Sur cette toile sont représentées deux soeurs assises sur un canapé, relevant gracilement la tête pour interrompre la lecture d’une lettre à l’appel soit du peintre, soit de quelqu’un situé dans le prolongement du peintre. Ce sont les deux jeunes soeurs, Zénaïde et Charlotte Bonaparte, nièces de Napoléon. La lettre que tient l’aînée de 20 ans, Zénaïde, dans une posture assez artificielle n’est pas banale : il s’agit d’une lettre de leur père, Joseph Bonaparte, exilé aux États-Unis depuis 1815. La main de la jeune femme se tort presque comme pour la montrer ostenciblement au spectateur.
David saisit ici non seulement l’intimité confraternelle – la posture réciproque protectrice des deux soeurs l’une envers l’autre – mais aussi une part de leurs psychologies. Zénaïde, la soeur aînée, en presque contreplongée, rencontre le regard du spectateur avec assurance, presque défi, drapée dans sa robe noire décoletée. Charlotte, en revanche, d’un an la cadette, se cache presque derrière sa soeur et dans une robe à manches longues plus modeste et moins mondaine.
Peinte à Bruxelles en 1821, cette oeuvre est traversée par l’exil, aussi bien pour ses deux sujets que son artiste. David, peintre politique par excellence, avait préféré l’exil à Bruxelles, après la chute de Napoléon, plutôt que travailler pour la monarchie des Bourbons à nouveau restaurée à Paris. Zénaïde et Charlotte de même se trouvaient en exil à Bruxelles, et la lettre qu’elles lisent de leur père, l’ancien roi d’Espagne, est identifiable grâce au réalisme caractéristique et l’attention au détail de David : il est en effet possible de lire l’adresse « Philadelphie » sur la lettre dans la main de Zénaïde. L’exil était clairement confortable pour les soeurs : les deux femmes portent des diadèmes et robes somptueuses, et elles sont assis sur un canapé de velours rouge brodé d’abeilles d’or, élément de l’iconographie impériale par excellence. Pourtant, le fond monochrome perturbe ce portrait autrement harmonieux de belles femmes dans un cadre luxueux. Il est si simple qu’il semble induire le sentiment d’incongruité, de « hors-sujet » : franchement juxtaposé au premier plan éclatant, ce fond allusif et morne, littéralement déplacé, souligne à la fois la situation des jeunes Bonaparte mais aussi leur proximité, leur étreinte rendue plus poignante par la suggestion.
Le portrait a été commandé par Julie Clary, la mère des filles, qui prit le titre de comtesse de Survilliers après 1815. Il s’agit ici d’une copie hébergée aujourd’hui par le Museo Napoleonico de Rome, partenaire de la Fondation Napoléon. Un récépicé de commande d’autographes, également dans la collection du Museo Napoleonico (inv. MN 923), confirme que David a été payé 4000 francs pour le portrait original, et 1000 francs pour deux copies autographes. Les trois versions de la peinture sont donc connues : l’une, considérée comme l’originale, est dans la collection du Getty Museum de Los Angeles ; la première copie est à Rome ; la deuxième copie (qui diffère de l’exemple Museo Napoleonico en représentant des croix d’or plutôt que les abeilles sur le canapé) est dans le Musée d’Art de Toulon.
Francesca Whitlum-Cooper, août 2014 (traduction Marie de Bruchard)