Mobilier national : La vie de l’Empereur en campagne semble avoir été abondamment étudiée ou présentée au public, comme cela a été le cas à l’Arc de Triomphe à Paris, en 2005, alors pourquoi une exposition aujourd’hui et qu’apporte-t-elle de nouveau ?
Jehanne Lazaj : Les différentes manifestations et publications que vous évoquez ont concentré leurs recherches et ont remarquablement montré la logistique propre aux campagnes mais moins le quotidien de l’Empereur en déplacement et au cours des batailles. En travaillant avec Justin Beaugrand-Fortunel, étudiant en histoire de l’art, sur la collection du mobilier de campagne des souverains conservé au Mobilier national, je me suis rendu compte que l’ensemble des éléments n’avait jamais vraiment fait l’objet d’une étude précise et que des erreurs étaient véhiculées depuis de nombreuses années. L’exposition proposée aujourd’hui au musée des Beaux-Arts d’Ajaccio permet de rétablir certaines vérités mais elle donne, surtout, à voir pour la première fois de manière complète et au plus près d’une authenticité historique, la reconstitution du bivouac de Napoléon. Elle livre aussi aux lecteurs de son catalogue, publié chez Silvana editoriale, les conclusions d’une étude approfondie portant sur les différents modes de campements du souverain et par comparaison de ses soldats.
Mobilier national : Quelles sont selon vous, les caractéristiques de cette exposition et quels ont été les partenaires impliqués dans le projet ?
Jehanne Lazaj : L’exposition est réalisée dans le cadre d’un conventionnement relatif à plusieurs projets de coopération, établi entre le palais Fesch (ville d’Ajaccio) et le Mobilier national (Ministère de la Culture). Elle compte 75 œuvres allant du bidet de l’Empereur à de grands tableaux de Lejeune et Mongin, de la tente impériale rentrée d’Espagne en 1809 à des documents originaux comme les commandes du Garde meuble impérial pour pourvoir Napoléon en matériel de « camping ». Ce sont 13 prêteurs tant privés (la Fondation Napoléon par exemple) que publics (châteaux de Versailles, Fontainebleau et Malmaison, musée de l’Armée, Archives nationales, etc.) qui par leur générosité et leur réactivité ont rendu ce projet possible. Le Mobilier national présente, à lui seul, une trentaine de biens culturels. A l’initiative du projet, cette institution a surtout mis ses multiples compétences au service de cette manifestation. En effet, tous les ateliers de restauration dont plus particulièrement l’atelier de Tapisserie-décor, et l’Atelier de Recherche et de Création, spécialisé en design contemporain, ont participé à la restauration de la tente, à la réalisation de son support de présentation et à la reconstitution complète du bivouac (tapis, garniture et literie, etc.). Appuyée sur des recherches fouillées en archives, cette réalisation a bénéficié des savoir-faire anciens identiques à l’époque évoquée dans l’exposition mais aussi des pratiques de pointe!
Mobilier national : Vous parlez de la restauration de la seule tente attestée de l’Empereur mais cette exposition a aussi permis une étude approfondie du lit pliant de l’Empereur…
Jehanne Lazaj : En effet, Justin Beaugrand-Fortunel a mené une enquête étonnante sur Marie-Jean Desouches, le serrurier fournisseur de ce célèbre lit de fer et de ces différents modèles, y compris celui réservé à l’impératrice Marie-Louise ou celui utilisé par Napoléon dans ses palais. C’est plus largement, comme dans toute l’exposition, l’étude du luxe, du confort et des prouesses de l’artisanat d’une époque au service d’un homme connaisseur et exigeant dont il est question. Ce sont enfin, le respect et le poids, même en campagne, de l’étiquette impériale qui sont expliqués dans l’exposition…
Mobilier national : La presse a beaucoup parlé du fauteuil de campagne de l’Empereur endommagé par un gardien du musée d’Ajaccio pendant le montage de l’exposition mais pouvez-vous nous dire ce qui s’est réellement passé et les conséquences que cet incident aura ?
Jehanne Lazaj : Il est vrai que l’incident a été présenté comme un fait divers cocasse. De plus, l’idée que celui-ci incident puisse être « un mal pour un bien » a même été abondamment véhiculée. Abîmer un objet d’une valeur inestimable et forcer à sa restauration ne peut être un acte positif même si, heureusement et grâce à la réactivité de la Ville d’Ajaccio, la réfection d’urgence a été très bien menée et a permis à l’objet de reprendre sa place dans l’exposition. Cela semblait pourtant bien compromis! Ce fauteuil a perdu pour partie son intégrité car les montants de bois ont été fragilisés et le dossier a été déchiré alors qu’ils étaient intacts depuis 200 ans ! Pour ce qui est de l’assise du siège, elle possédait une restauration ancienne qui a été reprise du fait d’une nouvelle déchirure et qui a été qualifiée à tort de « mauvaise ». En fait, elle a été réalisée, il y a de nombreuses années, selon des techniques obsolètes aujourd’hui. Comme pour une peinture, on « dé-restaure » parfois des meubles pour reprendre un travail plus respectueux de l’objet, avec des produits moins agressifs. Le siège sera d’ailleurs intégralement restauré à nouveau, plus tranquillement et en profondeur après la fermeture de l’exposition. De toute manière, il a vocation dans les années à venir à retourner dans sa vitrine au Musée de l’Armée, car le dommage qu’il a subi l’a fragilisé et ses mouvements seront réduits.
Mobilier national : Enfin, une itinérance de l’exposition est-elle envisagée ?
Jehanne Lazaj : Oui, une itinérance est d’ores et déjà envisagée à l’île d’Elbe au sein de la galerie Demidoff à partir du 19 juin et pour trois mois. Elle concerne une partie réduite de l’exposition comprenant les oeuvres du Mobilier national et de la Fondation Napoléon. Et, on espère peut-être, aussi, prochainement faire cette présentation à Paris. En fait, l’exposition proposée aujourd’hui est le premier jalon d’un travail engagé au Mobilier national depuis 2011. Elle s’inscrit, en effet, dans un cadre plus large d’étude, de traitement des objets et de publication des résultats portant sur toute la collection du mobilier de campagne et de voyages des souverains. Celle-ci renferme par exemple, un ensemble complet d’éléments utilisés par les fils de Louis-Philippe lors de la conquête de l’Algérie ou encore une tente offerte à Louis XVI par un sultan! Ce travail appelle des partenariats en cours d’élaboration avec d’autres institution ou unités de recherches.
En collaboration avec le Mobilier national, mars 2014