Cl. Portier-Kaltenbach : « Dans ma maison de famille, j’ai toujours été entourée de souvenirs liés à l’Empire »

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Historienne, Clémentine Portier-Kaltenbach participe aux émissions de Franck Ferrand, « L’Ombre d’un doute » sur France 3, et de Laurent Boyer, « Le Grand Quizz des histoires de France » sur RTL. Elle a publié plusieurs ouvrages, parmi lesquels Histoires d’os et autres illustres abattis (JC Lattès, 2007), Grands zhéros de l’histoire de France (JC Lattès, 2010), Les Secrets de Paris (Vuibert, 2012), G. Lenotre, Grand historien de la petite histoire (collectif, J.C Lattes, avril 2013). Propos recueillis par Laurent Ottavi, avril 2013.

Cl. Portier-Kaltenbach : « Dans ma maison de famille, j’ai toujours été entourée de  souvenirs liés à l’Empire »
© Clémentine Portier-Kaltenbach

Laurent Ottavi : Chaque dimanche, sur RTL, vous confiez aux auditeurs votre passion pour Napoléon. D’où vient-elle et à quand remonte-t-elle ?

Clémentine Portier-Kaltenbach : Elle remonte à ma petite enfance. Dans notre maison de famille, il y a toujours eu des souvenirs liés à l’Empire, notamment deux micro-vitrines contenant des reliques. Elles ont été rapportées par Eugène Casalis, un pasteur protestant qui  créa la première mission chrétienne en Afrique du Sud. Dans les années 1840,  le navire qui le ramenait en Europe a fait relâche à Sainte-Hélène. Il en  a rapporté un certain nombre d’objets appartenant à la légende napoléonienne : les feuilles d’un saule de la vallée des géraniums, une rose des vents, un coquillage, une pièce de monnaie de Jamestown datant de 1821 et un morceau de la bibliothèque de Napoléon à Longwood. Mon aïeul, le comte Bérenger, fervent bonapartiste et protestant, était ami avec Casalis. L’un avait dû demander à l’autre de ramener quelques objets s’il faisait escale à Sainte-Hélène.

L. O. : Vous évoquez brièvement cet aïeul dans vos grands zhéros de l’histoire de France. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Cl. P.-K. : Jean Bérenger était le fils d’un pasteur originaire de la Drome ; lui-même est né dans un petit village au pied du massif du Vercors. Devenu médecin à Voiron, il aurait pu y rester jusqu’à la fin de ses jours ; au lieu de cela, il se présenta aux élections et fut élu député de l’Isère au Conseil des Cinq-Cents dont il se trouva alors le membre le plus jeune. Comme toute cette génération qui a vécu la Révolution, il assisté à l’incroyable bouleversement de la société  qu’a entrainé la Révolution. A cette époque, tout est possible. On peut n’être rien et devenir « tout » !  Les maréchaux de Napoléon n’étaient-ils pas pour l’essentiel d’entre eux, des hommes du peuple qui avaient à la fois soif de gloire, de réussite, de reconnaissance ?
C’est le cas aussi de Bérenger. Sa chance sera d’avoir rédigé et fait  voter par le Conseil des Cinq-Cents, l’acte d’acceptation du coup d’état du 18-Brumaire. Ce haut fait, dans un contexte délicat pour Bonaparte, lui vaudra une nomination au Conseil d’État, à la commission des finances, puis à la tête de la Caisse d’Amortissement (l’actuelle Caisse des Dépôts) où il succédera à son ami Mollien devenu, lui, ministre du Trésor. Bérenger sera un conseiller d’État très primé, couvert d’argent, de titres et d’honneurs par Napoléon.
Mais  pour en revenir aux « grands Zhéros de l’Histoire de France », j’y ai cité mon aïeul tout simplement car il est gratifié de quelques girouettes dans le « Dictionnaire des girouettes » publié durant les Cent-Jours. Il faut dire ce qui fut : il servit  Louis XVIII sous la Restauration !

L. O. : Par tradition familiale liée à l’histoire de Bérenger, Napoléon prend une place importante pour vous. Mais votre attachement à Napoléon ne repose pas seulement sur cet héritage familial…

Cl. P.-K. : Tous ceux qui ont côtoyé cet homme, avant même son ascension vertigineuse, ont été fascinés. Il excellait dans bien des domaines. Quand on voit tout ce qu’il reste de lui aujourd’hui, c’est sidérant ! Quand vous lisez ses lettres d’amour à Joséphine, c’est éblouissant ! C’est un artilleur et un mathématicien de très bon niveau. C’est un homme d’État et un stratège. Il avait le talent de la formule et de l’écriture. Il fait partie de ces comètes, de ces individus comme il y en a peu dans l’histoire, dont on se dit qu’ils auraient pu  tout faire. Ce que j’aime chez Napoléon Bonaparte, ce sont aussi ses faiblesses. Notamment dans la vie privée : il « aboie » beaucoup, mais il ne sait jamais vraiment sévir.
Cela dit, je ne suis pas non plus une fanatique. A partir de 1809, c’est la période de l’Empire autoritaire, de la censure de la presse. Évidemment, ça me plaît moins. Mais, on peut admirer cet homme en faisant la part de ses erreurs, en acceptant que  la campagne d’Espagne ait été une boucherie, en se demandant ce qu’il allait faire à Moscou. Contrairement à la Révolution que Clemenceau voyait comme « un bloc », il y a dans l’Empire des choses à prendre et à laisser !  Celles qui nous restent dépassent largement celles qui sont à laisser. Il n’est que de voir la  fascination qu’exerce encore aujourd’hui ce grand homme à travers le monde ! Est-il un pays qui n’ait pas « son » Musée Napoléon ?

L. O. : Avez-vous autant de passion pour Napoléon III ?

Cl. P.-K. : Il n’y a pas le même souffle dans son existence et dans son règne … néanmoins, j’ai fini par prendre la mesure à travers mes lectures, de la part qui lui revient  dans la prospérité exceptionnelle qui accompagna le Second Empire, avant  son  effondrement. A cette époque, Paris était le centre du monde ! Il me semble également que les préoccupations sociales qui très tôt agitèrent Napoléon III sont trop méconnues ;  elles s’exprimèrent dès son premier livre : l’extinction du paupérisme. Il créa les premières habitations à loyers modérés, les livrets ouvriers, les grands chantiers qui, hélas, ne connurent pas le succès escompté.  Et Paris ! C’est lui qui, aidé par Haussmann, en fera une ville moderne. A Ham, il avait en permanence un plan de Paris accroché au mur de sa cellule.  Il a pensé le percement des rues et les constructions nouvelles, compris la nécessité d’acheminer de l’eau, d’avoir des égouts, de créer des espaces verts à l’anglaise. C’était un esprit visionnaire. Quelle œuvre accomplie et pas sur les champs de bataille ! On peut lui en savoir gré.

(avril 2013)

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