Natalie Petiteau : 4 questions sur les lendemains d’Empire (2004)

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A l'occassion de la sortie de sa dernière étude sur la ré-insertion civile des soldats de l'épopée napoléonienne au XIXe siècle (Lendemains d'Empire : les soldats de Napoléon dans la France du XIXe siècle, Boutique de l'histoire éditeur), Natalie Petiteau, professeur à l'Université de Poitiers, ancienne Lauréate, en 1994, des Bourses d'études de la Fondation Napoléon, a accepté de répondre à quelques questions. (Propos recueillis par I. Delage, 5 février 2004)

Irène Delage : Comment vous est venue l'idée de cette étude ?
Natalie Petiteau :
Je suis avant tout historienne du social et j'ai initialement travaillé sur la noblesse d'Empire en étudiant son devenir durant l'ensemble du XIXe siècle, façon d'approcher la portée de l'oeuvre sociale des années 1800-1815 dans le long terme. Cependant, travailler sur les élites ne peut pas suffire à satisfaire les curiosités de l'historien. Les acteurs de l'Empire ne sont pas que des notables et il m'a semblé primordial de poser au monde des “gens de peu” les questions que les historiens posent plus souvent au sujet des groupes qui ont laissé le plus de sources. 
Par ailleurs, travailler sur le destin des soldats de Napoléon, c'est prendre en compte, toujours du point de vue de l'histoire sociale et non pas de l'histoire militaire, l'impact de cet événement singulier qu'est la participation à la guerre. Il s'agissait là, de plus, de travailler sur les guerres napoléoniennes dans le cadre des renouvellements qui apparaissent aujourd'hui pour les guerres du XXe siècle.
 
I.D.: Quels problèmes particuliers avez-vous rencontrés au cours de ce travail ?
N.P.:
Le problème posé par un tel travail est celui des sources : il est extrêmement difficile de suivre les trajectoires sociales des anonymes. C'est pourquoi j'ai adopté deux méthodes en parallèle. La première a consisté à “faire flèche de tout bois”, à utiliser les différents corpus de sources (archives de la Légion d'honneur, demandes de secours, registres des hôpitaux de Paris, archives de la police, etc) sans ambitionner de pouvoir retrouver un même individu de l'une à l'autre. Ce sont en effet au total près d'un million d'hommes qui rentrent dans leurs foyers…

Une telle approche ne suffisait pourtant pas et la deuxième méthode a consisté à travailler sur un échantillon de dimension restreinte, choisi donc à l'échelon communal, sélectionné dans une commune du département dans lequel je résidais – c'est-à-dire le Vaucluse, étant alors maître de conférences à l'Université d'Avignon. J'ai retenu l'une des rares communes du Vaucluse pour laquelle toutes les sources traditionnelles de l'histoire sociale y étaient disponibles (actes notariés et archives judiciaires compris, mais aussi listes nominatives de recensement, cadastre, etc) : Ansouis. Grâce aux contrôles de troupes fort heureusement conservés en Vaucluse, j'ai pu établir la liste de tous les hommes de cette commune mobilisés, puis j'ai utilisé l'éventail de toutes les sources à ma disposition pour examiner les modalités suivant lesquelles ils se sont réinsérés dans la société civile.
 
I.D.: Quelles sont les principales difficultés auxquelles les soldats napoléoniens ont été confrontées de retour dans la vie civile ?
N.P.:
Les soldats de Napoléon, à leur retour, ont pour beaucoup pu se réinsérer sans difficulté. Pour d'autres, la réinsertion a posé problème quand leur place au sein de l'exploitation agricole familiale n'a pas été préservée, quand s'est fait sentir la suspension de l'apprentissage d'un métier par la mobilisation, quand les séquelles de la vie aux armées les ont empêchés de fonder une famille ou, surtout, quand leurs blessures les ont privés des ressources d'un métier. Par ailleurs, les sous-officiers, politiquement plus remuants, moins prêts que les sans-grade à accepter le changement de régime et le renoncement à la vie des camps et des combats, ont parfois été stigmatisés dans la société du premier XIXe siècle. Reste que ce que Jean Vidalenc avait déjà démontré – à savoir que les demi-solde sont loin d'être tous des bonapartistes activistes – est tout à fait réel.
 
I.D.: Dans quelle mesure pourrait-on dire qu'ils forment un « groupe » homogène ?
N.P.:
C'est finalement dans l'image peu à peu construite de ce groupe que l'homogénéité est apparue, de façon, donc, quelque peu artificielle, et en tout cas a posteriori. C'est surtout lorsque, à partir de la Seconde République puis du Second Empire, quand Louis-Napoléon veille à l'attribution de secours d'une façon de plus en plus systématique, que l'unité du groupe se forge, alors même que beaucoup sont déjà décédés. Et c'est plus encore avec la création de la médaille de Sainte-Hélène que cette unité est affirmée, lorsque chaque survivant se montre soucieux d'obtenir cette marque de reconnaissance.

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