Arthur Chevallier : « Napoléon n’est pas seulement lié à l’histoire politique, il peut être aussi un modèle » (janvier 2021)

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Trentenaire galopant, déjà auteur de plusieurs ouvrages remarqués sur l’histoire napoléonienne dont, ces jours-ci, un Napoléon et le bonapartisme, aux prestigieuses éditions « Que sais-je ? », Arthur Chevallier est un des principaux commissaires de l’exposition « Napoléon » (tout simplement), organisée par la Réunion des Musées nationaux-Grand Palais (Rmn-GP) et la Grande Halle de La Villette, qui ouvrira le 14 avril et durera jusqu’au 19 septembre Pendant de la grande exposition du Grand Palais, en 1969, cette exposition n’a pas été si facile à concevoir et à monter, malgré la collaboration des plus grands musées (… et de la Fondation Napoléon). Les temps ont en effet un peu changé en 51 ans et, si le « biopic » proposé ne laisse rien de côté de la grandeur et de la gloire, des aspects politiques et intimes, des grandes réalisations et des grandes victoires, il a fallu faire la place aux « sensibilités contemporaines » avec comme objectif d’expliquer et de mettre en contexte, et sans leur donner une place démesurée. Énergique et sans cesse en mouvement, Arthur Chevallier a accepté quelques minutes de station assise pour répondre à nos questions.

Propos recueillis en janvier 2021 par Thierry Lentz.

Arthur Chevallier : « Napoléon n’est pas seulement lié à l’histoire politique, il peut être aussi un modèle » (janvier 2021)
Arthur Chevallier © D. R.

Napoleon.org : Vous êtes, avec Bernard Chevallier, avec qui, il faut le préciser, vous n’avez aucun lien de parenté, un des principaux commissaires de l’exposition Napoléon produite par la Rmn-GP et La Grande halle de La Villette, laquelle sera inaugurée en avril de cette année. Quel critère avez-vous retenu pour circonscrire une vie pour le moins riche en événements ?
Arthur Chevallier : L’exposition s’adresse à tous les publics, y compris donc aux néophytes. Le plus simple, et c’est le choix que nous avons fait avec les équipes de la RMN-GP et le commissariat, était de procéder par ordre chronologique, de l’arrivée de Napoléon à l’école de Brienne en 1779 à son départ pour Sainte-Hélène en 1815. La simplicité du plan permet de découvrir une période fondatrice de la modernité tout en suivant une vie romanesque. Pour le dire autrement : Napoléon est le personnage principal de cette exposition ; quant à l’histoire de France, elle en est le décor. C’était aussi l’occasion de remettre au goût du jour des sujets sur lesquels la recherche scientifique a, depuis trente ans, considérablement progressé. Certains diront que cette préoccupation est de l’ordre de l’érudition, d’autres, dont je suis, répondront que la mise à disposition des savoirs est une mission permanente et essentielle de la culture, des livres bien sûr, mais aussi des expositions. L’histoire de France n’appartient pas aux historiens ; c’est l’occasion de le démontrer.

Napoleon.org : Les musées partenaires sont prestigieux. Quels objets montrerez-vous ?
A.C. : Nous avons la chance d’être associé au château de Versailles, Fontainebleau, Malmaison, le Mobilier national, le Louvre… et donc nous disposons d’œuvres exceptionnelles. Comme vous le savez, la Fondation Napoléon prête de son côté pas moins de 26 œuvres de ses collections. Difficile de toutes les citer, mais évoquons le Bonaparte à Arcole du baron Gros, le passage du col du grand saint-Bernard de David, le Napoléon en costume de sacre de Gérard, les derniers moments de Napoléon par Vela. Côté objets, la liste est longue et impressionnante : l’épée dite du sacre ; le trône de Napoléon du Sénat ; un manteau de cour de Joséphine ; le berceau du roi de Rome ; une berline de Napoléon ; une tente de campagne meublée ; un bicorne, évidement. Ajoutons l’aspect spectaculaire avec la projection sur un écran géant de la célèbre charge de la bataille d’Eylau reproduite dans le film Le Colonel Chabert.

Napoleon.org : Vous parlez d’une période fondatrice de la modernité, d’autres vous répondront qu’il y eut aussi bien des erreurs, et parfois graves, commises par Napoléon. Comment traitez-vous ces sujets sensibles ?
A.C. : Personne ne gagnerait à ignorer ce qu’on pourrait appeler les « erreurs » de Napoléon. Le rétablissement de l’esclavage n’est certainement pas à mettre à son crédit, non plus que ne l’est la codification à droit constant de l’infériorité de la femme au sein de la famille. Ces décisions sont évoquées sans fausses pudeurs, avec rigueur et méthode, c’est-à-dire en en précisant le contexte, les causes et les conséquences. Dans des lieux dédiés à leur explication avec, à chaque fois, des interviews et de commissaires et d’historiens spécialistes de chaque question. Il ne s’agit pas d’instruire le procès de Napoléon, mais de refuser d’omettre un sujet parce qu’il pourrait déplaire. Expliquer les conditions du rétablissement de l’esclavage ne signifie pas soutenir le rétablissement de l’esclavage. L’histoire de Napoléon, comme l’histoire de France, comme n’importe quelle histoire de n’importe quel pays, et même de n’importe quel individu, n’est pas vertueuse par nature. Elle est imparfaite, parfois déplaisante, certes, mais c’est la nôtre, qu’on le veuille ou non. Voilà pourquoi il ne faut pas craindre de s’y confronter. C’est un motif de courage et d’intégrité. Tout en gardant à l’esprit que la politisation du savoir, de droite comme de gauche, est par nature contraire à sa fonction.

Napoleon.org : Dans les manifestations officielles concernant Napoléon, il est rarissime de voir le moindre représentant du gouvernement. De même, Napoléon ne fait pas partie des « grands hommes » de l’histoire de France auxquels les hommes politiques font référence. D’après vous, cette occasion et au-delà ce bicentenaire est-il l’occasion de réconcilier la République et Napoléon ?
A.C. : Les occasions n’ont, jusqu’ici, pas manqué. L’aspect autoritaire du Premier Empire embarrasse les politiciens. Ils oublient que Napoléon a aussi été le promoteur de l’égalitarisme porté par la Révolution française, mais passons sur cette évidence. Si le Premier Empire n’est pas un modèle de libéralisme, Napoléon, lui, est un modèle de liberté. Il a peut-être moins aimé la France qu’il n’a aimé la vie, dans le sens le plus fort du mot. Son destin est une démonstration magistrale en faveur de la désobéissance, de la témérité et, même, de la créativité. Il y a, en dépit de sa martialité, quelque chose de l’ordre de l’irrévérence à l’égard de qui prétend lui être supérieur. Comme l’a montré sa réaction au mépris des monarchies d’Europe pour la Révolution française, dont il était le représentant et le produit. Il n’était pas question que la France passe pour l’idiote du village européen. Alors il a distribué des gifles : Austerlitz, Iéna, Eylau, Friedland, etc. Napoléon n’est pas seulement lié à l’histoire politique, il peut être un modèle, d’après lequel dire « non » à qui vous ordonne de dire « oui ». C’est est une vertu, en fonction de laquelle le courage n’est pas une matière à option dans la vie d’un individu, mais la seule preuve de sa vitalité. D’ailleurs, et ça n’est pas un hasard, les célèbres détracteurs de Napoléon étaient souvent des flagorneurs, des courtisans, des petits cultivateurs de grande médiocrité, incapables de percevoir la beauté des démiurges tant ils étaient perclus de mimétisme et de modération. Oui, Napoléon est le cheval fou de l’idéal républicain, de cette prétention, célèbre et bien française, où la démesure le dispute à l’insolence. Et le tout au nom d’une idée dont le charme vient de ce qu’elle se suffit à elle-même : la France.

À lire : Arthur Chevallier, Napoléon et le bonapartisme, Éditions Que sais-je ?, 2021, 128 pages.

© QUE SAIS-JE ? 2021
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