J.-L. Silvi, metteur en scène de La Conversation, d’après Jean d’Ormesson (2013)

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La Conversation, pièce mise en scène par Jean-Laurent Silvi à partir du livre de l’académicien Jean d’Ormesson (Éditions Héloïse d’Ormesson, 2011), est jouée au théâtre Hébertot (Paris) jusqu’au 20 avril 2013. Maxime d’Aboville et Alain Pochet sont respectivement Bonaparte, Premier Consul de la République, et Cambacérès, Second Consul. Si tous les propos prononcés par Napoléon Bonaparte ont été prononcés par lui, ce ne fût pas nécessairement dans les circonstances du Consulat. Toutes les répliques de Cambacérès, en revanche, sont de la plume de Jean d’Ormesson.

J.-L. Silvi, metteur en scène de <i>La Conversation</i>, d’après Jean d’Ormesson (2013)

Laurent Ottavi : Vous avez fait le choix de mettre peu d’objets sur scène. Était-ce pour mettre au premier plan les idées développées dans le dialogue ?
Jean-Laurent Silvi : Il fallait mettre en valeur le texte. Parfois, on me dit que je n’ai pas fait de mise en scène, que je n’ai fait que de la direction de comédiens. Pour moi, c’est vraiment la même chose.  On a regardé énormément de tableaux de Napoléon. La mise en scène est bien là.
J’aime travailler sur des scènes le plus vide possible. J’ai demandé de grands rideaux, un parquet au sol pour la perspective afin d’habiller un minimum la scène. Il faut aussi s’adapter au décor suivant, puisqu’on joue à 19 heures. Mais, de toute façon, la grandeur c’est le vide. C’est ce que dit Bonaparte dans la pièce : « triste comme la grandeur ». Car la grandeur c’est vaste et vide.

L. O. : De grandeur, cette Conversation est empreinte, avec les projets très ambitieux du Premier Consul …
J.-L. S. : Cette conversation paraît anodine, mais elle ne l’est pas du tout. C’est la transformation d’un homme, Bonaparte, qui passe d’une période de lumière à une période d’ombre. Quand Cambacérès revient, à la fin de la pièce, il lui pose la question « et si votre étoile disparait un jour ? ». Bonaparte s’agace : c’est le Napoléon conquérant. Ce n’est pas le même homme. Cela coïncide vraiment au passage de Bonaparte à Napoléon. Il y a une rupture à ce moment là.

L. O. : Dans sa volonté d’établir l’Empire, Cambacérès le suit. Pourquoi ?
Cambacérès est un homme en fin de vie, entièrement dévoué à Bonaparte parce qu’il lui a fait confiance et que ça a marché. Il a combattu la monarchie pour la République. Or Bonaparte veut instaurer l’Empire. Cambacérès va donc combattre son idéologie pour Bonaparte.
Dans la pièce, Bonaparte sait que si Cambacérès ne suit pas, ça risque d’être très difficile pour lui. C’est un des seuls en qui il a vraiment confiance. Si c’était Talleyrand à la place de Cambacérès, ça aurait été un duel et on n’aurait pas vraiment avancé.

L. O. : Les deux personnages que vous mettez en scène ressemblent à deux contraires. Sont-ils si différents ?
Nous avons voulu montrer l’opposition entre les deux personnages. Il y a un personnage qui agit, Bonaparte, et un personnage qui écoute, Cambacérès. Bonaparte n’est pas un politicien. Comme tous les grands hommes, il se sert de la politique comme un outil. Cambacérès, par contre, est un homme politique. Bonaparte l’utilise. C’est pour cela qu’il faut absolument que Cambacérès le suive dans l’Empire. Mais l’opposition la plus importante, c’est leur rapport au temps.

L. O. : C’est-à-dire ?
Bonaparte est un personnage qui combat le temps. Il a une obsession contre le temps. Il mange en deux coups de cuillère à pot. Cambacérès est aux antipodes : il prend le temps, il vit avec le temps. Cette opposition était importante à développer même si le public ne le ressent pas forcément. Cela a beaucoup aidé les comédiens en tout cas.
Cambacérès est un personnage lent parce qu’intelligent. Bonaparte, lui est rapide parce qu’il est un génie. Il a une intuition, une spontanéité. Cambacérès est un homme de grand talent mais ce n’est pas un génie. Il trouve toujours la réponse adéquate mais il ne peut pas aller aussi vite que Bonaparte. Cambacérès prend le temps d’écouter et il comprend tout. Il comprend que l’homme qui est en face de lui va trop loin et il lui dit. C’est la seule fois où il s’adresse directement à Bonaparte, lorsqu’il l’avertit que le retour de bâton peut faire très mal. Il le suit quand même parce qu’il l’aime, parce qu’il lui est « entièrement fidèle » comme il le dit au début. Cambacérès est un serviteur au sens noble.

En fait, c’est la dévotion d’un homme, Cambacérès, et l’estime d’un autre, Bonaparte, qui sont face à face.

Propos recueillis par Laurent Ottavi (mars 2013)

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