napoleon.org – Monsieur Gasparini, qui êtes-vous ?
Michel Gasparini – Je suis né le 3 Novembre 1949 à Rioupéroux (commune de Livet-et-Gavet, Isère) Est-ce un signe prémonitoire ? Je ne sais pas ! Mais mon lieu de naissance est situé à 25 km de la prairie de la rencontre à Laffrey, lieu bien connu du retour de l’Aigle en France et du début des Cent-Jours, et à 15 km de Vizille, berceau de la révolution française en 1788. Par ailleurs, je réside depuis 1963 dans la vallée de La Maurienne, où les troupes de Bonaparte sont passées pour se rendre en Italie par le col du Mont-Cenis. Bonaparte a même dormi à Saint-Jean-de-Maurienne.
Comptable de métier, à compter de 1973, j’ai toujours travaillé à mon compte au sein de diverses sociétés créées par mes soins. Depuis 2009, je suis retraité. J’écris beaucoup, uniquement pour mon plaisir, mais j’ai publié à compte d’auteur cinq livres dont trois romans policiers (dont un s’est classé 3° sur 81 au prix du Quai des Orfèvres 2010).
napoleon.org – Dans quelles circonstances avez-vous été amené à être à Sainte-Hélène, il y a 50 ans, pour le 150e anniversaire de la mort de l’Empereur ?
Michel Gasparini – En juillet 1970, comme tous les conscrits de mon âge à cette époque, j’ai été appelé sous les drapeaux. La chance a voulu que je sois « versé » dans la marine. En août de cette même année, j’ai rejoint Toulon. Pour sûr, nous étions peu de savoyards à porter le pompon ! Après avoir passé une spécialité comme détecteur de sous-marins, j’ai embarqué sur le Frondeur, un escorteur côtier (les escorteurs côtiers étaient alors les plus petits bâtiments de guerre après les dragueurs de mines). L’équipage comprenait 70 marins, appelés ou engagés, y compris les matelots, les quartiers-maitres, les sous officiers et 4 officiers, dont le commandant. Le Frondeur était petit – 51 m de long, 7 m de large, 2 m de tirant d’eau-, âgé de 20 ans, mais vaillant. Je ne dirai pas que servir sur ce petit navire était des vacances mais ça y ressemblait, tant l’ambiance était bon-enfant. Il n’empêche, chaque année, lui ou les escorteurs côtiers de sa catégorie, partaient- entre autres – durant quatre mois environ naviguer le long de la côte ouest de l’Afrique. Ils représentaient la France pour diverses missions, dont quelques-unes de représentation, dans divers pays (Sénégal, Togo, Cote d’Ivoire Gambie, Mauritanie, … jusqu’au Gabon). Nous avons appareillé le 23 mars 1971 pour effectuer ce périple. Nous avons fait escale à Lomé, capitale du Togo. Et à partir de ce jour-là, mon voyage a pris une tournure dont je n’aurais jamais eu la moindre idée.
Nous avons reçu un message qui ordonnait à notre commandant à se rendre à Sainte-Hélène, île où les Anglais avaient emprisonné Napoléon en 1815. Pourquoi un tel ordre ? Tout simplement parce que le Frondeur était le bateau de guerre de la Marine nationale qui se trouvait le plus près de l’île. Et alors, me direz-vous ? Et alors le ministre des Armées avait décidé, avec le Président Pompidou, de renouer les relations diplomatiques avec la population de cet îlot faisant partie du Commonwealth. Il était dit qu’une telle visite ne s’était jamais produite depuis que la frégate la Belle Poule avait ramené le cercueil de l’Empereur en Europe, malgré le passage de quelques bâtiments tel que le Jeanne d’Arc. Il va sans dire que le commandant a obtempéré. Nous avons embarqué le consul de France au Togo et son secrétaire, et nous étions partis ! Trois jours de mer pour l’aller, trois jours au mouillage, au large du port, car on ne pouvait accoster, faute de tirant d’eau, et trois jours au retour avec escale à Abidjan. Six jours de navigation sans voir un seul bateau, c’est monotone. Mais quel souvenir !
napoleon.org – Quel est le souvenir le plus marquant que vous avez gardé de cet anniversaire ?
Michel Gasparini – Plusieurs souvenirs me reviennent en mémoire. Le premier, c’est lorsqu’au petit matin, sortant de la brume, j’ai aperçu le Rocher de Sainte-Hélène. Comme tous les petits Français, j’avais admiré le tableau représentant Napoléon regardant de son sommet l’Atlantique en rêvant de la France. C’était émouvant. Le deuxième souvenir marquant, ce fut la petitesse de l’Ile, son isolement, son peu d’habitants. Soudain, j’ai pris conscience de la peur qu’éprouvaient les Anglais pour Napoléon. J’ai matérialisé sur place certains faits : il paraissait qu’en 1815, il fallait plus de deux mois de navigation pour y aller, l’île est perdue dans l’Atlantique, car elle n’est pas sur une route maritime. Et, de plus, il y avait toute cette garnison pour le surveiller, alors que Sainte-Hélène est pratiquement inabordable par Jamestown, sa capitale, qui n’a pas de port en haut profonde… Mon troisième souvenir marquant, ce fut la visite du domaine de Longwood, de la maison de Napoléon. Certes le lieu est agréable par beau temps, mais sinistre lorsqu’il pleut et que la brume envahit le plateau. La maison est basse de plafond. En 1971, elle était restée « dans son jus », et n’avait subi qu’une restauration. Le plus impressionnant, c’est sa petitesse, y compris le mobilier de l’époque (le lit, en particulier, m’a marqué). Pour moi, qui était si admiratif de Napoléon Bonaparte, cet Empereur autoproclamé qui avait dominé l’Europe, qui brillait par sa grandeur… de l’imaginer dans cette gentilhommière sans lustre à la limite de l’ordinaire m’a stupéfié. Une fois encore, j’ai pensé aux Anglais. Quelle rancune ils portaient à leur ennemi ! Un tel avilissement, c’en était choquant et Napoléon avait dû en souffrir horriblement. Pour sûr, il avait été ravalé au rang d’un malfaisant. Idem pour sa tombe, entourée d’une barrière métallique sans ornement, au sein d’une clairière sans caractère, à mes jeunes yeux. Le quatrième souvenir est celui de l’arrivée du gouverneur de l’île. Ce jour-là, seuls les engagés, les sous-officiers et le commandement, ainsi que le consul et son secrétaire, se rendirent à terre pour les cérémonies. Sur la tombe, des salves furent tirées.
Personnellement j’étais de garde à la coupée, donc je ne suis pas allé à terre. Par contre, j’ai assisté à un spectacle épique. Le gouverneur et quelques membres de son gouvernement étaient venus chercher le commandant, les officiers et les honorables civils français. Pour ce faire, le gouverneur – je me souviens de ce monsieur métis a la peau très foncée -, avait utilisé une baleinière (grosse barque) à moteur. Il se tenait droit comme un I, à coté de la roue du gouvernail manœuvré par un ilien. Or, quelle ne fut ma surprise, en voyant « l’homme d’État » dans sa tenue d’apparat. Aux pieds, il portait des chaussures noires vernies. Elles rutilaient au soleil. Comme tout bon membre du Commonwealth, pour cette cérémonie officielle, il avait revêtu un frac noir à queue de pied, une chemise blanche à jabot, des gants blancs et, pour couronner le tout, sa tête s’ornait d’un magnifique haut de forme. Ah il avait fier allure… Et, quand on a 22 ans, un rien vous surprend et vous amuse : ça vous marque un matelot savoyard.
Bien sûr, j’ai d’autres souvenirs mais ils sont plus banals. Cette escale, cette visite historique, son déroulement m’ont marqué à jamais. La preuve, en 2021 : je vous la décris et la revis comme si elle datait d’hier.
napoleon.org – Avez-vous gardé un objet lié à cette escale sur l’île ?
Michel Gasparini – De Sainte-Hélène, j’ai un regret. En effet, j’ai fait acheter par un copain, à Jamestown, une enveloppe premier jour et une série de timbres commémoratifs. Hélas, mon ami n’a pas eu l’idée de faire oblitérer cette enveloppe officielle avec le tampon de la poste de St Hélène prouvant – s’il le fallait puisque sur mon livret, c’est annoté – que le 5 mai 1971, j’étais à Sainte-Hélène pour la commémoration du 150e anniversaire de Napoléon. Tant pis ! Heureusement je suis revenu de là-bas la tête pleine de souvenirs : la preuve !
napoleon.org – Qu’avez-vous retiré de cette expérience ?
Michel Gasparini – Une impression qui ne m’a jamais quitté : l’empereur Napoléon Bonaparte, malgré ses qualités, ses défauts, ses erreurs, ses réussites, n’a jamais laissé le moindre français épris d’Histoire sans admiration. Voici 200 ans qu’il est mort ; nous, les vivants, nous n’avons pas à le juger. L’Histoire, les historiens, les chercheurs s’en sont chargés, s’en chargent et s’en chargeront dans le respect de la déontologie de leur passion et de la vérité.
Depuis cet « épisode napoléonien » à Sainte-Hélène, j’ai pris plaisir tout au long de ma vie de me rendre sur les lieux liés à l’Empereur. En Italie (Naples, Pont d’Arcole, Rivoli, Mont-Cenis ) ; à Paris aux Invalides, dans les autres grands monuments napoléoniens; en Égypte ; à Austerlitz ; à Ajaccio, pour voir sa maison natale… J’ai fait la Route Napoléon et bien d’autres lieux marqués de son empreinte.
napoleon.org – Envisagez-vous de fêter particulièrement le bicentenaire de la disparition de Napoléon cette année ?
Michel Gasparini – J’envisage de me rendre pour quelques jours à Paris lors de l’anniversaire du 200e anniversaire et, sur les conseils avisés de la Fondation Napoléon, j’ai l’intention de visiter les expositions organisées pour cet événement, notamment celle de La Villette.Je n’ai aucune prétention mais – pour la postérité et flatter mon égo – je tiens à marquer d’une pierre blanche ces deux anniversaires à 50 ans d’écart. Après le bicentenaire, j’ai l’intention de continuer mon pèlerinage, et me rendre prochainement aussi à l’île d’Elbe.
Le Frondeur, images de la fin des années 1960