Jacques Perot, conservateur des musées et châteaux de Compiègne (2000)

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Conservateur général du patrimoine, Jacques Perot est depuis 1998 directeur des musées nationaux et du domaine des châteaux de Compiègne et de Blérancourt. Il est aussi directeur de l'ICOM (Conseil international des musées). (Mise à jour : Emmanuel Starcky a été nommé à partir du 1er juin 2005 directeur des Domaines et Musées nationaux de Compiègne et de Blérancourt, en remplacement de Jacques Perot, parti à la retraite.)
Jacques Perot, conservateur des musées et châteaux de Compiègne (2000)
J. Perot, conservateur (1998-2005) des musées et châteaux de Compiègne

CARRIERE : DU DOCUMENT AU MUSEE

Karine Huguenaud : Jacques Perot, vous êtes archiviste-paléographe de formation. Pourquoi avoir choisi cette voie ?
Jacques Perot : J'ai fait l'Ecole des Chartes principalement parce que j'avais envie de travailler dans les archives. A l'origine, je suis donc plus historien qu'historien de l'art. Au début de ma carrière, j'ai occupé le poste de directeur des Archives de la Vendée et de conservateur du petit musée national des deux Victoires à Mouilleron-en-Pareds. Ce musée, dont je suis toujours le conservateur depuis 25 ans, est consacré à Georges Clemenceau et au maréchal de Lattre tous deux nés dans ce même village du bocage vendéen. Après cinq ans en Vendée, j'ai souhaité revenir à Paris. J'ai alors travaillé aux archives du ministère des Affaires étrangères et été secrétaire de la commission des archives diplomatiques.

K.H. : Comment s'est effectué votre passage vers les musées ?
J.P. : Le virus des musées s'était installé en moi et progressivement j'ai été beaucoup plus sensible à l'objet qu'au document. En 1980, il s'est trouvé une opportunité que m'a proposée à l'époque Hubert Landais, le poste de conservateur du château de Pau. Le type de formation un peu polyvalente de l'Ecole des Chartes, allié à un sens de la rigueur historique, convient tout à fait à ce genre de lieu. Un certain nombre de grands responsables de châteaux-musées étaient d'ailleurs des chartistes comme Jean-Pierre Samoyault à Fontainebleau ou Jean-Pierre Babelon à Versailles.

K.H. : Première rencontre avec Napoléon à Pau ?
J.P. : J'ai été conservateur du château de Pau pendant huit ans. Je n'y ai pas beaucoup rencontré Napoléon, bien qu'il y soit venu et qu'il ait commandé des projets de restauration du château, jamais réalisés, ainsi que des transformations urbanistiques dans la ville en créant la place aujourd'hui royale qui s'ouvre vers les Pyrénées. En revanche, Napoléon III et Eugénie y ont fait plusieurs séjours, Pau étant un peu en concurrence avec Biarritz pour les séjours impériaux. Les souverains ont marqué le lieu en poursuivant et achevant la politique de restauration lancée par Louis-Philippe.  
 
K.H. : Vous occupez ensuite le poste de directeur adjoint de l'Ecole du Louvre et de l'Ecole du Patrimoine avant de prendre la direction du musée de l'Armée aux Invalides.
J.P. : J'ai été contacté par le Ministère de la Défense au moment il souhaitait donner un développement et une ouverture nouvelle au musée de l'Armée. Nommé directeur de cet établissement public, j'y ai fait deux mandats de trois ans en essayant d'ouvrir ce musée vers la société civile, de mettre en valeur le site et les collections par un certain nombre d'actions et de faciliter son développement par des créations matérielles comme l'auditorium ou des équipements pour les expositions temporaires qui manquaient au musée de l'Armée pour fonctionner comme un grand musée à l'échelle de l'importance de ses collections.  
 
K.H. : Que vous reste-t-il de cette confrontation avec l'épopée napoléonienne ?
J.P. : Elle reste toujours un objet de fascination. D'autant plus que le directeur du musée de l'Armée par les statuts du musée a le titre étonnant de  » gardien du tombeau de l'Empereur « . Dans la création du musée de l'armée au début du siècle, il y avait une vraie volonté de mettre l'accent sur ces périodes napoléoniennes plus que sur d'autres.  
 
K.H. : Vous avez été et êtes responsable de musées installés dans des monuments historiques. L'attrait d'une mission se trouve-t-il renforcé par le prestige d'un lieu, par son pouvoir d'évocation ?
J.P. : Pour moi beaucoup. J'ai été responsable de trois lieux historiques, Pau, Compiègne aujourd'hui et les Invalides. Dans les métiers de la conservation, il existe une spécialisation différente qui est celle des conservateurs de ce type de lieux dont l'histoire est liée à la grande histoire par la fréquentation des souverains et par les événements qui s'y sont passés. Il faut donc les traiter comme les témoins de ces événements et comme les témoins aussi du goût, de la manière de vivre d'une cour à une époque donnée. 

COMPIEGNE

Portique d'entrée du château de CompiègneK.H. : Depuis quand êtes-vous directeur du musée national de Compiègne ?
J.P. :
Depuis le 18 mai 1998 et je suis très heureux de retrouver ce que je considère être comme ma vocation, un musée-château ou un château-musée. 
 
K.H. : Du point de vue administratif Compiègne est pourtant un musée national ?
J.P. :
Compiègne est effectivement un musée national. Sur le plan administratif, son statut a changé au début de 1999. C'est un service à compétence nationale qui réunit plusieurs entités, les musées du château, le parc et le domaine ainsi que le musée de la Coopération franco-américaine de Blérancourt.

Je suis le premier conservateur de musée à être aussi l'administrateur du domaine ou du territoire, c'est à dire de tout ce qui subsiste appartenant à l'Etat dans les environs du château : le petit parc, le jardin fleuriste, la pompe à feu sur les bords de l'Oise qui ne se visite pas, (elle fut construite sous le Premier Empire pour notamment alimenter en eaux la serre tempérée), le théâtre impérial, de l'autre côté de la rue, qui est concédé à des associations de restauration et de gestion artistique, mais qui fait toujours partie du domaine, ainsi que la place d'armes qui n'appartient pas à la ville mais au château et sur laquelle il faudra faire des aménagements et trouver des solutions pratiques pour le stationnement.
 
K.H. : Revenons sur cette notion de musée-château ou de château-musée. Comment le château trouve-t-il sa place dans cette définition ?
J.P. :
Je crois que les châteaux-musées sont à la frontière entre l'histoire et l'histoire de l'art. Ce ne sont pas des vrais musées, ce sont avant tout des châteaux qui conservent des collections. Leur vocation première est d'être des demeures. Il faut savoir également que le public des châteaux n'est pas exactement celui des musées. C'est quelque chose qui n'est pas toujours compris par ceux qui traitent des problèmes des musées. Le musée est le lieu où l'on a envie de mettre en valeur les chefs-d'oeuvre, d'attirer l'attention sur des objets. Dans un château-musée, un chef-d'oeuvre, aussi beau soit-il, reste simplement un des éléments d' un décor, d'un cadre de vie. 
 
K.H. : Quelles sont les difficultés à faire cohabiter des musées assez différents dans un château qui a su retrouver son identité de résidence royale et impériale ?
J.P. :
Par rapport aux autres châteaux royaux et impériaux, Compiègne a le privilège de posséder une cinquantaine de pièces avec un décor complet. C'est un lieu où on peut lire plus facilement que dans d'autres la vie de cour et la composition des appartements ; les choses y sont plus accessibles. C'est un très grand château, 1400 pièces, 55 000 m2 de planchers, deux hectares de toitures, donc très logiquement s'y sont développés d'autres types d'utilisation à but culturel comme le musée du Second Empire. Mais là aussi, un musée dans un château ne se traite pas comme un musée dans un lieu neutre et il faut une certaine logique et une cohérence avec l'ensemble, ce qui est le cas avec le musée du Second Empire et le musée de l'Impératrice.

RESTITUTION HISTORIQUE ET MUSEOGRAPHIE

Chambre à coucher de l'ImpératriceK.H. : Compiègne a été défini comme  » le premier essai en France de restitution historique du cadre de la vie des anciens souverains dans les parties ouvertes au public d'une demeure de la Couronne « . Pouvez-vous nous rappeler brièvement les grands principes de la restitution historique ?
J.P. : C'est un peu une spécialité française qui découle des réflexions et des enseignements d'historiens de l'art et conservateurs comme Pierre Verlet. La restitution historique a été appliquée dans différents lieux comme Fontainebleau, Compiègne, Malmaison et Versailles.

C'est le choix de restituer tout ou partie d'appartements historiques dans leur état à une époque donnée, par exemple sous tel souverain. Ce qui signifie que tous les meubles ou décors antérieurs à cette époque n'y ont plus leur place, de même que tout ce qui avait pu être modifié ultérieurement. Tout doit être remis à l'état de l'époque choisie. Les choix sont conditionnés par certains critères. Tout d'abord la faisabilité. Sans meuble du XVIIIe, il est impossible d'envisager de restituer une chambre de Louis XV ou de Marie-Antoinette. Puis la documentation. C'est un vrai travail de recherches des sources. Il faut retrouver les éléments du décor de l'époque dont nous savons qu'un certain nombre sont périssables comme les soieries. Le principe est alors de refaire à l'identique ce qui permet également la survivance de certains métiers d'art. La restitution des états historiques fut la grande politique menée par les conservateurs de Compiègne après la seconde guerre. Initiée par Max Terrier, elle fut poursuivie par Jean-Marie Moulin.
 
K.H. : Quels étaient les choix envisageables à Compiègne ?
J.P. :
On aurait pu essayer de préserver le maximum de l'Ancien Régime puisque ce château a été construit par Gabriel pour Louis XV et que la plupart des décors intérieurs ont été achevés sous Louis XVI. On pouvait choisir le Premier Empire puisque Napoléon a entièrement remeublé et redécoré le château, de deux manières différentes selon les espaces : certains ont gardé leur décor du XVIIIe siècle, et seul le mobilier a été renouvelé, d'autres ont été plus somptueusement décorés sous la direction de Berthault. Le troisième choix possible était de dire ce château a vécu et son dernier aboutissement est le règne de Napoléon III. Mais l'état historique Napoléon III avait déjà été bouleversé par certains conservateurs au XIXe siècle, puis lorsque le château fut pour la dernière fois la résidence d'un souverain pendant le cours séjour du tsar Nicolas II, un événement dont nous allons fêter le centenaire en 2001. 
 
K.H. : Quelle période a-t-on finalement privilégiée ?
J.P. :
La politique appliquée à Compiègne aboutit à un choix principal portant sur la période Premier Empire. Cela concerne une bonne partie de l'appartement de l'Empereur, de l'Impératrice, de l'appartement du Roi de Rome et de l'appartement double de Prince avec quelques hiatus, soit dans le sens qu'on n'a pas voulu détruire, soit que l'on ne disposait pas des éléments pour refaire l'état Empire. On trouve notamment à Compiègne des exemples particulièrement significatifs de la diversité, de l'originalité et de l'audace des choix et des alliances de couleurs. Compiègne est un des lieux où on peut combattre les préjugés sur les couleurs emblématiques de l'Empire. Il propose une excellente vision du goût de cette période.
Le Second Empire a été très fortement négligé. A part le Salon des Cartes, l'ancienne chambre du roi qui est le Salon de Famille, le Salon de Musique de l'Impératrice et la Galerie Natoire, on ne voit pratiquement pas d'état Second Empire. Le Salon de Musique, en très mauvais état, est très intéressant car il dit beaucoup de choses sur le goût personnel de l'Impératrice Eugénie, sur l'éclectisme du style Second Empire. J'aimerais le restaurer. Il faut savoir enfin qu'on ne voit que ce qui a été restitué et qu'il existe d'autres possibilités. 
 
K.H. : Approuvez-vous l'ensemble de cette politique de restitution ?
J.P. :
Cette politique a été menée de manière remarquable mais aurait-on aujourd'hui le courage de détruire des états qui sont en fait l'aboutissement de la vie d'une demeure. En détruisant les états ultimes de la vie d'une demeure, on supprime des strates de son histoire. On a fait des choix que je ne conteste pas, mais je crois que maintenant une réflexion plus approfondie doit être menée sur ce problème de restitution. Aujourd'hui, on opterait peut-être pour des choix différents. Mais, il faut reconnaître que grâce à ces restitutions, Compiègne possède un ensemble d'art décoratif du Premier Empire tout à fait exceptionnel.
 
K.H. : Parlons maintenant du musée du Second Empire.
J.P. :
Le parti qui a été choisi et qui remonte aux années 50 est un parti relativement ambigu dans sa muséographie puisqu'il va même jusqu'à singer les restitutions comme dans la  » chambre  » de l'Impératrice. On a expliqué précédemment aux visiteurs que les appartements historiques étaient exacts et authentiques et là vous êtes dans une construction totalement artificielle et sans fondement historique. Dans la réflexion que nous allons mener à l'avenir sur les collections du Second Empire, il faudra prendre en compte cette ambiguïté et la non mise en valeur des valeurs fortes. Il manque par exemple une salle Winterhalter ou la mise en valeur de l'orfèvrerie. En fait, les acquisitions nouvelles se fondent dans un ensemble et on ne les remarque pas. On ne sait pas quel est le thème de chaque salle. La muséographie doit être sans doute plus authentiquement celle d'un musée. J'aimerais commencer à faire évoluer progressivement ces salles, ne serait-ce que sous forme de test.

ACTIONS CULTURELLES

K.H. : Quels sont vos objectifs concernant l'ouverture du château au public ? Celui-ci n'a-t-il pas un peu de mal à cerner la véritable identité historique du château ?
J.P. :
C'est tout à fait vrai. Si l'on récapitule le contenu du château premièrement ce sont les appartements historiques, deuxièmement le duo musée du Second Empire/musée de l'Impératrice, troisièmement le musée de la voiture et du tourisme et quatrièmement le parc. Je considère que le parc est un élément aussi important que ce qui se trouve à l'intérieur du château. En ce sens, nous venons d'adopter un nouveau logo où le château a primé avec l'idée de l'extérieur. Comme chaque élément justifie d'une visite séparée, on a un peu un problème d'image. Si l'une des richesses du château de Compiègne est de proposer plusieurs types d'ameublement et de décor, c'est aussi un peu une difficulté pour un public non averti qui a peut-être plus de mal à passer d'une époque à l'autre.

La salle des ColonnesK.H. : Quels aménagements envisagez-vous ?
J.P. :
Nous avons un problème de circulation des visiteurs, de types de visites, de mauvaise information. Le principe a été adopté de transférer l'accueil et de restituer à la salle des Colonnes le statut de salle d'accueil qu'elle avait au XIXe siècle (il n'est qu'à lire les récits des arrivées au moment des Séries). Sur un plan décoratif c'est peut-être dommage mais on n'entre pas dans un château par une petite porte latérale ! On entrera donc par la cour d'honneur et la porte centrale pour trouver dans cette salle des Colonnes tous les éléments d'information, d'orientation, de boutique.

Le départ et le retour des différents circuits de visites se feront par cet espace situé au centre du plan triangulaire du château d'où son efficacité. Ce sera notre pyramide intérieure. J'ajoute que ces activités devront respecter le décor des lieux.
 
K.H. : Et en ce qui concerne le programme des visites ?
J.P. :
Nous conservons deux éléments en visite guidée, les appartements historiques et le musée de la voiture et du tourisme d'une part pour des raisons de personnel et d'autre part parce que le public des châteaux est souvent un public moins informé que celui des musées ; il a donc besoin qu'on lui explique l'histoire. Je souhaite garder en visite libre le musée du Second Empire. D'autres éléments, soit plus fragiles, soit qui constituent pour le grand public un doublement de la visite des grands appartements comme l'appartement du Roi de Rome et l'appartement double de prince font l'objet de visites-conférences. Compiègne propose plusieurs produits de visite qui ne se doublent pas mais se complètent : les visites guidées par des agents qui sont une première approche et les visites-conférences par les conférencières des musées nationaux qui offrent des approches nouvelles et des thématiques particulières répondant aux demandes d'amateurs éclairés et qui se renouvellent chaque saison. Les deux types de produits sont donc complémentaires et non concurrentiels. 
 
K.H. : Quel est le programme d'expositions pour l'an 2000 – 2001 à Compiègne ?
J.P. :
La première exposition importante se situe à l'automne et s'intitule  » Le comte de Nieuwerkerke, art et pouvoir sous Napoléon III « . Personnage proche de la famille impériale moins connu que Denon mais qui a eu les mêmes fonctions sous le Second Empire, il a incarné la position officielle du régime en matière artistique. Haut fonctionnaire, homme de cour, collectionneur, cet esthète fut aussi un sculpteur intéressant. Toutes les facettes du personnage seront présentées et cette exposition permettra une excellente immersion dans le monde artistique du Second Empire.
2001 sera consacré à l'évocation du séjour de Nicolas II et l'impératrice Alexandra, séjour officiel avec tout son protocole, ses échanges de cadeaux, mais aussi ses enjeux politiques. En quelques semaines Compiègne a été métamorphosé. C'est un peu de tout cela que nous rendrons compte avec l'aide des grands musées russes. 

Chambre à coucher de l'EmpereurK.H. : Pour conclure, pouvez-vous nous évoquer vos oeuvres préférées à Compiègne ?
J.P. :
Je reste fasciné par la thématique décorative du lit de Napoléon. Sans doute moins spectaculaire que celui de l'Impératrice du également à Jacob-Desmalter, il donne une image particulièrement originale puisque sur le décor de sa face principale figure un arc dont la corde est distendue, symbole fort de la paix et du repos qui suit les combats, en quelque sorte le  » repos du guerrier « .
Pour le XVIIIe siècle, si je ne peux laisser de côté les superbes commodes de Benneman du salon des jeux de la Reine Marie-Antoinette ou la paire de commodes de Riesener livrée pour le cabinet intérieur de la Reine, je choisirais la commode d'époque Louis XVI livrée par Daguerre pour le cabinet du Roi à Saint-Cloud et qui figure dans l'appartement de l'Impératrice depuis 1810. Le style Louis XVI y apparaît dans sa manière la plus élégante et simple (les mots sont d'ailleurs synonymes) : équilibre de la forme, qualité de l'acajou et des bronzes en font un véritable chef-d'oeuvre.

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