S’agissant d’une œuvre qu’il prend soin de faire reproduire par le trait, le célèbre critique C. P. Landon*, attire ainsi l’attention sur le Portrait de S. M. le Roi de Rome, une des trois peintures présentées par Prud’hon au Salon de 1812 : « L’auguste enfant est représenté nu et endormi sur le gazon. Sa tête repose sur un coussin, son corps sur une draperie de pourpre relevée d’une broderie en or. Le laurier, le myrte, la fleur connue sous le nom d’impériale, inclinent devant lui leurs tiges verdoyantes, comme pour le saluer et le garantir du souffle de l’aquilon. Une lumière semblable à celle d’un jour naissant éclaire cette composition gracieuse que distinguent la suavité du pinceau et la fraîcheur du coloris. La figure de S. M. le roi de Rome est à peu près de grandeur naturelle. »
La force du tableau de Prud’hon est dans sa puissance suggestive, au rebours de l’attribut royal appuyé de Callet qui, exposant à ce même Salon une Allégorie sur la naissance de Sa Majesté le Roi de Rome (n° 153) reposant dans un berceau au milieu des nuées, représente au premier plan une aigle tenant dans son bec la Couronne de Fer. Chez le « Corrège français », une lumière radieuse de petit matin vient caresser un enfançon couché au milieu d’une nature sereine. Au dessus de sa tête forment comme une voûte des frétillaires ou couronnes impériales, associées à son ascendance maternelle, et des palmes, renvoyant aux triomphes paternels, sur fond de lauriers. Une draperie bleue, un coussin blanc, une couverture pourpre recomposent le drapeau tricolore ; disposés avec naturel, ce sont les seuls objets artificiels de cette nature apaisée et bienveillante. Qui est cet enfant nouveau-né ? Est-ce l’enfant Jésus endormi, sur lequel veille la Providence paternelle ? Est-ce Romulus, fils du dieu Mars et de Rhéa Sylvia, abandonné mais bientôt recueilli par une louve nourricière et futur fondateur de l’Urbs ? Annonce-t-il un nouvel Eden, ou bien plutôt un nouvel âge d’or ?
À la vue de cette symphonie panthéiste, les contemporains férus de culture classique ne pouvaient que songer à la IVe Eglogue de Virgile : « Pour toi, aimable enfant, la terre la première, féconde sans culture, prodiguera ses dons charmants, çà et là le lierre errant, le baccar et le colocase mêlé aux riantes touffes d’acanthe (…) Les fleurs vont éclore d’elles-mêmes autour de ton berceau. »
Dix-sept mois après l’ouverture le 1er novembre 1812 du Salon présenté au musée Napoléon au Louvre, l’enfant, si complaisamment représenté par le pinceau des peintres et le ciseau des sculpteurs, était arraché le 29 mars 1814 au palais impérial des Tuileries et jeté sur les routes, en une errance qui le mène à Blois puis bientôt en exil en Autriche. Les espérances d’âge d’or étaient anéanties par le fer de l’Europe coalisée.
Christophe Beyeler
Conservateur du patrimoine chargé du musée Napoléon Ier – château de Fontainebleau
Commissaire de l’exposition Enfance impériale. Le roi de Rome, fils de Napoléon
Note :
* Landon (C.P.), Annales du musée et de l’Ecole moderne des beaux-arts, Salon 1812, Paris, annales du Musée, 1812, tome 1, p. 94-95.
A consulter notre Dossier Thématique consacré à la naissance du Roi de Rome (20 mars 1811)