L’esprit public sous le Consulat : trois questions à Michel Roucaud

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À l’occasion de la parution aux Éditions du Cerf de L’esprit public sous le Consulat qu’il a co-écrit avec François Houdecek, responsable des projets spéciaux à la Fondation Napoléon, Michel Roucaud, chargé d’études documentaires principal et adjoint du chef de la division archives privées du Service historique de la Défense, revient sur la nature de ses recherches pour cet ouvrage.

Propos recueillis par M. de Bruchard en avril 2019.

<i>L’esprit public sous le Consulat</i> : trois questions à Michel Roucaud
L'esprit public sous le Consulat - Michel ROUCAUD, François HOUDECEK © Éditions du Cerf 2019jpg

napoleon.org : Quelle est la nature des documents publiés ? Étaient-ils connus des historiens ?

Michel Roucaud : Il s’agit des rapports du ministre de la Guerre adressés au Premier consul. Nous n’avons pas publié ceux adressés à l’Empereur. Ces rapports ont été établis à partir de la correspondance du ministre avec les généraux commandant les divisions militaires territoriales, eux-mêmes étant renseignés par les commandants de place, les commandants d’unité, les gendarmes… Pendant des Bulletins de Police les rapports du ministre de la Guerre à l’époque du Consulat enrichissent les connaissances sur l’esprit publique en même temps que sur l’organisation, le fonctionnement et « l’ambiance » aux armées. De plus, ces rapports traitent non seulement d’information politique mais aussi d’information stratégique, avec la surveillance des côtes et des frontières.
Cette source a été oubliée des historiens. Une des principales raisons à cela se trouve dans l’historiographie. Pour beaucoup la Révolution et l’Empire ont été des temps du renseignement policier, le milieu du XIXe siècle étant, pour eux, celui du renseignement militaire. L’édition de cette source prouve que la réalité est plus complexe.

napoleon.org : Qu’elles sont les spécificités du contrôle du territoire par les militaires ? Est-ce une nouveauté de la Révolution et de l’Empire ?

Michel Roucaud : Ces documents témoignent de la participation des militaires à la pacification de la France consulaire, mais également à la reprise en main du territoire, ainsi qu’à la prise de contrôle des départements annexés à la France. L’information qui remonte du territoire au sommet de l’exécutif porte sur l’ordre social, la paix religieuse, la police militaire, l’application de la conscription, le contrôle de la bonne exécution des ordres ainsi que celui des administrations civiles. La présence du militaire sur tout le territoire participe activement à cette pacification voulue par Bonaparte.
Ce n’est pas une nouveauté du nouveau régime. Comme dans beaucoup de domaine le Consulat hérite de ce rôle du militaire dans le contrôle du territoire. Sous l’Ancien Régime, seules les provinces frontières avaient des gouverneurs militaires chargés de renseigner le gouvernement et de servir de bras armé de l’État monarchique. À cela s’est ajoutée l’habitude des troupes d’assurer des missions de police et de maintien de l’ordre au XVIIIe siècle dans les villes où elles tenaient garnison. Avec le régime directorial et l’application de « l’état de siège », l’attribution de ces missions aux militaires ont augmenté considérablement. Enfin, ce contrôle repose sur le découpage administratif des divisions territoriales militaires créées par l’ordonnance royale du 17 mars 1788. À partir de 1791, les divisions militaires furent composées de plusieurs subdivisions formées par les départements. Le général de la division a autorité dans l’étendue de son commandement sur les troupes, les commandants des subdivisions territoriales et les commandants de places, les commandants de subdivisions territoriales ayant eux-mêmes autorité sur ces derniers. Cet « endivisionnement » constitue de fait un véritable réseau militaire couvrant tout le territoire, dans lequel se trouvent aussi les gendarmes.
Cependant, sous le consulat, la normalisation et la fréquence de ces rapports sont nouvelles. Ces synthèses doivent renseigner le Premier Consul au plus vite, le savoir étant la condition sine qua none du pouvoir.

napoleon.org : Que disent ces documents de la gestion de l’État par Napoléon ? 

Michel Roucaud : Ils replacent en perspective le rôle des militaires – commandants de place, commandants d’unité, gendarmes…- dans cette « culture de l’information » établie par Napoléon pour gouverner et administrer la France puis l’Empire. Initialement instruments politique, les Rapports du ministre de la Guerre sont désormais des documents de première importance pour la compréhension de la politique napoléonienne, qui repose certes sur la centralisation et un exécutif fort, mais aussi sur des corps intermédiaires et une véritable politique d’information, érigée en « savoir d’État » de première importance.

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