François Robichon. Le retour de la peinture militaire (1998)

Partager

Professeur d’histoire de l’art à l’Université de Lille-III, François Robichon (né en 1954) est le spécialiste incontesté de l’iconographie historique et militaire. Ses nombreux travaux éditoriaux, parus dans les revues Tradition, Uniformes, la Revue historique des Armées et la Revue de la Société des Amis du Musée de l’Armée font autorité.

Président depuis sa création de l’Association des Amis d’Édouard Detaille, il a soutenu en 1997 sa thèse d’État sous la direction du professeur Bruno Foucart. Son actualité est marquée par la sortie d’un luxueux ouvrage édité par le Ministère de la Défense et la maison d’éditions Herscher, L’Armée française vue par les peintres 1870-1914.
(Propos recueillis par David Chanteranne, 1998)

François Robichon. Le retour de la peinture militaire (1998)

David Chanteranne : François Robichon, votre dernier ouvrage vient de sortir en librairie. Considérez-vous cette publication comme une satisfaction personnelle ou davantage comme un accomplissement professionnel ?
François Robichon :
Les deux à la fois. Non seulement parce que c’est la suite logique de la soutenance de thèse de décembre 1997, mais aussi parce qu’un livre est une des meilleures façons de faire connaître à un plus large public un sujet que l’on affectionne tout particulièrement.

D.C. : Avez-vous choisi de publier ce magnifique recueil de peintures au même moment que votre thèse (parution aux éditions Bernard Giovanangeli) ou s’agit-il d’un simple concours de circonstance ?
F.R. :
C’est un pur hasard. Le ministère de la Défense, qui connaissait cette thèse avant que je ne la soutienne, avait souhaité publier un livre sur le sujet mais pas le texte lui-même. Que mon travail universitaire sorte la même année est une coïncidence, rien de plus. Les contacts ont été pris en même temps et j’en suis vraiment très heureux.

PUBLICATIONS ET RECHERCHE

D.C. : En quoi l’aide technique et les conseil avisés du ministère ont-ils été précieux ?
F.R. :
Pour avoir accès à certains tableaux conservés dans des casernes ou dans des locaux spécifiquement militaires, il est nécessaire de passer par le ministère de la Défense. C’est le passage obligé. L’avantage principal de ce travail éditorial résidait dans un soutien total et dans une aide de tous les instants. Des tableaux ont ainsi pu être photographiés pour la première fois, ce qui a permis à l’administration d’effectuer un inventaire exhaustif des collections. La volonté politique, évidente au moment où l’armée de conscription tend à disparaître, m’a donc appuyé de la meilleure des manières.

D.C. : De quelle époque datent les premiers échanges ?
F.R. :
Les contacts ont été pris en mai-juin 1997. Ma thèse venait alors d’être déposée (il faut six mois environ avant la soutenance) et l’armée souhaitait à cette époque publier un livre se rapprochant de mon sujet. Seule la présentation importait, avec un format plus proche de celui que nous connaissons pour la publication d’histoire de l’art, avec une iconographie claire et un ensemble de textes-notices. Mais la ligne éditoriale n’a été déterminée qu’a posteriori.

D.C. : Comment se sont déroulées les « enquêtes administratives » lancées auprès des casernes, des mairies et des cercles d’officiers pour recueillir l’iconographie illustrant votre ouvrage ?
F.R. :
Si j’ai été contacté aussi rapidement, c’est en partie parce que j’avais déjà effectué de nombreuses démarches pour ma thèse. J’avais donc eu la chance de connaître avec exactitude les lieux de conservation des toiles. L’intérêt était de pousser plus avant cette enquête. Tous les commandements militaires de France ont reçu une note d’instruction leur enjoignant de renvoyer un document répertoriant « tout ce qui était susceptible de ressembler à un tableau et pouvant faire l’objet d’une publication ». En septembre, le tri a été fait entre les reproductions, les documents sans importance et les toiles les plus intéressantes. Des chefs-d’oeuvre, que l’on n’avait plus contemplé depuis des dizaines d’années, ont ainsi pu faire leur réapparition. Et de nombreux collectionneurs privés nous ont ouvert leur salon. La campagne photographique était très longue mais, comme on le constate dans le livre, le jeu en valait la chandelle !

L’INFLUENCE DU SECOND EMPIRE DANS LA PRODUCTION PICTORALE

D.C. : A vos yeux, quelle oeuvre symbolise le mieux la défaite de Napoléon III à Sedan ? S’agit-il des Dernières Cartouches d’Alphonse de Neuville, toile présentée au Salon de 1873 ?
F.R. :
Le thème choisi de concert avec le ministère se limitait à la période 1870-1914 et excluait de facto la Première Guerre mondiale. Il me semblait préférable de ne pas se lancer dans une aventure de recherche qui dépassait le cadre que nous nous étions fixés au départ et qui n’avait plus aucun rapport historique, iconographique et même stylistique avec les débuts de la Troisième République. Ce postulat déterminé, il était évident que les plus célèbres oeuvres de la période devaient apparaître dans un livre de cette qualité « éditoriale », mais aussi que les laissés-pour-compte devaient y trouver leur place (je pense notamment à certains tableaux restés trop longtemps dans les réserves du château de Versailles). Parmi cette sélection, il semble bien, en effet, que Les Dernières Cartouches d’Alphonse de Neuville soit la toile la plus célèbre, tout au moins celle qui représente le mieux cette période, la plus emblématique par sa dimension à la fois tragique et désespérée de la défaite de Sedan.

D.C. : Quelles furent les plus importantes transformations iconographiques et stylistiques subies par la peinture militaire entre la période du Second Empire et celle de la Troisième République ?
F.R. :
La coupure entre les deux époques n’est pas aussi nette qu’il y paraît de prime abord. Elle n’existe que dans des situations bien particulières. Contrairement à une idée très répandue, la vie artistique n’a pas subi d’influences importantes de la part du gouvernement, hormis dans les cas des rares commandes officielles. Et encore : la plupart des toiles sont achetées au Salon dix fois moins cher que le prix réel et non demandées directement aux artistes. Édouard Detaille représente à merveille cette position politique du peintre vis-à-vis de l’État. Le succès de sa toile Le Rêve, acquise et exposée au musée du Luxembourg (réservé aux artistes contemporains), aujourd’hui conservée au musée d’Orsay, démontre avec force l’intérêt du régime républicain pour une production fortement connotée.

ENTRE CHOIX PERSONNEL ET INTÉRÊTS PARTICULIERS

D.C. : Pour quelles raisons avez-vous décidé de travailler (vous qui avez une formation d’historien d’art) sur la matière militaire alors qu’il existe tant d’autres champs d’investigation ?
F.R. :
Avant toute chose – cela peut paraître une évidence mais ça ne l’est pas automatiquement pour tout le monde – la peinture militaire reste de la peinture. Qu’il se détermine pour tel ou tel domaine, un artiste possède les mêmes références que ses confrères spécialisés dans le paysage, la nature morte ou le grand genre (la peinture d’histoire en général). Les sujets changent, pas la technique ni la formation générale. Si l’on souhaite étudier avec rigueur le genre militaire, il faut s’intéresser à tous les autres domaines. C’est la condition sine qua non pour un déchiffrage de qualité. Pour prendre un exemple, je me suis livré à une exégèse exhaustive des ouvrages du XVIe siècle pour comprendre comment l’acte héroïque et la soldatesque en particulier avaient pu être représentés à travers toute la période moderne. Cela fut aussi le cas, bien entendu, pour les batailles napoléoniennes, modèles par excellence de la représentation militaire glorifiée.

D.C. : Votre action à la présidence de l’Association des Amis d’Édouard Detaille obéit-elle au même raisonnement ?
F.R. :
C’est ma passion pour Édouard Detaille qui m’a conduit à exercer cette fonction. Habitant depuis très longtemps dans une rue portant son nom, en citoyen curieux j’ai commencé à me lancer dans une recherche importante. Et comme c’est souvent le cas après tant d’heures passées sur un seul et même sujet, surtout sur un personnage de cette qualité, j’ai été complètement fasciné et mon existence en a été transformée.

D.C. : François Robichon, vous avez participé à la préparation de l’exposition Raffet (1804-1860) proposée par la bibliothèque Marmottan à Boulogne-Billancourt et rédigé des articles dans le catalogue auquel la Fondation Napoléon a apporté son soutien. Que peut apporter un artiste comme Raffet à la connaissance historique et artistique d’une époque comme le Premier Empire ?
F.R. :
Je m’étais à l’origine intéressé au renouveau de cet artiste à la fin du XIXe siècle, soit trente ans après sa mort, justement à l’époque où tous les grands propagandistes qu’étaient justement Detaille, Masson et Victorien Sardou, parvenaient à faire aimer une époque riche en événements fondateurs. Auguste Raffet faisait figure de précurseur génial. Par sa technique et son intérêt pour la bataille (Napoléon à Waterloo, Ils grognaient et le suivaient toujours…), par ses planches illustrées destinées à l’Histoire de Napoléon par Norvins en 1839 (Passage du mont Saint-Bernard, Mort du maréchal Lannes), par ses lithographies admirables – je pense en particulier au Réveil qui date de 1848 ou aux documents relatant l’occupation de Rome l’année suivante par les troupes du prince-président Louis-Napoléon Bonaparte – Raffet a permis à la légende napoléonienne, et aux idées bonapartistes en général, de gagner du terrain sur ses adversaires. Ce n’est pas la moindre de ses qualités.

SÉLECTION BIBLIOGRAPHIQUE

Etudes :
Les carnets d’Édouard Detaille, maîtrise d’histoire de l’art à Paris X – Nanterre, 1979 (dir. Bruno Foucart).
L’Armée française vue par les peintres 1870-1914, préface de Raoul Girardet, Paris, Herscher – Ministère de la Défense, 1998.
La peinture militaire française de 1871 à 1914, Paris, Association des Amis d’Édouard Detaille – Bernard Giovanangeli Éditeur, 1998.

Articles :
« Der Krieg von 1870-1871 und die französiche Militärmalerei », catalogue de l’exposition Anton von Werner, Berlin, 7 mai – 27 juillet 1993.
« Raffet chroniqueur des sièges d’Anvers et de Rome » et « Le retour de Raffet », Raffet 1804-1860, catalogue d’exposition, Boulogne, Herscher, Bibliothèque Marmottan – Fondation Napoléon, 1999.

Partager