Jean-Baptiste Auzel – « Oui, il y a un « style Napoléon » : ses lettres sont efficaces ! Il ne perd pas de temps en circonvolutions, peu en politesse. » (mai 2022)

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Conservateur en poste aux Archives nationales pendant plusieurs années, Jean-Baptiste Auzel était a la tête des archives de la Secrétairerie d’État impériale, sous-série AF IV, contenant les lettres de Napoléon, de 2002 à 2010. Il raconte une partie de ses observations au sein des Archives nationales pour les lecteurs de napoleon.org, à l’occasion de la mise en ligne de la Correspondance générale de Napoléon Bonaparte sur le site web de Napoleonica les archives.

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Propos recueillis par Marie de Bruchard le 4 mai 2022.

Jean-Baptiste Auzel – « Oui, il y a un « style Napoléon » : ses lettres sont efficaces ! Il ne perd pas de temps en circonvolutions, peu en politesse. » (mai 2022)
© Jean-Baptiste Auzel

Napoleon.org – Pendant près de dix ans, vous avez « veillé » sur les lettres de Napoléon Ier, et le fameux fonds AF-IV des Archives nationales, mais également celles d’autres souverains : Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe. Qu’est-ce qui distingue le plus ces quatre souverains français, à l’examen de leur correspondance ?

Jean-Baptiste Auzel – Les souverains de la monarchie constitutionnelle ne travaillaient pas du tout à la manière de Napoléon Ier, ou plutôt ce dernier ne travaillait pas du tout comme les rois Bourbons. Il avait mis en place un système de double cabinet, un cabinet intérieur avec quelques secrétaires pour un travail personnel considérable, notamment sa volumineuse correspondance, et un cabinet extérieur, la fameuse Secrétairerie d’État, qui faisait le lien avec les ministres.

Les souverains restaurés, du moins Louis XVIII et Charles X, avaient repris le mode de gouvernance de leurs ancêtres, du roi décidant « en ses conseils ». De ce fait ils écrivaient beaucoup moins, transmettaient peu d’ordres, et ne gouvernaient pas par l’écrit, au contraire de Napoléon Ier. Il y eut simplement durant les premiers mois de la 1ere Restauration la survivance d’une secrétairerie d’État, en fait un secrétariat des conseils, dirigé par le baron de Vitrolles, qui ne devait pas durer et dont les archives constituent l’essentiel de la sous-série AF V. Il n’y malheureusement pas de sous-série AF VI ou AF VII pour la suite !

Il est possible, et même probable, que Louis-Philippe ait eu un fonctionnement un peu différent, plus administratif ; il était assez fasciné par la figure de Napoléon, et il prit comme secrétaire le baron Fain qui avait été secrétaire de Napoléon, et surtout son fils, Camille Fain. En outre, Louis-Philippe aimait beaucoup écrire et avait la plume facile. Mais les destructions considérables qu’il y eu durant les journées de février 1848 dans les locaux des Tuileries gênent encore l’appréciation du mode de gouvernance de ce souverain.

Napoleon.org – Lorsqu’une lettre de Napoléon arrive sur le marché, les Archives nationales procèdent-elles systématiquement à son authentification ?

Jean-Baptiste Auzel – Je ne peux témoigner que de la pratique des années 2002-2010, il y a donc longtemps maintenant ! Non, nous n’analysions pas à fond toutes les trop nombreuses lettres de Napoléon passant en vente, puisque nous sommes censés conserver dans la sous-série AF IV les minutes de presque toutes les lettres et que c’est avant tout le contenu documentaire qui nous intéresse. Nous procédions à une analyse rapide, de type diplomatique, pour déterminer à partir du destinataire de quel fonds telle lettre pouvait provenir. Éventuellement nous allions plus loin si le fonds était réputé être dans les collections publiques ou si l’intérêt du contenu le justifiait.

Toutefois les Archives nationales conservent tous les catalogues de vente à titre documentaire pour des recherches ultérieures. Durant ces années, qui étaient celles du bicentenaire de l’Empire, mais aussi en raison d’un phénomène de spéculation sur les documents historiques, j’ai pu constater l’envolée du prix moyen des lettres de Napoléon. Je crois que c’est un peu redescendu depuis.

Napoleon.org – D’ailleurs, comment reconnaît-on concrètement une lettre de Napoléon : en dehors de l’analyse de l’écriture, y a-t-il un « style Napoléon » ?

Jean-Baptiste Auzel – Oui, il y a un « style Napoléon » : ses lettres sont efficaces ! Il ne perd pas de temps en circonvolutions, peu en politesse. Il a un style dynamique qui semble vouloir faire bouger le destinataire et ne souffre pas de réplique. On sent que la demande formulée n’est pas optionnelle : ce sont très généralement des ordres.

Lettre manuscrite (une page et demie), signée "Napoléon" adressée à M. Mollien relative aux comptes des recettes et dépenses de l'État pour l'an 9, 10, 11 et 12 datée de Paris, le 04 février 1806 © Fondation Napoléon / Thomas Hennocque
Lettre manuscrite signée « Napoléon » adressée à M. Mollien relative aux comptes des recettes et dépenses de l’État pour les Ans IX-XII datée du 4 février 1806 © Fondation Napoléon / Thomas Hennocque

Napoleon.org – Comment la synergie entre les Archives nationales et la Fondation Napoléon a-t-elle fonctionné en vue de la publication de la Correspondance générale de Napoléon ?

Jean-Baptiste Auzel – Pour ce qui est du fonds du Cabinet de Napoléon 1er (c’est-à-dire une partie de la sous-série AF IV), en particulier la collection des minutes de la correspondance qui sert de base documentaire à l’ensemble, les Archives nationales ont procédé au microflimage puis à la numérisation de la totalité des liasses.

Les chargés de mission successifs de la Fondation Napoléon en charge de l’édition (Émilie Barthet puis François Houdecek) ont participé à la préparation du microfilmage sous ma responsabilité puis ont récupéré les fichiers numérisés. A partir de ces fichiers ils ont procédé à l’édition en comparant avec l’édition faite sous le IId Empire. Ils ont complété avec les expéditions qu’ils ont cherché à repérer de manière aussi exhaustive que possible grâce aux nombreux partenariats de la Fondation.

Pour ce faire ils encadraient des équipes de volontaires. Ils ont réalisé un très beau travail qu’il convient de souligner aujourd’hui. Et je ne parle pas de l’indexation ou des articles introductifs ! Pour les toutes premières lettres, on s’est mis d’accord, les chargés de mission et nous, les conservateurs des Archives nationales impliqués dans le projet, sur les principes d’édition des textes des lettres. Un comité scientifique se réunissait régulièrement, souvent dans les premières années, moins par la suite une fois que les procédures étaient bien lancées.

Napoleon.org – Y a-t-il une lettre de Napoléon qui vous a le plus marqué ?

J’aurais pu en citer plusieurs. Avec le temps, il y en a une qui je crois m’a choqué lorsqu’elle est passée sous mes yeux et du coup je m’en souviens bien : une lettre de Napoléon au sujet d’Andréas Hofer, un « rebelle » tyrolien, une sorte de chouan autrichien. Dans la même lettre Napoléon exprime sa volonté ferme qu’il soit jugé puis aussitôt exécuté. Cela laissait peu de place à un procès juste… C’est un exemple parmi d’autres.

Napoleon.org – Quel autre fonds d’AF-IV verriez-vous en ligne ?

Je crois que les très nombreux rapports qui parvenaient à Napoléon pourraient être mis en ligne, même si certains, ceux de la Police générale, ont bénéficié des travaux d’Ernest d’Hauterive et de Nicole Gotteri et ont été soit analysés, soit édités. Ces travaux pourraient d’ailleurs servir d’interface avec les fichiers numériques.

Napoleon.org – Et plus généralement, quel autre fonds en relation avec Napoléon Ier ou Napoléon III ?

La documentation que le travail méthodique de Napoléon 1er a rassemblé est immense et d’une incroyable richesse ! Comme il voulait tout savoir de ce qui se passait sur chaque point de son Empire, les archives produites alors sont une source documentaire, notamment pour l’histoire des différents territoires, peu exploitée encore. Au-delà de l’histoire politique, ou de l’histoire militaire, il y a là matière, au prix d’une saine critique, pour écrire l’histoire locale, celle des territoires, et sur une partie non négligeable de l’Europe. Peut-être qu’en les rendant plus accessibles par le Numérique les historiens locaux pourraient s’en saisir. Je n’ai pas encore rencontré de fonds plus riches que les fonds napoléoniens.

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