En pleine construction de son image politique, Napoléon Bonaparte s’avère, d’après les sources, plus sensible à certaines représentations de sa personne: non seulement parce qu’elles sont le fruit du talent de dessinateurs ou de portraitistes exceptionnels, tels Jacques-Louis David ou Jean-Baptiste Isabey, mais parce que ces artistes ont su répondre à l’attente du Premier consul et transcrire, au-delà de la ressemblance, un message politique. Tel est le cas du portrait en pied qu’Isabey donne du Premier consul dans les jardins de Malmaison. Réalisée entre avril 1801 et septembre 1802, cette œuvre est l’une de celles qui incarne le mieux cette période du Consulat, vécue entre les Tuileries et Malmaison entre 1799 et 1802, avant la marche vers l’Empire.
Tout concourt pour inscrire ce portrait durablement dans les représentations appréciées du pouvoir et de l’opinion : une certaine vérité dans la ressemblance, l’expression d’un visage déterminé et réfléchi qui a perdu la fougue de sa première jeunesse et témoigne de la stature de l’homme d’état, l’uniforme militaire, garantie d’un retour à l’ordre, le bicorne de feutre noir qui le distinguera de tous et cette façon, bien personnelle, de le porter parallèle aux épaules, et enfin le geste de la main glissée dans le gilet, signe identifiant à la postérité bien connue. A ces critères s’ajoute l’idée d’une image plus intime qu’officielle avec l’esquisse de Malmaison en fond de paysage. Autrement dit, toute une symbolique accompagne ce portrait et si l’homme s’y reconnaît si bien, c’est qu’elle sert son image politique.
Car l’image de Napoléon Bonaparte est aussi un outil de communication politique unique qu’elle soit un tableau de grand format de l’Empereur en costume de sacre ou une version miniature peinte par les meilleurs artistes sur une boîte en or, que l’on distribuait comme présent. Tous les moyens de reproduction sont utilisés, de la série de biscuits de Sèvres, à la gravure, jusqu’à l’image d’Epinal, monnaies et médailles, qui popularisent le héros. Très vite, le portrait du héros national va supplanter celui de l’homme. L’image du pouvoir va transformer, idéaliser, transfigurer ces traits et devenir un support de communication unique en son genre. Napoléon d’ailleurs ne chercha pas à ce que les portraits que l’on fit lui ressemblent. « Ce n’est pas l’exactitude des traits, un petit pois sur le nez, qui font la ressemblance. C’est le caractère de la physionomie, ce qui l’anime, qu’il faut peindre » disait-il à Jacques Louis David. Cette démultiplication de l’image du pouvoir va participer activement à la légende napoléonienne et cela de son vivant. Celle-ci n’aura de cesse jusqu’à nos jours, grâce également aux modes de communication modernes comme le cinéma, qui participa largement à la diffusion de cette image légendaire.
Élisabeth Caude et Isabelle Tamisier-Vétois
Juillet 2021
Élisabeth Caude, directrice du musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau, des musées napoléonien et africain de l’île d’Aix et du musée de la maison Bonaparte à Ajaccio, et Isabelle Tamisier-Vétois, conservatrice en chef du patrimoine au musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau et commissaire de l’exposition Napoléon aux 1001 visages. Cette exposition est à voir au château jusqu’au 6 septembre 2021 et fait partie du label « 2021 Année Napoléon ».
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