Général Bresse, directeur du musée de l’Armée : ATHENA, un projet de rénovation exemplaire (2006)

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L’année 1996 a vu le lancement du projet ATHENA, chantier de rénovation profonde du musée de l’Armée. A partir de janvier 2006, c’est au tour de l’Aile d’Orient et des salles napoléoniennes d’être fermées au public pour travaux. À cette occasion, nous avons rencontré le général Bresse, directeur du musée de l’Armée, pour évoquer ce grand chantier et le futur musée de l’Armée.

Général Bresse, directeur du musée de l’Armée : ATHENA, un projet de rénovation exemplaire (2006)
Ancienne salle département Ier Empire © service communication-musée de l'Armée

AUX ORIGINES DU MUSEE DE L’ARMEE

Irène Delage : Avant d’aborder le grand projet de rénovation du musée de l’Armée ATHENA, pourrions-nous évoquer les grandes lignes de la création du musée, en 1905. Une exposition( jusqu’au 15 janvier 2006), rappelle que le musée a 100 ans cette année.
Général Robert Bresse :
Ce que nous fêtons cette année, c’est le centenaire du décret du 26 juillet 1905, qui regroupa deux institutions préexistantes au musée de l’Armée tel que nous le connaissons aujourd’hui : ont donc été réunies les collections du musée d’Artillerie et celles du musée historique de l’Armée, musées déjà physiquement présents à l’Hôtel des Invalides.

Fondé sous la Révolution, le musée d’Artillerie regroupait les collections du garde-meuble de la Couronne et celles des princes de Condé (Chantilly). En 1872, le musée était installé aux Invalides. Le musée historique de l’Armée a lui été fondé en 1896 par la Sabretache et son président, le peintre Edouard Detaille. A ces deux ensembles, il faut adjoindre la Nécropole militaire, où se trouvent notamment les sépultures de Turenne, Vauban, Foch, Lyautey, Joseph et Jérôme Bonaparte. On la doit d’une certaine façon à Napoléon car en ramenant sous le dôme de la chapelle royale les cendres de Turenne et le coeur de Vauban, il en fit une nécropole de fait.

Irène Delage : Né d’une fusion de ces entités, comment le musée a-t-il évolué ?
Général Robert Bresse : Le musée d’Artillerie était une sorte de musée savant, présentant l’évolution de l’armement, des techniques et des uniformes, tandis que le musée historique de l’Armée se voulait le musée du « panache » de l’armée française. Peu à peu, et non sans tiraillement, on ne pouvait aller que vers une synthèse de ces deux conceptions. Aujourd’hui, le musée de l’Armée, jusqu’alors musée d’objets, évolue bien vers un musée d’histoire où, par exemple, les défaites trouveront autant leur place que les victoires.

Irène Delage : Quels sont les grands principes du projet ATHENA ?
Général Robert Bresse : Ils s’articulent autour de la constitution de trois ensembles cohérents, chacun autour d’un personnage emblématique et légitime par rapport au lieu : Louis XIV, Napoléon Ier, et Charles de Gaulle. « Louis XIV nous héberge et Napoléon nous nourrit », disait avec humour et justesse l’un de mes prédécesseurs, Jacques Perrot.
La cohérence de l’organisation spatiale et de l’attribution des différentes ailes du musée est inhérente à cette idée générale : aux ailes Occident, Orient et Sud-Ouest correspondent des périodes chronologiques et des espaces thématiques précis.
Le socle muséographique demeure la chronologie. Nous sommes bien dans la logique d’un musée d’histoire, qui présente l’évolution de l’armée, de l’armement, des systèmes, mais avec une référence constante au pouvoir politique, à la relation Armée / Nation à travers l’expression du pouvoir national, qu’il soit royal (Louis XIV), impérial (Napoléon Ier) ou républicain (Charles de Gaulle).

Irène Delage : Il s’agit d’un projet de longue haleine. Comment est-il organisé ?
Général Robert Bresse :
Le projet a été découpé en 5 tranches. La première, ATHENA I, entre 1996 et 2000, portait sur la création des espaces consacrés à la Seconde Guerre mondiale, au général de Gaulle et aux Forces françaises libres. ATHENA II (2003-2005) concernait l’aile d’Occident qui abrite les salles du département ancien, armes et armures – elles viennent d’ouvrir ce 17 décembre 2005 – et les salles consacrées à la période 1871-1939 aux étages de cette même aile. Cette seconde phase inclut le réaménagements de certaines séquences dans les espaces Seconde Guerre mondiale, pour ouvrir un grand département des deux guerres mondiales le 1er juillet 2006. ATHENA III s’intéresse à l’aile d’Orient et à ses salles du département moderne, allant de la minorité de Louis XIV à la chute de Napoléon III. Les travaux de cette tranche débutent en janvier 2006 pour se terminer fin 2007. ATHENA IV (Sud-Est) concerne la création de l’Historial Charles de Gaulle. Enfin ATHENA V porte sur différents points de finalisation de l’ensemble du projet, comme par exemple la création d’une salle d’expositions temporaires.

LE PROJET ATHENA EN COURS

Irène Delage : Lors de l’appel d’offres, cinq cabinets d’architectes ont été sélectionnés, un cabinet par tranche du projet. C’est le cabinet Repérages Architecture qui a été sélectionné pour l’aile Orient. Quelles furent les raisons de leur choix ?
Général Robert Bresse :
L’un des points essentiels sur lequel nous avons été très attentifs, c’est le sujet architectural qui nous était proposé, la manière d’épouser le bâtiment sans être trop dans le bâtiment, et faire que ce dernier ne soit pas un frein à des idées intéressantes. La façon dont le cabinet allait se mobiliser, organiser et étoffer son équipe était aussi déterminante, c’est très important pour la bonne évolution du projet, en terme de planning bien sûr mais pas seulement. En effet, le dialogue doit être permanent et interactif entre les architectes et les conservateurs : ces derniers tiennent en main à la fois les objets et le discours scientifique, tandis que les architectes doivent les aider à traduire et à mettre en scène leurs idées. Ainsi, Repérages Architecture nous a convaincu par sa sensibilité au lieu et la qualité de son projet muséographique.

Irène Delage : Le fait que le public du musée de l’Armée soit en grande partie d’origine étrangère a-t-il orienté la réflexion d’une manière particulière ?
Général Robert Bresse :
C’est indispensable car, en effet, le musée de l’Armée reçoit chaque année environ 1 100 000 visiteurs, dont 800 000 sont d’origine étrangère.
Ce fait a été pris en compte sur trois niveaux : le premier concerne les plans de circulation et la signalétique, avec un recours systématique aux pictogrammes signalétiques. Chacun des départements sera associé à une image spécifique, identitaire : une armure stylisée pour le département ancien, un cavalier (sans doute un chasseur à cheval de la Garde) pour le département moderne, et un char pour le département consacré aux deux guerres mondiales.
Ensuite, la référence aux trois personnages emblématiques va également aider les gens à se situer dans le musée.
Enfin, l’audio-guide est la solution pour offrir une information de qualité à notre public si cosmopolite, il est en 8, et bientôt 12 langues. Par contre, pour des raisons pratiques de place, les titres des cartels seront présentés en quatre langues : français, anglais, espagnol et allemand.

I.D.: Qu’en est-il du public des enfants, comment est-il pris en compte dans le projet ATHENA ?
G.R.B.: Il faut bien le dire, les conservateurs par souci de précision utilisent souvent des termes abscons pour le grand public. Aussi les panneaux didactiques et les cartels seront tous relus par le service pédagogique, afin qu’ils soient compréhensibles par le jeune public. Nous allons également poursuivre notre effort vers les groupes scolaires, avec le service pédagogique qui propose de nombreux ateliers et visites guidées très prisés.

L’AILE D’ORIENT ET LES SALLES NAPOLÉONIENNES

Projet © Repérages Architecture
Irène Delage : Les salles du Premier et du Second Empire vont être fermées le 9 janvier 2006, et ce pour 2 ans. A l’issue des travaux, que va découvrir le public ?
Général Robert Bresse :
Chaque département aura son atmosphère particulière.
Le fameux esprit de la Sabretache sera conservé, c’est-à-dire une atmosphère très « colorée », de par la collection même puisqu’elle est constituée de nombreux uniformes. Ce n’est pas le cas du département ancien, les armures offrant une autre approche visuelle et esthétique. D’une certaine façon, le département ancien est celui des hommes de fer, le département moderne, celui des hommes chamarrés, et le département des deux guerres mondiales celui des hommes dans des « boîtes en fer ».

Dans le réfectoire nord-est, nous allons proposer une présentation exceptionnelle : dans une vitrine monobloc de 40 mètres de long seront mis en scène des mannequins équestres réalisés par Detaille et d’autres artistes, avec peut-être un attelage d’artillerie à cheval du Premier Empire. Une animation est prévue, qui donnera une impression de mouvement, de défilé. Ce sera sans aucun doute une salle très impressionnante.
Il y aura également une salle des figurines historiques où seront exposées 2 500 à 3 000 pièces, avec un roulement de présentation des objets, sur une collection totale de plus de 150 000 figurines.

Irène Delage : Comment vont s’articuler les commentaires chronologiques et thématiques au sein d’une même salle ?
Général Robert Bresse : D’une manière générale, la présence des commentaires est double. Dans toutes les salles, la visite centrale se fait de manière chronologique, et nous trouverons des thématiques (organisation politique, organisation de l’armée par exemple) disposées en épi ou latéralement suivant les espaces. Dans la partie XVIIIe par exemple, il y aura une partie consacrée à la Maison du Roi. Dans les salles napoléoniennes du Premier Empire, il y aura notamment une thématique « la guerre fait l’Empire », « la guerre défait l’Empire », ainsi qu’une réflexion autour du camp léger, le Grand Quartier Général impérial. Et ce toujours en référence avec notre thématique transversale à toutes les époques, les relations entre le pouvoir et l’armée.

Irène Delage : Il est également prévu une salle-synthèse des traditions militaires : emblématique, symbolique, musique : de quoi s’agit-il ?
Général Robert Bresse : L’emblématique, c’est-à-dire la représentation nationale, est un sujet sensible, très sacralisé à partir de la IIIe République. Malheureusement, une gigantesque salle montrant 300 drapeaux comme elle a existé auparavant, n’est plus raisonnablement possible aujourd’hui, en raison de l’extrême fragilité des emblèmes. Aussi, nous nous tournons vers la réalisation de copies de drapeaux par une société spécialisée dans la conception de bannières. Cette solution permettra ainsi d’offrir toujours l’émotion particulière de voir l’église pavoisée.

Projet © Repérages ArchitectureIrène Delage : Aujourd’hui, un musée « moderne » n’est pas concevable sans multimédia. Comment sont introduits le son et l’image dans la scénographie ?
Général Robert Bresse :
Le multimédia est effectivement incontournable ! A chaque époque, la guerre a son bruit particulier, qui est lié aux techniques, aux armes, à la manière dont sont équipés les hommes : ainsi, de manière périodique pour que cela ne soit pas lassant, le bruit de cette bataille circulera, de même que celui de l’armée en marche, une Légion romaine ne fait pas le même bruit que la réserve de cavalerie de la Grande Armée. Des espaces spécifiques seront consacrés à l’audiovisuel, où le public pourra voir des films, confortablement installé.

Enfin, il y aura une mise en scène de certaines grandes batailles, comme Austerlitz (mais aussi Waterloo, musée d’histoire oblige !) : un système de projection permettra de suivre le déroulement de la bataille sur un plan relief au sol. Ce sera une animation très vivante et très didactique, qui se prête particulièrement à l’époque moderne où les batailles deviennent des batailles rangées, ce système d’animation n’est pas applicable aux batailles médiévales par exemple.

Irène Delage : Que pouvez-vous répondre à ceux qui se désespèrent de voir « disparaître » un tiers des pièces actuellement exposées ?
Général Robert Bresse :
La réglementation liée aux lieux accueillant du public, on l’oublie souvent, nous impose aujourd’hui beaucoup de choses et cela a un impact sur l’organisation de l’espace : règles de circulation du public, accès aux handicapés, règles de sécurité, etc. Donc oui, il y a environ un tiers des objets qui ne seront pas présentés. Mais cela ne veut pas dire qu’on ne les verra plus du tout. Cette situation est même tout à fait bénéfique pour les objets, puisqu’on va opérer une rotation programmée de leur présentation.
En effet, en dépit de toutes les précautions, on sait que les objets fragiles (surtout les textiles) souffrent d’être exposés.
D’autre part, l’accumulation excessive de pièces nuit certainement à la découverte et à la compréhension. Enfin, de nombreux objets ne rejoindront pas les réserves mais feront l’objet de dépôt de longue durée dans d’autres musées.

Irène Delage : Une exposition temporaire va être mise en place autour du tombeau de l’Empereur : pouvez-vous nous en présenter le projet ?
Général Robert Bresse :
En effet, pendant la période de fermeture de ces salles, nous proposerons au public dès le 1er mars une exposition d’une vingtaine de pièces emblématiques sur le thème de la « personne » de Napoléon, son chapeau, sa redingote, l’épée d’Austerlitz, le grand collier de la Légion d’honneur. Il s’agit d’un beau projet élaboré par Michel Albertini, qui sait allier les contraintes de l’espace à celles des pièces à exposer. Ainsi, il a eu l’idée d’installer une chapelle architecturée supplémentaire dans le lieu, ce qui sera d’un bel effet.

Irène Delage : Autre élément à prendre en compte dans la gestion d’un musée,la tarification : va-t-elle évoluer ? Des billets associés à des parcours sont-ils envisageables, notamment autour de la personnalité de Napoléon Ier (le Tombeau) et de la période du Premier Empire ?
Général Robert Bresse :
Il y aura effectivement des billets correspondants aux parcours que nous avons définis, reconnaissables notamment par le logo de chaque département, avec toujours le Tombeau de Napoléon « en prime » si je puis dire. Ainsi un visiteur pourra visiter le seul département ancien et le Tombeau de Napoléon, un autre suivre le parcours moderne et également le Tombeau de l’Empereur, etc. Il y aura sans doute également un forfait de visite valable deux jours, afin de voir l’ensemble du musée à un rythme permettant d’apprécier pleinement la richesse des collections.

Irène Delage : Enfin, que souhaiteriez-vous que le public ressente et retienne de sa visite au musée de l’Armée ?
Général Robert Bresse :
Trois choses. De l’émotion tout d’abord, car on ne peut que ressentir une certaine émotion à la vue de certaines pièces, comme une armure d’enfant par exemple. Je souhaiterais aussi que le public ait compris que la force armée n’est que l’émanation, et parfois l’incarnation d’une nation. Elle n’existe pas en soi, ce n’est pas un système autonome qui créerait les guerres à lui tout seul. C‘est pour cela que l’on a toujours lié, au cours de notre réflexion, l’armée à la nation et à celui qui exerce ce pouvoir en son nom. La continuité enfin qui se révèle dans le seul fait que l’armée a toujours servi la nation à travers toutes les formes d’expression du pouvoir qu’elle a pu avoir.

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