Pierre Branda : "À l’île d’Elbe, Napoléon reprend son destin en main" (avril 2014)

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Dans son nouveau livre, l’historien Pierre Branda, responsable du pôle Patrimoine de la Fondation Napoléon, raconte le règne de l’Empereur sur l’île d’Elbe qui fut plus périlleux qu’on ne le croit. Après sa brutale abdication, il retrouve la maîtrise de son destin, d’abord en se plaçant sous l’aile protectrice de ses meilleurs ennemis anglais, puis en reconstituant son environnement. Menacé par la guerre secrète que lui mènent les Alliés, Napoléon réalise le « coup de maître » du débarquement en France. L’Aigle est de retour dans l’Histoire. (Propos recueilli par Laurent Ottavi, avril 2014)
 

Pierre Branda : "À l’île d’Elbe, Napoléon reprend son destin en main" (avril 2014)
Pierre Branda, responsable du pôle Patrimoine © Fondation Napoléon

Laurent Ottavi : En avril 1814, Napoléon vaincu reçoit la souveraineté de l’île d’Elbe. Qui est à l’origine de cette décision ?

Pierre Branda : Caulaincourt et Alexandre imposent l’île d’Elbe aux Alliés et à l’Empereur via le traité de Fontainebleau. Pour le premier, cette destination représente un établissement convenable, qui permet à la fois à Napoléon d’être en sécurité et de rester à proximité de l’Europe. Caulaincourt fait en sorte que Louis XVIII ratifie le traité. Le tsar estime pour sa part qu’accorder la souveraineté de l’île d’Elbe à Napoléon ne remettra pas en cause la paix. Napoléon va bien vite regretter sa signature. Il est très hésitant au moment de partir : il demande à rejoindre l’Angleterre ! C’est la première fois qu’on lui impose une décision depuis sa jeunesse. Une fois le traité signé, il n’a plus qu’une idée en tête : reprendre son destin en main.

Laurent Ottavi : La clémence du tsar contraste avec l’attitude du gouvernement français, qui est le plus farouche opposant au départ de Napoléon pour l’île d’Elbe. Quelle a été la position des Anglais ?

Pierre Branda : Les Anglais acceptent les requêtes de Napoléon mais restent très méfiants. Néanmoins, le voyage vers l’île d’Elbe se fait sur flotte anglaise, Napoléon craignant la marine française aux ordres de Talleyrand. L’Empereur se place donc avec audace sous la protection de son meilleur ennemi. Il tentera d’obtenir la même chose en 1815, mais les Anglais ne se laisseront pas prendre deux fois et le déporteront à Sainte-Hélène.

Laurent Ottavi : Sur le chemin qui le mène au navire anglais, Napoléon observe les réactions du peuple. Son passage en Provence lui laisse un très mauvais souvenir. Peut-on parler de traumatisme ?

Pierre Branda : Oui. C’est le pire moment de sa vie. Il ne peut plus compter sur son environnement protecteur. Ce n’est pas la Maison de l’Empereur qui organise le déplacement mais Metternich. Rappelons aussi que sa probable tentative de suicide (nuit du 12 au 13 avril à Fontainebleau) est encore très récente. Les royalistes de Provence conspuent Napoléon. À Avignon et à Orgon, sa vie est menacée. S’il avait fini lynché par la foule, dont il avait une peur bleue, cela aurait été terrible pour sa légende ! Napoléon prétexte un besoin pressent pour revêtir l’uniforme de son courrier et se réfugier dans une auberge.

Laurent Ottavi : Vous le citez : « J’ai abdiqué, à présent je suis un homme mort ». Comment renaît-il de ses cendres ?

Pierre Branda : Quand Napoléon prononce cette phrase, il n’a qu’une idée en tête : arriver sain et sauf sur l’île d’Elbe. Il commence à être rassuré quand il est sur un navire anglais. Mais c’est en récréant son environnement (étiquette, palais, sécurité) dans sa principauté qu’il retrouve vraiment la maîtrise et la confiance. Ses réalisations à l’ile d’Elbe tournent autour de cet unique objectif. Il est de nouveau prêt à prendre l’initiative.

Laurent Ottavi : C’est-à-dire à un retour en France ?

Pierre Branda : La guerre secrète menée contre Napoléon isole encore davantage l’île d’Elbe : on empêche les flux bancaires, on essaie de retarder les flux commerciaux, on perturbe les communications. La France exerce un blocus maritime et ne verse pas l’argent qu’elle doit à Napoléon. Aux termes du traité dit de Fontainebleau, les grenadiers français restés aux côtés de l’Empereur perdront leur nationalité française d’ici trois ans. La France désigne en outre le chouan Bruslart comme gouverneur militaire de la Corse, un ennemi presque intime de l’empereur. Le consul de France à Livourne, Mariotti, désigné par Talleyrand l’espionne de près. Grâce à des archives inédites, je lève le voile sur plusieurs de ses agents. A leur lecture, on comprend les intentions très hostiles de la diplomatie française. Avec la Corse, la Toscane sous contrôle autrichien et même les États pontificaux, Napoléon est complètement encerclé ! Il pressent qu’il va perdre une nouvelle fois la maîtrise, soit parce que les soldats partiront soit parce que la pression augmentera. Il lui faut donc revenir en France.

Laurent Ottavi : Napoléon a dans l’idée de revenir en France mais les Alliés s’attendent-ils à un retour de l’Empereur ?

Pierre Branda : La France ne veut pas de Napoléon à l’île d’Elbe, bien trop proche de l’Italie et de son territoire. L’Autriche se rallie peu à peu à la position française. Cependant, le traité de Fontainebleau est à peine signé. Les Alliés attendent que Napoléon tente quelque chose en Italie avec Murat, ou au moins le font croire pour légitimer une déportation de Napoléon sur une île plus lointaine et enlever Murat de son trône de Naples. Or Napoléon ne tentera rien en Italie. Il déjoue les calculs et frappe là où on ne l’attend pas, en France !

Laurent Ottavi : Comment Napoléon et ses hommes contournent la guerre secrète ?

Pierre Branda : L’Empereur s’entoure de nombreux Corses, ce qui n’avait pas été assez souligné auparavant. Ils ont des contacts avec la côte orientale de l’île. Napoléon y possède des partisans qui acheminent discrètement des courriers vers la France. On a aussi parlé de relations postales avec Toulon. Elles sont plus difficiles à prouver, mais c’est possible. Napoléon a sans doute eu des intelligences qui lui ont permis d’aller jusqu’à Grenoble.

Laurent Ottavi : Quelles circonstances ont décidé l’Empereur à partir ?

Pierre Branda : Dans ce livre, c’est ma principale interrogation. Il y a deux déterminants. Au niveau international, Napoléon souhaite quitter l’île avant que ne s’achève le Congrès de Vienne. Il redoute que le Congrès se termine par l’annonce de sa déportation. Au niveau local, le colonel Campbell informe l’Empereur de son absence de l’île pour quelques jours. C’est une fenêtre de tir que Napoléon ne peut pas laisser passer. Mais le colonel anglais,  plus perspicace qu’on ne le croit généralement, lui réserve une surprise deux jours avant le départ.

Laurent Ottavi : S’ensuit le Vol de l’Aigle jusqu’aux Tuileries. On dit souvent que le retour de Napoléon est non-sanglant. Est-ce vraiment le cas ?

Pierre Branda : On oublie la seconde expédition en Corse, qui est un plan de repli en cas d’incident. Napoléon a envoyé des hommes pour soulever l’ile. Une insurrection commençait déjà contre la politique de Bruslart. Les fidèles de Napoléon se sont greffés à ce soulèvement, et ont attaqué les places fortes. L’envol de l’aigle est d’autre part une véritable aventure que je raconte en détail. Un vent contraire ou une indiscrétion aurait pu tout compromettre. Le retour en France fut à très haut risques. Il faut d’ailleurs rappeler que Napoléon était prêt à recourir aux armes. Il a demandé du renfort à Murat. Mais la surprise et la vitesse de son plan ont été si efficaces que ça n’a pas été nécessaire.

Laurent Ottavi, avril 2014

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