Musée des Arts décoratifs – Paris

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Musée des Arts décoratifs – Paris

Les deux Empires au musée des Arts décoratifs


La réouverture du musée des Arts décoratifs, après une longue période de rénovation, fut l’un des événements majeurs de l’actualité culturelle parisienne en automne 2006. Sa situation rue de Rivoli, voie bordée d’immeubles dessinés par les architectes Percier et Fontaine et baptisée du nom d’une victoire de Bonaparte, offre déjà quelques connivences avec l’Empire.

Parmi les nombreux changements que présente le nouveau musée, l’extension de la galerie chronologique consacrée au XIXe siècle, du Premier Empire aux abords de 1900, a permis d’accorder une grande place à l’époque de Napoléon III. Ainsi cette galerie est le reflet de la réhabilitation de cette période de l’histoire, période qui a marqué les arts décoratifs tant par les innovations techniques que par la richesse et la diversité des productions qu’elle a suscitées.

L’idéal antique

© Les Arts Décoratifs
La visite s’ouvre sur le « Beau idéal », désignant ce nouveau regard porté sur l’antiquité caractéristique du style Napoléon Ier. La mythologie est le thème par excellence de tout décor figuré ; face à la grande peinture de David représentant Pâris et Hélène (1), on découvre un papier peint panoramique (2) de la manufacture Dufour illustrant les amours de Psyché et Cupidon. Chaque scène est conçue comme un tableau, d’après Prud’hon, Gérard, Laffite et Blondel, redessinée ici en grisaille dont les tonalités donnent toute leur volupté aux drapés. A l’histoire de la nymphe, répond le grand miroir Psyché, symbole d’élégance et de raffinement, dont chaque montant est surmonté d’un vase à anses en col de cygne en bronze doré. Mobilier en acajou bien sûr, orné de bronzes dorés en bas-relief : palmettes, griffons, couronnes de fleurs enrubannées…sans oublier les gaines « égyptiennes » et les bustes de pharaon qui supportent les accotoirs du fauteuil de Jacob Desmalter reposant sur des pieds en griffes de lion.  Un autre fauteuil de Jacob à piétement curule et un lit bateau rappelant la méridienne, renouent avec les formes du mobilier antique.

Objets de goût

© Les Arts Décoratifs
Le « goût de l’Empire » est ensuite illustré par des oeuvres liées aux arts de la table. Une grande vitrine centrale présente notamment une vingtaine de modèles en bronze d’un service en vermeil exécutés par Odiot, grand orfèvre de l’Empereur. Ces différents modèles, argentés par la maison Christofle dans les années 1900, présentent une profusion de personnages et d’ornements sculptés, qui ont été fondus à part et appliqués grâce à un système de fixation à vis et boulons élaboré par l’orfèvre. Du même artiste, une gracieuse coupe en bronze doré rehaussée d’un papillon, réalisée d’après le modèle du sein de Pauline Borghèse,  bénéficie elle aussi d’une place d’honneur dans l’exposition.
Deux grands candélabres à cariatides figurant Mars et Minerve, en bronze doré et patiné, à décor de trophée d’armes, encadrent triomphalement l’ensemble et rappellent le caractère martial du régime (3).

Intérieurs Napoléon III

© Les Arts Décoratifs
Après avoir passé la Restauration et Louis Philippe, le lien est rétabli avec les Bonaparte, et le Second Empire n’est pas en reste ici. Il est d’ailleurs bon de rappeler que l’association de l’Union Centrale des Arts Décoratifs fut créée à cette époque et que la plupart des artistes représentés en étaient membres et furent bien souvent donateurs du musée, fondé par cette même association.
Le goût dit « Napoléon III » pour les fonds noirs et le développement des décors de bouquets de fleurs, est évoqué par un important mobilier en papier mâché, très présent dans les intérieurs bourgeois de l’époque et dont le succès s’est étendu à l’échelle européenne. Léguée par la princesse Mathilde, cousine de l’Empereur, une vitrine en bois tourné doré se retrouve dans le tableau de Sébastien Charles Giraud présentant la véranda de l’hôtel particulier de Mathilde, sis rue de Courcelles. Cet intérieur reflète tout à fait le grand goût de l’époque pour l’architecture de verre et la végétation exotique, mais aussi pour l’éclectisme en terme de mobilier.

L’art et l’industrie


Une vaste galerie est ensuite dédiée aux chefs-d’oeuvre des  Expositions Universelles, témoignage unique de la qualité et de la diversité des « arts appliqués à l’industrie » sous le Second Empire.
Le surtout de cent couverts commandé par le Prince-président à la manufacture Christofle orne la galerie dans toute sa longueur. Sur la pièce centrale, la France personnifiée distribue des couronnes de gloire à la Guerre et à la Paix, entourée de la Justice, la Concorde, la Religion et la Force.  S’inscrivant parmi les commandes participant au prestige du régime, ce surtout était destiné à la table des Tuileries et a brûlé lors de l’incendie du palais en 1871. N’ayant volontairement pas été restauré, cet ensemble en constitue l’un des rares témoignages. Il aurait d’ailleurs complètement fondu s’il n’avait été exécuté en bronze argenté à l’électrolyse plutôt qu’en argent massif. Ainsi, l’Empereur qui avait une forte inclination pour l’innovation, avait choisi cette technique de la galvanoplastie, invention anglaise dont le brevet était détenu par Charles Christofle.
C’est de l’Impératrice Eugénie cette fois-ci qu’émane la commande d’une des pièces majeures de la collection : la nef qu’elle offrit à Ferdinand de Lesseps à l’occasion de l’inauguration du Canal de Suez. Cette coupe en argent, exécutée par les frères Fannière, se compose d’un piétement formé de deux sirènes enlacées supportant une galère sur laquelle sont embarquées différentes figures allégoriques : la Science, l’Industrie et le dieu Mercure. La traditionnelle Renommée est, elle, en figure de proue, accompagnée du manteau et des insignes impériaux. Sur les flancs de la nef, on distingue des étapes de la construction du canal, avec les pyramides pour décor, sculptées en bas-relief.

Les fastes du Second Empire

© Les Arts Décoratifs
Un second surtout de l’Empereur, par Emile Froment-Meurice, composé d’une coupe et d’une paire de candélabres mérite d’être mentionné. L’original en cristal de roche fut présenté à l’Exposition Universelle de 1867. Ornées de bouquets de fritillaires en bronze doré et de figures de faunes et de faunesses entourés d’amours, sculptés en argent, ces pièces témoignent du haut degré de perfection de ciselure dont firent preuve les sculpteurs du Second Empire. Les arts décoratifs d’alors peuvent être d’ailleurs caractérisés par un goût prononcé pour les figures ornementales en ronde-bosse.
L’ameublement parisien connut aussi son heure de gloire à l’occasion des premières Expositions Universelles. Henri-Auguste Fourdinois s’illustra en 1867 par un cabinet en noyer sculpté, porté par deux imposantes chimères, dans l’esprit de la Renaissance.

 Une fois encore, la qualité de la sculpture est époustouflante et l’on notera les touches colorées apportées par des incrustations de pierres dures, attestant de ce goût prononcé pour les jeux de couleurs, que l’on trouve également sur les façades des grands hôtels particuliers de l’époque tel celui de la marquise de Païva aux Champs-Élysées. Deux grands sculpteurs ont d’ailleurs travaillé au décor intérieur de l’hôtel de cette célèbre courtisane : Carrier-Belleuse et Gustave Joseph Chéret.

On les retrouve associés au dessinateur Emile Auguste Reiber pour la réalisation de la table de toilette acquise par Mme Péreire, « petit bijou » du stand de la maison Christofle à l’Exposition de 1867. Toute de bronze, de vermeil, d’argent, de lapis-lazuli et de jaspe pour le plateau, elle est composée d’un piétement à cariatides féminines dont l’entrejambe est enrichie d’un putto en bronze doré juché sur une boule de jaspe. Cette table de toilette fut ainsi créée sur le modèle de la fameuse table de Marie-Antoinette par Weisweiler (4) conjugué à un déploiement de sculpture et de pierres dures sans précédent.
Le parcours fait ensuite place aux oeuvres extravagantes du dernier quart du siècle, précédant l’émergence de l’Art Nouveau, tel le lit pour le moins monumental qui fascina Emile Zola, exécuté pour la célèbre Emilie Valtesse de la Bigne, maîtresse du prince de Sagan (5) et modèle d’Edouard Manet (6).

Aux Arts décoratifs, le visiteur retrouve ainsi des oeuvres caractéristiques du style Empire qui témoignent de la qualité de la production française d’alors, encouragée par Bonaparte qui avait créé les fameuses Expositions de l’Industrie. En continuant  le parcours, il découvre les chefs-d’oeuvre des grandes manufactures de la seconde moitié du siècle, qui bénéficièrent d’un contexte socio-économique moderne, laissant une grande place à l’innovation technologique, illustrant ainsi la puissance industrielle et artistique de la France de Napoléon III.

Camille Mestdagh, avril 2008

Camille Mestdagh, membre du Comité d’histoire de l’art de la Fondation Napoléon, prépare un doctorat sur les Beurdeley, dynastie de marchands et de fabricants d’ameublement d’art au XIXe siècle.

Nous remercions Odile Nouvel-Kammerer, conservatrice en chef du département XIXe siècle au Musée des Arts Décoratifs.

(1) Cette oeuvre est une réplique originale par David du tableau exécuté en 1788 pour le comte d’Artois et conservé au Musée du Louvre (inv. 3696).
(2) Papier peint couvrant l’ensemble des murs qui offre l’aspect d’un panorama.
(3) Certaines oeuvres sont visibles dans la nef centrale du musée pendant l’exposition « L’aigle et le papillon », jusqu’au 5 octobre 2008.
(4) Table livrée en 1784 par le marchand Daguerre pour le Garde-Meuble de la couronne, conservée aujourd’hui au Musée du Louvre (inv. OA 5509).
(5) Charles Guillaume Frédéric Boson de Talleyrand-Périgord (1832-1910).
(6) cf.  Chefs-d’oeuvre du Musée des arts décoratifs, édition des arts décoratifs, Paris, 2006.

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