Présenté au salon de 1812, ce portrait équestre par Antoine-Jean Gros n’est pas sans rappeler une autre commande précédente de Joachim Murat, en 1806 : La bataille d’Aboukir, 25 juillet 1799, peinture monumentale (5,78 m sur 9,68 m ; château de Versailles) qui reste l’un des plus grands chefs d’oeuvre de l’orientalisme sous l’Empire.
La scène de La bataille d’Aboukir met en valeur un épisode glorieux du passé militaire du roi de Naples, quand Murat lance sa charge contre la cavalerie ottomane qui protège le fort de l’isthme de la baie d’Aboukir. Gros décrit lui-même la scène comme une opération salvatrice, dans sa description du tableau pour le Salon de 1806 : Murat s’élance contre les ottomans venus « pour couper les têtes des Français restés morts ou blessés sur le champ de bataille ». Le tableau n’a pas eu bonne presse mais Murat semble l’avoir assez aimé pour demander à Gros, quand il lui commande cinq ans plus tard un portrait officiel en tant que roi de Naples, de faire le rappel de l’éclatant épisode de sa carrière de général, douze ans plus tôt. La peau de tigre (aux yeux de rubis, d’après les dires d’un Saxon en 1813) sur laquelle il chevauche « à la mamelouk », son adoption du sabre turc, la posture de son cheval prêt à bondir – la poussière sous ses sabots atteste de son impatience – dans une cavalcade qui a fait la réputation de Murat font écho à Aboukir.
Murat a connu une évolution époustouflante depuis cette bataille : devenu le beau-frère de Napoléon par son mariage avec Caroline Bonaparte quelques mois après Aboukir (le 18 janvier 1800), le fils d’aubergiste du Lot a su monter dans la hiérarchie impériale, à force de bravoure sur les champs de bataille. Gros illustre cette qualité plusieurs fois dans des compositions imposantes comme La bataille des pyramides ou Napoléon sur le champ de bataille d’Eylau (Murat a fait une célèbre charge durant la bataille, malgré la fièvre qui le terrassait à ce moment-là), toutes deux conservées aujourd’hui au Louvre. Gros n’oublie ainsi jamais de représenter un de ses plus grands mécènes dans ces commandes de Bonaparte puis de l’Empereur qui ont pour but d’édifier les Français sur les accomplissements de l’Empire et l’illustre militaire y est immortalisé.
Quand Murat commande ce portrait à Gros en 1811, il est au sommet de sa gloire. Sa progression est allée bien au-delà des échelons militaires : il a été grand-duc de Clèves et de Berg ; il est désormais roi de Naples depuis août 1808. Ainsi le peintre choisit de le représenter en train de superviser des manoeuvres militaires aux abords de Naples ; la présence dans le fond du tableau du Vésuve certifie le lieu géographique, tandis que le changement d’uniforme entre les événements d’Aboukir et ceux de 1811 confirme les nouvelles fonctions de Murat : l’uniforme relativement sobre d’Aboukir (Murat s’autorise déjà des fantaisies et des dorures) a cédé la place à une seconde tenue de colonel des chevau-légers de la Garde impériale. Désormais le roi de Naples se permet l’exubérance : sa chapka a été personnalisée (il lui manque une visière frontale) et les pantalons serrés d’hiver qu’il porte sont ceux d’un aide de camp. Un portrait de 1808 du roi de Naples commandé au baron Gérard présente une différence notable avec celui de 1811 de Gros : la Légion d’honneur précède, ici, la grand-plaque de l’ordre napolitain : la décoration française retrouve la première place dans la hiérarchie des médailles… Si le contexte de ce tableau est moins violent que celui d’Aboukir, il reste guerrier et les couleurs éclatantes de l’uniforme viennent réveiller la stature assez classique du roi équestre.
Peintre de la guerre, de la violence et de… la propagande impériale, Gros est affectionné et protégé par Murat comme par Berthier, le ministre de la Guerre de 1799 à 1807 qui lui fera faire le décor du château de Grosbois vers 1809. En 1812, le peintre fera encore une esquisse pour Murat ; elle évoque son rôle dans la prise de Capri contre les Anglais en 1808 (Fondation Dosne-Thiers, Paris). Mais les événements se précipitent avec la campagne de France et le temps n’est plus aux commandes valorisantes. La fin de l’Empire et la mort tragique de ses deux mentors en 1815 – Berthier se défenestre et Murat est exécuté en Italie – signeront un tournant majeur dans sa carrière.
Marie de Bruchard, septembre 2015