Portrait de Caroline Murat, grande-duchesse de Clèves et de Berg

Artiste(s) : Vigée Le Brun Élisabeth Louise
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Portrait de Caroline Murat, grande-duchesse de Clèves et de Berg
Portrait de Caroline Murat, grande-duchesse de Clèves et de Berg, E. L. Vigée Le Brun © Wikipedia

Ce tableau peint en 1807 marque la rencontre de deux femmes aux destins exceptionnels : Elisabeth Louise Vigée Le Brun, survivante de l’Ancien Régime, et Caroline Bonaparte, soeur de l’Empereur Napoléon Ier, nouvelle venue d’un régime inédit.

Vigée Le Brun est une rescapée de la Révolution. Portraitiste reconnue dès son adolescence (elle est à son compte à l’âge de 15 ans), elle a engrangé des commandes de plus en plus prestigieuses, jusqu’à devenir la portraitiste attitrée de  Marie-Antoinette en 1778 à l’âge de 23 ans. Avec le soutien de sa protectrice et sur ordre de Louis XVI, elle intègre l’Académie royale de peinture et de sculpture cinq ans plus tard, événement d’une rareté certaine tant le débat fait rage au sein de l’institution sur l’admission des femmes artistes (cette même année 1783 leur nombre sera limité à quatre). À moins de 30 ans, sa réputation semble acquise à Paris. Les événements de 1789 en font une cible privilégiée : elle emprunte le chemin de l’exil et se réfugie en Italie, puis auprès des cours autrichienne et russe. Cet exil ne prend fin qu’en 1800 : elle recouvre sa citoyenneté française mais ne retourne pas à Paris avant 1805 où sa renommée lui permet de continuer à peindre l’aristocratie française, ancienne comme nouvelle.

Caroline Bonaparte est une des figures dominantes de cette nouvelle aristocratie : dernière soeur de la fratrie de l’Empereur, elle est ambitieuse et ses relations avec Napoléon sont parfois orageuses. Devenue dans la foulée de la proclamation de l’Empire le 18 mai 1804 altesse impériale, elle se voit attribuer avec son époux, Joachim Murat, le grand-duché de Berg deux ans plus tard : le territoire et le titre ne sont pas assez élevés à son goût ; Caroline oeuvre de pied ferme au palais de l’Élysée, sa résidence depuis 1805, ainsi qu’à la Cour pour améliorer sa situation.

Ces deux fortes personnalités ne sont pas réunies par hasard en 1807. Quand Napoléon commande ce portrait en 1806, il vise à contenter sa soeur tout en asseyant la légitimité de sa famille au plan politique : quel meilleur choix que de faire peindre Caroline par la portraitiste favorite de Marie-Antoinette ? Vigée Le Brun renoue ici avec les portraits royaux qu’elle a produits sous le règne de Louis XVI, comme ce portrait de Marie-Antoinette envoyé à sa mère, Marie-Thérèse. L’artiste avait délaissé ces grandes compositions statiques pour des portraits plus intimistes, souvent de buste. Le portrait de Caroline s’inscrit ainsi dans une lignée de représentations officielles du pouvoir. Représentée grandeur nature, au centre du tableau, la jeune grande-duchesse dégage une solennité incontestable dans sa posture, ses bijoux et dans l’opulence du satin brodé d’or et du velours pourpre de sa robe. Son sourire discret mais affiché et son regard franchement posé sur le spectateur atténuent quelque peu cet effet. Mais un autre personnage rend ce portrait officiel réellement chaleureux : Marie Letitzia. La présence de la fille aînée de Caroline, alors âgée de quatre ans, vient donner une touche de spontanéité, de gaîté voire de malice au tableau. La fillette imprime le seul mouvement du tableau dont le décor classicisant est secondaire : elle semble prête à poser une question, le même sourire indéfinissable que sa mère aux lèvres. Cette ressemblance physique fait penser qu’elles ont le même caractère : Marie Letitzia est le double rajeuni et pur de sa mère, presque sous les traits d’un putto à l’italienne. Peintre reconnue de sujets aux jeunes enfants, Élisabeth Louise Vigée Le Brun insuffle à sa composition, grâce à la fillette, le charme qu’une commande officielle possède rarement.

Caroline est une habituée des portraits officiels (le baron Gérard la met d’ailleurs en valeur la même année dans un portrait en pied similaire). Cette succession de portraits de différents périodes et exécutants révèle une constante : elle y est souvent portraiturée en mère attentive, comme dans cette esquisse de Gérard de 1801. Cette posture maternelle devient même centrale dans le célèbre portrait en famille de 1810 du même auteur. À cet égard, la petite Marie-Letitzia est presque une icône de l’époque : au fil des tableaux, elle montre aux sujets de l’Empereur un aspect rassurant de la famille Bonaparte comme dans ce portrait peint un an avant sa représentation par Vigée Le Brun.

Cette symbolique de la famille n’a pas pour seul but de montrer le clan Bonaparte sous l’aspect attendrissant de traits poupins et espiègles. L’utilisation de l’enfant et de la sphère familiale vient aussi servir un autre but : renforcer le rôle de chef de famille de Napoléon. Depuis son accession au trône, Napoléon Ier est en quête d’une descendance légitime qu’il n’a pas encore obtenue : ces portraits de famille montrent la pérennité de la lignée Bonaparte, alors qu’elle n’existe pas même encore…

Vigée Le Brun gardera un très mauvais souvenir de cette commande. De fait, la grande portraitiste des Bourbon ne fera plus jamais d’autres portraits pour les Bonaparte.

Marie de Bruchard, novembre 2015

Date :
1807
Technique :
Huile sur toile
Dimensions :
H = 217 cm, L = 143 cm
Lieux de conservation :
Versailles ; musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Crédits :
© Wikipedia
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