Irène Delage : Ce 27 mars s’ouvre au Musée de l’Armée une exposition consacrée à « Napoléon et l’Europe ». Europe napoléonienne, Europe contre Napoléon… : quels sont les objectifs de cette exposition ?
Émilie Robbe : Entre 1793 et 1815, les événements s’enchaînent en Europe sur un rythme effréné. Napoléon Bonaparte, Premier consul puis empereur des Français y joue un rôle déterminant, par ses victoires militaires, mais aussi par des actions politiques de bien plus grande portée.
En associant objets et témoignages contemporains, l’exposition présente une synthèse des bouleversements qu’occasionnent ces actions et apporte des éléments de réponse à des questions qui font écho à des préoccupations proches des nôtres aujourd’hui.
On s’interroge d’une part sur le projet européen que Napoléon lui-même s’est attribué dans le Mémorial de Sainte-Hélène. Comment a-t-il changé l’Europe ? En a-t-il vraiment eu le dessein ? De quels moyens a-t-il usé pour administrer et contrôler territoires et populations ?
D’autre part, on examine les réactions qu’ont suscitées ses décisions. Comment le dynamisme si ambivalent de Napoléon a-t-il été perçu dans les autres pays d’Europe ? Quelle a été son attitude face à la cristallisation des sentiments nationaux en Italie, en Allemagne, en Pologne, en Espagne ? Grandes, moyennes ou petites puissances, de quelle manière ont-elles envisagé de s’intégrer, de se tenir à l’écart ou de résister à ses projets ? Chez les souverains, les élites ou les peuples, qu’a-t-on pensé de Napoléon et de son action ?
I.D. : Dans quelle mesure se distingue-t-elle de la première version de l’exposition présentée au Centre National d’art et d’expositions de Bonn début 2011 ?
E.R. : L’exposition du musée de l’Armée est à la fois proche et différente de l’événement qu’a été Napoleon und Europa. Traum und Trauma (Bonn, Kunst- und Ausstellungshalle der Bundesrepublik Deutschland, 17/12/2010 – 25/04/2011). Plus qu’une « deuxième étape », c’est véritablement une version renouvelée, qui est aujourd’hui proposée au public.
On y retrouvera tout ce qui faisait l’originalité de la démarche initiale, ouverte aux champs les plus variés de la recherche historique. Transnationale, politique, militaire, culturelle…, l’histoire qui s’y écrit conserve un lien très fort avec le présent, car la démarche coïncide étroitement avec la façon dont le musée de l’Armée envisage ses propres projets.
Au musée de l’Armée, le propos se concentre donc sur les bouleversements qu’a connus l’Europe entre 1793 et 1815. En accueillant à Paris des œuvres venues de toute l’Europe, de Londres à Moscou et de Madrid à Berlin, confrontées aux chefs-d’œuvre des plus prestigieux musées français, la synthèse proposée à nos visiteurs transcrit, à Paris, le « choc culturel » que constituait l’exposition de Bonn pour nos voisins d’Allemagne.
I.D. : Animations vidéo, audio et multimédia : quels sont les apports du savoir-faire du Musée de l’Armée dans ses domaines ?
E.R. : Le souci de transmettre nos savoirs de façon claire et efficace nous a amenés à porter une attention particulière aux équipements multimédia. Dans les salles d’exposition permanentes du département moderne (1643-1870) se déploiera un parcours spécial en lien avec les thèmes abordés dans l’exposition Napoléon et l’Europe. Comme dans ces espaces, la visite de l’exposition sera ponctuée par des bornes audiovisuelles, des postes sonores, des projections animées qui facilitent la compréhension des objets exposés, et leur donnent une autre dimension. Pour ne citer que quelques exemples, certains manuscrits comme les Mémoires du lieutenant Chevalier seront accompagnés de lectures d’extraits du texte qui ne peut être présenté en totalité dans la vitrine. D’autres objets seront explicités et complétés par des dispositifs animés, comme le croquis réalisé par Napoléon pour appuyer le récit de la bataille d’Austerlitz, que le Kronprinz de Bavière a conservé avec soin.
I.D. : Parmi les 250 œuvres exposées à Paris, quelles sont celles qui vous paraissent les plus importantes, ou qui vous touchent plus particulièrement ?
E.R. :L’exposition se construit en croisant les regards, occasionnant favorisant des changements de perspective souvent surprenants. Les visiteurs assistent ainsi au spectacle d’une histoire qui, loin d’être figée, est en train de s’écrire. On y trouvera donc des œuvres majeures, tel le fameux portrait du Premier Consul franchissant le col du Grand-Saint-Bernard par David. Remise dans le contexte des débuts de sa commande, l’œuvre prend une dimension « européenne » plutôt inattendue. À côté de ces œuvres prestigieuses et emblématiques, l’exposition montrera des pièces modestes ou insolites, tel cet éventail détaillant un projet farfelu pour envahir la Grande-Bretagne en 1798 (collection particulière).
Notre propos s’incarne surtout dans des ensembles d’objets qui se répondent, illustrant l’écho complexe que trouve la figure de Napoléon en Europe, tel ce « dialogue » évocateur, entre, d’un côté, un dessin préparatoire de David pour le célèbre Sacre du Louvre et, de l’autre, la caricature du Londonien Cruikshank, qui tourne en dérision la cérémonie (Paris, musée de l’Armée).
I.D. : Qu’aimeriez-vous que le public retienne de sa visite ?
E.R. : Travailler sur ce projet, c’est remettre en question nombre d’idées reçues autour de Napoléon et de son impact sur l’Europe. Notre souhait est que le public puisse approcher l’action de Napoléon dans sa richesse et sa complexité.
Nous portons donc une attention particulière à permettre à donner à nos visiteurs les clefs pour appréhender le contexte dans lequel s’inscrivent les actions de Napoléon. Qui l’a influencé ? Qui sont ses contemporains ? Comment est-il devenu celui que l’histoire retient comme un « grand homme » ? Qui étaient ses ennemis ? Pourquoi a-t-il échoué ? Car, si chaque nation, chaque pays d’Europe a diversement recueilli son héritage, la figure de Napoléon appartient aujourd’hui encore à tous les Européens.
Irène Delage, Mars 2013
Retrouvez quelques œuvres de l’exposition présentées sur napoleon.org :
– Bonaparte franchissant le col du Grand Saint-Bernard, par JL David
– Le Sacre ou le couronnement, par JL David
– Esquisse. Le 2 mai 1808 à Madrid, dit aussi L’assaut contre les mamelouks à la Puerta del Sol, par F. Goya
– Passage de la Bérézina par les troupes françaises, le 28 novembre 1812
– The field of Waterloo – Le champ de Waterloo, par JMW. Turner
– Cible peinte : préliminaires de paix conclus à Leoben, en Styrie, le 18 avril 1797
– Cuirasse de carabinier provenant du champ de bataille de Waterloo
– Habit de petit uniforme et épaulettes portés par Lord Nelson lors de la bataille de Trafalgar
– Maquette de la colonne de la Grande Armée, par NGA Brenet