Vue générale des théâtres du bd du Temple avant le percement du bd du Prince-Eugène

Artiste(s) : POTÉMONT Adolphe Martial
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Vue générale des théâtres du bd du Temple avant le percement du bd du Prince-Eugène

Ce tableau de Martial Potémont (1828 -1883) représente le début des travaux de percement du boulevard du Prince Eugène, ainsi nommé en mémoire de l’oncle de Napoléon III, Eugène de Beauharnais. Ces travaux, commencés début 1862, correspondent à une grande étape des réaménagements prévus par le baron Haussmann sur ordre de l’Empereur pour désengorger et assainir l’est parisien populaire. Le boulevard, rebaptisé en octobre 1870 boulevard Voltaire, allait bientôt relier la place du Château-d’eau (aujourd’hui, place de la République) à la place du Trône (aujourd’hui, place de la Nation).

Les travaux prévoyaient la destruction d’une bonne partie du boulevard du Temple, notamment celle qui abritait la foisonnante vie de ses théâtres. Potémont immortalise les lieux qui ont fait la réputation du boulevard du Temple depuis la fin du XVIIIe s. Les nombreuses représentations de meurtres, plus spectaculaires les uns que les autres, sur les planches de ces théâtres avaient d’ailleurs valu le surnom de « boulevard du Crime » au boulevard du Temple.

La toile de l’artiste fige pour l’éternité, de gauche à droite :
– le Théâtre Lyrique (ancien théâtre historique) ;
– le Café des artistes (ou Epi-Scié) ;
– le théâtre impérial du Cirque – dont on distingue l’aigle et le nom ;
– le théâtre des Folies-dramatiques et le théâtre de la Gaîté (ancien théâtre Nicolet) – aux titres très lisibles et réhaussés par les drapeaux tricolores ;
– le théâtre des Funambules ;
– et le théâtre Lazari (ancien théâtre des Associés).

Loin de l’ambiance lugubre que pourrait induire leur future démolition, les théâtres sont nimbés d’une lumière vive, plein sud, et le tableau est traversé d’un mouvement gauche-droite et droite-gauche, provoqué par la circulation sur le boulevard. Sur ce dernier, passants élégamment vêtus et voitures hippomobiles côtoient arroseur municipal en blouse, transport de tonneaux et ouvrière avec panier. Ces différentes couches sociales se promènent dans un cadre rythmé par les arbres et borné par deux colonnes moresques et deux réverbères. La foule se presse devant le théâtre des Folies-dramatiques ou devant le théâtre de la Gaîté : une représentation est sur le point d’être donnée. Tous ces personnages et éléments de décor sont mis en scène sur un sol de terre beige qui n’est pas sans rappeler la couleur chaude du hêtre et donc des planches d’une scène. Potémont transforme le boulevard en pièce de théâtre de la vie parisienne… juste avant la fermeture des rideaux et le début des travaux haussmanniens. ► Voir le tableau en haute définition pour en percevoir les détails

Le peintre et graveur Martial Potémont est connu pour deux thématiques très différentes : ses représentations des îles de l’océan Indien et celles des paysages urbains de Paris. Ce parisien d’origine tire sa première inspiration de son séjour dès l’âge de vingt ans, de 1847 à 1857, dans l’île de la Réunion. Le second fil conducteur de son œuvre est sans aucun doute lié au choc qu’il subit à son retour dans la capitale métropolitaine. Paris, qui a vu entre-temps la monarchie de Juillet, la Deuxième République chuter et le Second Empire s’installer, est en plein bouleversement économique, culturel et urbain. La ville inspire alors à Potémont une certaine nostalgie qu’il matérialise par la production de ce tableau ainsi que celle de trois cents eaux-fortes réunies sous le nom d’Ancien Paris et publiées une première fois en 1864.

Cette nostalgie du Paris pré-haussmannien est répandue dans les milieux artistique et politique français dès le début des travaux des années 1860. Ce désamour est alimenté par la crise bancaire directement née de la spéculation immobilière sur les chantiers. Ces critiques provoqueront in fine la destitution du baron Haussmann en janvier 1870. Vingt ans plus tard, l’ancien préfet entreprendra de justifier son œuvre dans le tome 2 de ses Mémoires. Entre-temps, la chute de Napoléon III accentue la vision négative de la capitale rénovée : la perception élégiaque, qu’on retrouve dans la peinture de Potémont, fait place à une critique véhémente qu’Émile Zola synthétise dans La Curée. Sans concession, le roman, écrit en 1871, présente le Paris haussmannien – et à travers lui, le Second Empire – comme celui de la décadence et de la cupidité.

Achetée en 1882 à l’artiste, peu avant son décès, par la ville – redevenue républicaine – de Paris, la Vue générale des théâtres du boulevard du temple avant le percement du boulevard du boulevard Prince Eugène intègre directement les collections du musée Carnavalet, fraîchement créé deux ans auparavant… sur une idée de 1866 du baron Haussmann.

Marie de Bruchard, février 2017

Date :
1862
Technique :
Huile sur toile
Dimensions :
H = 69 cm, L = 189 cm
Lieux de conservation :
Musée Carnavalet - Histoire de Paris, inv. P 264
Crédits :
© musée Carnavalet / Roger –Viollet
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