napoleon.org – Que savait-on de la maladie de la pierre sous Napoléon III ?
Docteur Alain Goldcher – Cette maladie est connue depuis l’antiquité. Le grec Hippocrate donnait déjà des conseils pour la traiter et le romain Celse codifiait l’opération de la taille vésicale par incision de la vessie.
Au XIXe siècle apparaît la lithotritie endo-urétrale ou le broiement d’une « pierre » par voie naturelle, sans intervention chirurgicale. Les premiers spécialistes français sont Jean Civiale en 1824 (le père de la lithotritie) et son successeur Jean Guyon le père de l’urologie moderne après 1867.
Napoléon III va être examiné par un spécialiste de son époque François-Gabriel Guillon qui évoque un calcul (ou lithiase), dès l’été 1866. Mais Eugénie refuse la prise en charge de son mari par un Français, probablement pour éviter des fuites sur son état de santé réel.
napoleon.org – Comment évolua sa maladie ? Comment fut-il soigné ? A-t-il eu un traitement différent durant son dernier exil ?
Docteur Alain Goldcher – Les premiers signes en faveur d’une maladie de la vessie surviennent en 1853 lors d’un malaise ayant fait l’objet d’un rapport secret auprès du ministre de la police. Des complications apparaissent à partir de 1860 à type de douleurs, de pus et de sang dans les urines.
Les médecins lui prescrivent alors des cures thermales, plutôt contre-indiquées car les eaux très minéralisées augmentent la taille du calcul.
Lorsque l’Empereur part pour la guerre le 28 juillet 1870, il ne sait pas qu’il souffre d’une maladie de la pierre, bien qu’un rapport rédigé par Germain Sée l’affirme sans équivoque, mais non communiqué par le Premier Médecin François Conneau au couple impérial. Napoléon III souffre atrocement, surtout en septembre à Sedan, en particulier pendant les heures à cheval qui lui infligent une véritable torture. Il n’est plus en état de diriger son armée en raison des douleurs intolérables, de la fièvre et de dysuries qui l’obligent à « garnir » son pantalon de couches. Il prend en permanence des calmants, du laudanum et du chloral, qui perturbent ses activités cérébrales.
Son état s’améliore au cours des 195 jours de sa captivité en raison du repos, de l’abandon de l’équitation et de la diminution du stress.
Les souffrances reprennent pendant son exil, en fin d’année 1872, lors de la reprise d’une course à cheval pour rendre visite à son fils. Il n’apprend le diagnostic qu’à cette occasion. Sir Henry Thompson, choisi à l’unanimité pour le prendre en charge, affirme qu’il est tant d’extraire la pierre. Etant donné l’état physique dégradé de l’Empereur déchu, le chirurgien opte pour une lithotritie par voie naturelle plutôt qu’une intervention de la taille jugée trop agressive.
napoleon.org – Les deux opérations qu’il endura étaient-elles vraiment nécessaires ?
Docteur Alain Goldcher – Lorsque le docteur Thompson obtient la certitude de l’existence d’une pierre dans la vessie de Louis Napoléon, il décide de la broyer grâce à une pince introduite par l’urètre, ou lithotritie, et d’obtenir ainsi son évacuation par voie naturelle, par les urines. Il procède à deux lithotrities, les 2 et 6 janvier 1873, la première n’ayant détruit que 5% du calcul.
En fait, ces deux lithotrities ont été pratiquées bien trop tard et auraient probablement eu un intérêt avant 1870. Thompson pensait broyer le reliquat complet du calcul, environ 50% de la masse totale, lors de la troisième intervention le 9 janvier, jour du décès de Napoléon III à 10 heures 55.
napoleon.org – Au lendemain de sa mort, l’Empereur a subi une autopsie : qu’apprend-elle de plus sur Napoléon III, à l’époque ? Quelle lecture en faites-vous aujourd’hui ?
Docteur Alain Goldcher – John Burdon-Sanderson pratique l’autopsie et on attribue la mort de Napoléon à la défaillance de sa constitution générale. En réalité, le compte-rendu rapporte une « atrophie de la substance glandulaire de l’organe » causée par la dilatation des voies urinaires supérieures. En d’autres termes, les reins ne disposaient plus de tissu organique suffisant pour qu’ils assurent leur travail d’élimination des déchets sanguins par voie urinaire.
L’analyse conclut aussi que le calcul principal était de nature phosphatique, brisé en son milieu, et d’une taille initiale d’environ 5 centimètres sur 3, pour 22 grammes.
De nos jours, la lithotritie extracorporelle fragmente les lithiases par le biais d’ondes de choc ultrasonores.