanglante.

À la suite de la défaite à Sedan en septembre 1870 et de l’acceptation du traité de paix proposé par le chancelier allemand Bismarck, des Parisiens se sentent humiliés et commencent à s’opposer à une IIIe République qu’ils perçoivent comme bourgeoise. Les socialistes parisiens regrettent la perte de l’Alsace et de la Lorraine, et que Paris soit déclarée « ville ouverte ». Adolphe Thiers, à la tête de l’exécutif, souhaite désarmer les Parisiens et charge les soldats du général Vinoy de récupérer les canons stockés à Belleville, Ménilmontant et Montmartre. L’insurrection débute le 18 mars 1871 à la butte Montmartre où des habitants se rassemblent en nombre pour s’y opposer. Alors que l’ordre est donné de faire feu par les officiers, les soldats refusent de s’exécuter et rejoignent les Parisiens. Les premières barricades apparaissent. Après plusieurs semaines d’âpres combats les hommes du Maréchal de Mac-Mahon prennent le dessus sur les insurgés. A la suite de sa victoire, ce dernier déclare : « Paris est délivré. L’ordre, le travail et la sécurité vont renaître ».

Le bilan de la Commune de Paris est lourd. On dénombre près de 20 000 victimes, 38 000 arrestations et plusieurs milliers de déportés et de proscrits vers le bagne calédonien. Il faudra attendre 1880 pour que soient votées des lois d’amnistie et organisé le retour des exilés et des déportés vers la métropole. La Commune de Paris est devenue pour les mouvements révolutionnaires une référence en ce qu’elle peut être perçue comme la première contestation ouvrière révolutionnaire en Europe depuis la Révolution Industrielle de 1848. Plusieurs œuvres et chants révolutionnaires tirent leur inspiration des mémoires de la Commune comme l’Internationale écrite par le poète communard Eugène Pottier, ou Le temps des cerises, dont l’auteur Jean-Baptiste Clément a battu le pavé parisien durant la Semaine sanglante.

Une insurrection destructrice : l’incendie des Tuileries par les Communards (23 mai 1871)

La défaite approchant, les Communards, soucieux de faire table rase d’un passé qu’ils méprisent, mettent le feu au Palais des Tuileries le 23 mai 1871. C’est un véritable désastre auquel assiste le photographe parisien Bruno Braquehais (1823-1875) qui réalise près de 110 photographies consignées dans Le siège de Paris : 1870-1871.

Le palais, largement rénové dans le cadre du projet du Nouveau Louvre de Napoléon III était le palais de Paris le plus étroitement associé à sa cour. Pour ceux qui considéraient l’empereur comme responsable de la défaite humiliante de la France et de la perte de l’Alsace et de la Lorraine, les Tuileries représentaient ainsi une cible particulièrement attrayante pour se venger. Alors qu’il vient d’abandonner la défense du Palais Bourbon, l’élu du XXe arrondissement au conseil de la commune Jules-Henri Bergeret, capitaine de la garde nationale, vient occuper les appartements de l’impératrice Eugénie. Il peut d’ici observer les combats jusqu’à la place de la Concorde, voyant les versaillais se rapprocher inexorablement du Palais. Se sentant acculé il réunit un conseil en urgence et choisit de livrer le palais aux flammes pour freiner la progression versaillaise et tenter d’annihiler toutes traces de l’édifice, symbole majestueux de la monarchie puis de l’empire. Les nombreuses barricades érigées par les fédérés empêchent l’intervention des pompiers. Le bâtiment cesse de brûler le 25 mai et la chaleur est telle au sein des ruines encore fumantes qu’on ne peut s’en approcher plusieurs jours durant. Les photographies montrent que même si les façades du palais sont conservées en assez bon état et que la structure générale de l’édifice demeure presque intacte, les toitures sont effondrées. Il ne reste plus rien des décors intérieurs, entièrement détruits.

La destruction des Tuileries : l’impossible mémoire ?

Œuvres engagées ou représentations de la vision d’un Paris dévasté, le travail des artistes est précieux pour se souvenir des palais disparus. Bruno Braquehais, pionnier du photojournalisme, contribue à conserver le visage de ces bâtiments victimes des bombardements et des incendies. L’album fait partie de la collection Thereza Christina Maria rassemblée par l’empereur Pierre II du Brésil et qu’il a offerte à la Bibliothèque nationale du Brésil. Sa coquille incendiée, représentée ici, est restée debout jusqu’en 1883, date à laquelle elle a été démolie.

Ces douze années furent le théâtre d’âpres débats quant au devenir du site. Consécutivement à l’incendie on édifia une palissade autour des ruines afin d’éviter les curieux et les potentiels pillards. Un travail de restauration des statues dégradées fut entamé ainsi que la rénovation des grilles et des terrasses de la partie occidentale du jardin, rapidement rouvert au public. De nouvelles œuvres d’Auguste Clésinger et d’Albert-Ernest Carrier-Belleuse furent installées dès 1872 grâce au travail de l’architecte Hector-Martin Lefuel. Cependant les ruines ne sont pas protégées des intempéries et les dégâts causés par les incendies dans d’autres lieux symboliques sont tels que le devenir du palais des Tuileries n’est pas la priorité du Gouvernement d’Adolphe Thiers. On va jusqu’à se servir des décombres de plomb et de fer des Tuileries pour reconstruire le Louvre et les alentours. Au cœur de l’année 1873 la galerie des Machines et la Petite Galerie, autrefois témoins directs du faste du Second Empire, sont démolies afin de restaurer les pavillons de Flore et de Marsan. Les façades de ces derniers subissent d’importants travaux. La Grande Galerie et le pavillon des États sont restaurés. Les pouvoirs publics ont la volonté de faire du lieu un lieu festif et joyeux. Ainsi en juillet 1878, pour l’exposition universelle, est installé sur la place du Carrousel un ballon pouvant accueillir jusqu’à vingt personnes simultanément et montant à près de cinq cents mètres de hauteur, ce qui lui confère le succès. Des souverains européens de passage ou encore Victor Hugo comptent parmi les personnalités y ayant pris place. On organise dans les jardins des fêtes de charité ou encore des concerts à proximité des bassins dès 1875.

Il revient à la Chambre des députés de statuer sur l’avenir des lieux ce qui devient vite un enjeu de pouvoir entre les différentes tendances politiques représentées à l’Assemblée. L’architecte Lefuel propose dès fin 1871 de ne reconstruire uniquement que la partie centrale du Palais tandis qu’en 1876 Albert Christophe, ministre des travaux publics, souhaite une restauration du palais. En 1879 le député Antonin Proust fait voter un projet de loi afin de détruire les Tuileries qui est adopté mais dont le débat au Sénat est ajourné. Après de multiples navettes parlementaires les arguments en faveur d’une démolition augmentent et l’idée fait son chemin parmi les membres de la représentation nationale. Les commissions chargées de statuer finissent par considérer que les ruines du palais ne sont pas adaptées avec la perspective de construire des institutions modernes, d’autant que l’absence d’entretien de la structure la fait devenir insalubre, demande appuyée par les députés républicains désireux de faire disparaître ce vestige de la monarchie. Sur proposition de Claude Monnet, Proust, devenu ministre des Arts souhaite, souhaite y construire un musée d’art moderne. Finalement le 21 mars 1882 est votée la loi Proust exigeant la démolition des Tuileries. Bien qu’il eût été décidé de préserver les plus belles façades afin de les installer sur d’autres bâtiments publics, nombre d’entre elles ne seront jamais récupérées face au coût prohibitif constitué par leur transport et finiront détruites. Les jardins existants sont agrandis dans le prolongement du Louvre. Il subsiste ainsi encore un peu du charme de ce lieu, témoin des changements de régime, au cœur de Paris.

► À lire :
Palais disparus de Napoléon. Tuileries, Saint-Cloud, Meudon, catalogue d’exposition, In Fine éditeurs, 2021
Les Tuileries, Château des rois, palais des révolutions, Antoine Boulant (Tallandier, 2016)
La République imaginée, 1870-1914, Vincent Duclert (Belin, 2010)
La belle Histoire des Tuileries, Juliette Glikman (Flammarion, 2016)

Paul Leblanc, juin 2021

Date :
1871
Technique :
Papier albuminé
Lieux de conservation :
Biblioteca Nacional do Brasil > FOTOS-ARM.7.1.7(11) (v.1) - Iconografia
Crédits :
© Biblioteca Nacional do Brasil
Partager