Pierre-Jean Chalençon, un collectionneur pas comme les autres (2003)

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Pierre-Jean Chalençon, un collectionneur pas comme les autres (2003)
PJ Chalençon, portant les derniers vêtements de l'Empereur

COMMENT NAÎT UNE COLLECTION EXCEPTIONNELLE

David Chanteranne : Pierre-Jean Chalençon, malgré votre jeune âge, vous possédez déjà un ensemble d'objets très important, tant d'un point de vue quantitatif que qualitatif. Quels documents vous ont amené à vous intéresser de plus près à Napoléon et au Premier Empire ?
Pierre-Jean Chalençon : Alors que j'avais sept-huit ans, mes parents m'ont offert une bande dessinée éducative (éditée par la maison Nathan) qui relatait la vie de Napoléon. Le livre m'a tellement intéressé que j'ai insisté auprès de mon père pour pouvoir visiter Malmaison, le Musée de l'Armée et Fontainebleau. Le contact avec les objets a fait le reste et explique en grande partie mon amour de la « chose napoléonienne ». Mais à aucun moment, je n'ai vraiment pensé à collectionner comme je le fais aujourd'hui. J'étais à mille lieues de cela. C'était en réalité une passion. Rien de plus.  
 

D.C. : Quel événement vous a alors amené à collectionner et quelle fut votre première « pièce » ?
P.-J. C. : Il s'agit de la proclamation du préfet des Bouches-du-Rhône annonçant le retour de Napoléon de l'île d'Elbe en 1815. Ma mère me l'avait achetée chez un marchand d'autographes de Saint-Germain-en-Laye. J'avais quatorze ans, j'ai eu envie de continuer… 
 
D.C. : Aujourd'hui, collectionner correspond plus à un besoin ou à une envie ?
P.-J. C. :
A un besoin. Chez moi, c'est un engrenage, c'est un peu comme une drogue. Au début, j'étais très difficile et je n'achetais que des autographes. Et puis en revendant quelques documents, j'ai pu acquérir des objets et des oeuvres de grande qualité. Cette « maladie » est maintenant vraiment en moi. C'est une nécessité vitale. Il s'agit d'un grand puzzle que j'espère finir mais dont les limites me sont encore inconnues.

 
D.C. : Votre collection se limite donc au Premier Empire ?
P.-J. C. : Non, en réalité c'est le personnage de Napoléon qui m'intéresse, plus que son règne. Cela explique certains choix ou certains modes d'acquisition. J'ai par exemple acheté une lettre autographe signée de la main de Napoléon alors que celui-ci était à peine âgé de quinze ans, donc bien avant le Consulat ou l'Empire. Il demandait à un membre de sa famille de venir lui rendre visite à l'École militaire, mais à certaines heures de la journée et selon ses propres conditions. En fait, tout l'Empereur est déjà résumé là. C'est prodigieux et tout simplement fascinant. Voilà pourquoi j'ai préféré aussi acquérir la manche de l'uniforme du Premier consul plutôt que tout autre copie d'une toile de Gros ou de Ingres représentant Bonaparte avec son superbe habit de velours. L'intérêt n'est pas de posséder une oeuvre que tout le monde connaît mais un « témoignage » du grand homme qui permettra de progresser dans la connaissance historique.

ACHETER DES OEUVRES : UN TRAVAIL D’EXPERT

D.C. : Lorsque vous vous portez acquéreur d'un objet ou d'un document, le faites-vous selon une politique d'acquisition ou suivez-vous votre instinct ?
P.-J. C. : On peut dire qu'il s'agit d'un « coup de foudre réfléchi ». Quand je vois un objet, je l'analyse, je l'expertise, je le dissèque et je recherche le plus d'informations possibles le concernant. Grâce à l'avis de mes amis conservateurs, je cherche par tous les moyens à confirmer mes premières conclusions. Je regarde ensuite en quoi l'objet est susceptible de compléter ma collection et de « révéler » certains documents que je possède déjà. Tout ces éléments sont donc nécessaires et ces conditions doivent être impérieusement remplies. Mais c'est vrai qu'il faut, pour qu'au dernier moment je prenne la décision de l'acheter, un petit quelque chose en plus. Ce petit quelque chose que l'on appelle le « déclic », « l'acte déraisonnable ».  
 
D.C. : Avez-vous déjà renoncé à des lots mis en vente et qui vous intéressaient à cause d'un manque de qualité ?
P.-J. C. : Bien sûr. La qualité est l'élément le plus important d'une oeuvre. Il s'agit peut-être d'un outil subjectif, mais il reste très fiable en dernier recours. À chaque fois que se présente une vente ou une possibilité d'acquisition, je me demande toujours si tel ou tel objet pourra tenir sa place dans une exposition, s'il a une vrai « qualité-musée ». C'est le label qualité! Pour moi, c'est primordial. Une provenance bien établie, un certificat d'authenticité sont dans tous les cas le plus sûr des alliés.  
 
D.C. : L'ambiance des salles de ventes vous plaît-elle ?
P.-J. C. : J'aime et je déteste à la fois. C'est une sorte de casino avec la grande excitation du premier tour de roue. On va tout d'abord voir l'expert, on consulte le catalogue et les documents, on prend l'avis de tous. Mais dès les trois coups, le coeur palpite, la main tremble, l'adrénaline monte. C'est terrible. On peut s'imaginer ce que « subit » l'acheteur lorsqu'on voit l'Homme pressé avec Alain Delon. À la fin du film, le personnage principal meurt d'une crise cardiaque après avoir attendu l'objet de ses rêves. J'ai souvent connu ce « type d'émotion » car j'ai failli un jour m'évanouir au cours d'une enchère…  
 
D.C. : Parmi les salles de ventes françaises, anglaises et américaines, quelles sont celles que vous préférez ?
P.-J. C. : Drouot à Paris. Les ventes en Grande-Bretagne sont trop policées, bien trop distinguées, aseptisées. Quant aux Américains, ils aiment à mon avis trop le « show ». En fait, on ne retrouve nulle part ailleurs qu'en France cet esprit « grenier » qui me plaît tant. Ici, on cherche, on fouille et on trouve à peu près tout ce que l'on veut. Et dans toutes sortes de domaines. Drouot, c'est la caverne d'Ali Baba. Les meilleures affaires sont là. C'est comme ça que j'ai pu me constituer mon petit trésor. Pas en allant acheter chez un antiquaire qui vend la même gravure ou un document aussi intéressant mais pour six à dix fois plus cher. En ce moment, le marché devient partout difficile mais c'est vrai que le bicentenaire napoléonien y est pour beaucoup. L'intérêt pour Napoléon est croissant. Et comme les Russes commencent à s'y mettre à leur tour alors…

LA COLLECTION CHALENCON

Petit aperçu de la collection ChalençonD.C. : Comment voyez-vous l'avenir de vos oeuvres ? Dans un musée ?
P.-J. C. : J'ai en projet une exposition itinérante qui durera trois années et permettra de mieux faire connaître la vie de Napoléon dans des pays comme l'Australie, les États-Unis, le Japon, la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Mais je ne souhaite pas faire de ma collection une sorte de « nature morte ». Je préférerais faire un don à un musée existant, ce qui permettrait de mettre en regard mes oeuvres avec celles déjà conservées : l'intérêt, me semble-t-il, serait bien plus grand pour les amateurs et les historiens. De toute manière, je n'en suis pas encore là. Je suis encore bien trop jeune pour penser à cet avenir. Mon futur passe par d'autres projets plus immédiats.

D.C. : Si vous deviez un jour partir sur une île déserte, quelle oeuvre, parmi les trois cents que vous possédez, emporteriez-vous avec vous ?
P.-J. C. :
Ce serait peut-être la pétition adressée par tous les peintres français au Directoire. Retrouver au bas d'un seul document les signatures de David, Fragonard, Percier, Fontaine, Chaudet, Redouté, Vernet, Isabey et Gérard est très émouvant mais aussi très intéressant pour son caractère historique. On comprend vraiment que tous ces artistes formaient une seule et même famille. On n'est jamais aussi uni que face à l'adversité, et ce malgré les divergences et les choix esthétiques de chacun. Mais j'aime aussi beaucoup les Grands Couverts de Napoléon. 
 
D.C. : Quelles sont les « manques » les plus importants de tout votre patrimoine historique ?
P.-J. C. :
Pour les manuscrits, c'est la période 1802-1804, c'est-à-dire celle qui précède la cérémonie du Sacre. Hormis cela, la Guerre d'Espagne est peut-être l'événement de la vie de Napoléon auquel je me suis le moins intéressé. Mais il ne tient qu'à moi de compléter tout cela. Cela se fera sans doute avec des livres plutôt qu'avec du mobilier, car les uniques meubles que l'Empereur a pu connaître et utiliser font partie du patrimoine national ou sont conservés par les grandes fondations américaines. C'est peut-être malheureux pour les Français, mais c'est ainsi. 
 
D.C. : Et la bataille d'Austerlitz ?
P.-J. C. : Ah oui, c'est vrai! C'est un de mes voeux les plus chers mais rien de vraiment très intéressant n'est encore passé en vente ces dernières années. Rien qui ne puisse justifier un achat de grande valeur. Pourtant, c'est un rêve : trouver une lettre ou une note adressée par Napoléon à un de ses maréchaux. Ce serait tellement… tellement excitant. Il faut dire qu'il y a déjà beaucoup de choses dans les autres collections et dans les musées. Ceci explique sans doute cela. Mais je ne perds pas espoir. L'espoir fait vivre, surtout le collectionneur !  
 
D.C. : Aimez-vous vivre, avec d'autres, votre passion? Faites-vous souvent visiter votre « cabinet de curiosité » ?
P.-J. C. : Non, pas vraiment. Pas plus que je n'apprécie les chercheurs ou les écrivains. J'ai eu de très mauvais souvenirs avec certains d'entre eux et je ne souhaite nullement renouveler l'expérience. J'avais par exemple prêté une lettre à un biographe de Louis-Philippe qui n'a même pas daigné me citer alors que la totalité du document avait été reproduite. De toute façon, il est bon que certaines choses restent secrètes. Ce qui n'empêche nullement que je souhaite faire connaître mes collections au plus grand nombre.

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