Pourquoi avez-vous choisi de traiter de la conspiration Malet dans votre nouvel ouvrage ?
Thierry Lentz : Le sujet m'intéresse depuis très longtemps et j'avais déjà eu l'occasion de l'aborder de façon rapide dans le volume II de la Nouvelle histoire du Premier Empire et de manière un peu plus approfondie dans ma biographie de Savary. Mais dans les deux cas, j'étais resté sur ma faim car, de mon point de vue, il restait encore des choses, non pas à découvrir, mais à creuser et à expliquer. Comme il n'y avait pas eu d'étude sérieuse de cet épisode depuis une quarantaine d'années, je me suis dit que cela valait la peine de le revisiter. J'ai donc repris le récit et la recherche, presque l'enquête, à zéro, aux archives locales, nationales et de la Défense. J'ai ratissé à nouveau les mémoires et la bibliographie de l'époque (car on a très vite raconté cet extravagant complot). J'y ai découvert quelques nouveautés, des choses qui avaient échappé à mes prédécesseurs.
Je propose une nouvelle lecture d'une conspiration pas aussi dangereuse qu'on l'a dit, certes, mais probablement plus ennuyeuse qu'on le pense pour le régime napoléonien. Je brosse aussi un autre portrait de Malet et une approche différente des complicités dont il a bénéficié. Je me suis par exemple amusé à faire justice de la légende de la « conspiration des Philadelphes », sorte de maçonnerie révolutionnaire complice de Malet, dont je montre qu'elle est surtout le fruit de l'imagination de quelques auteurs du XIXe siècle, repris inlassablement depuis. Pour dire les choses un peu brutalement, il n'y a pas plus de Philadelphes dans cette affaire que de beurre au dos d'une poêle chaude.
Malet était-il fou ?
Th. L. : On a souvent mis en avant la psychologie dérangée de Malet pour justifier qu'il ait eu l'audace de s'attaquer à un Empire qui paraissait puissant et solide. Si on ne peut nier que l'homme avait des côtés obsessionnels, il faut aussi reconnaître qu'il ne manquait ni de courage ni d'intelligence ni d'un certain savoir-faire dans ses entreprises : il fallait toutes ces qualités pour imaginer et mener les deux grandes conspirations auxquelles il fut mêlé, en 1808 puis en 1812. Malet n'était pas du tout le personnage secondaire et pâle que l'on décrit parfois. Avec un peu plus de chance, sa carrière aurait pu être « politique » au lieu d'être banalement « militaire », ce qui aurait tout changé pour lui. Ainsi, pendant les premières années de la révolution, il a été un des personnages les plus importants de sa région, le Jura, et il s'en est fallu de peu qu'il obtienne un rôle national. Mais comme il était poursuivi par une sorte de « poisse », il dut se contenter d'être un général de second ordre, ce qu'il ne supportait pas. La suite est une série d'erreurs de sa part, de mauvais tours du destin, le tout mâtiné de maladresse et d'une prétention qui finirent par lui faire du tort.
L’Empire a-t-il vraiment failli chuter le 23 octobre 1812 ?
Th. L. : Sincèrement, je ne le crois pas. Tels que les faits se sont déroulés, le coup d'Etat n'avait aucune chance de réussir. Malet avait trop mal choisi ses complices. Il y eut bien trois heures d'émotion, notamment avec la mise sous les verrous des responsables de la Police, mais grâce à l'état-major de la place de Paris, mais aussi au sang-froid de Cambacérès (que je réhabilite totalement) et Clarke, les choses n'allèrent pas plus loin. Ces Pieds-Nickelés ne pouvaient mettre à bas l'Empire. Ceci étant, il est très intéressant de regarder de près les rouages de la conspiration. En sort une question : le complot était-il républicain ou royaliste ? Après l'étude des faits, la réponse est beaucoup moins simple que ce qu'on croit habituellement. Qui manipula qui ? Voilà une des grandes questions de l'affaire Malet. J'ai tenté de la démêler.
Que révèle la tentative de coup d’Etat ?
Th. L. : Ce coup d'Etat révèle énormément de choses sur la question centrale à ce moment de la carrière de Napoléon : est-il un monarque légitime aux yeux des populations et des élites du temps ? Avec Malet et les hésitations que l'on croit déceler –mais qu'il ne faut pas grossir– chez les dignitaires pour proclamer l'avènement du roi de Rome, la question, que l'on croyait réglée depuis le mariage avec Marie-Louise et la naissance de l'héritier, rebondit. On peut même dire qu'en dramatisant, l'empereur lui-même y a aidé. Second élément, dans les projets de Malet, c'est le Sénat qui, en 1808 comme en 1812, proclamait la déchéance et instaurait un nouveau régime. Cela va donner des idées aux adversaires de l'Empire et notamment à Talleyrand. C'est ce que j'appelle « le laboratoire du général Malet », presque sa victoire posthume.