Dans la trilogie des écrivains culinaires des premiers temps de la gastronomie, Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826) brille d’un éclat particulier aux côtés de ses confrères, Alexandre Grimod de la Reynière (1758-1837) et Antonin Carême (1783-1833). Son journal, Physiologie du goût, publié en 1825, fixe encore les règles de l’assemblage des saveurs, les accords mets-vins, l’équilibre des repas propres à la haute cuisine française.
Il fallait un autre gourmet, tout aussi exigeant et fin connaisseur des secrets des tables réussies, Jean-Robert Pitte, pour écrire une biographie gourmande sur un des maîtres de la bonne chère. Mêlant le récit de vie aux recettes du temps ou réinterprétées et à des photographies, l’auteur brosse, avec tact et dans une langue élégante, le portrait d’un homme attachant. Je conseillerais tout particulièrement l’insertion de la préparation démesurée et minutieuse du pâté L’oreiller de la belle Aurore, baptisé du nom de la mère de Brillat-Savarin, dans la narration de la mort du musicien Suard, par congestion et indigestion du dit pâté. Vraie ou fausse, l’anecdote en dit plus qu’une simple péripétie. L’érudition et la passion historique de Pitte rendent la lecture passionnante et agréable, onctueuse comme une sauce mijotée doucement délicatement relevée, et coulante comme un bon sauternes.
Chantal Prévot, responsable des bibliothèques de la Fondation Napoléon (18 janvier 2024)
Si la gourmandise est vieille comme le monde, la gastronomie telle que nous la connaissons est un art de vivre qu’il est difficile de faire remonter au-delà du siècle des Lumières. Elle a eu ses inventeurs, ses théoriciens, ses propagateurs et dans cette grande conquête de l’humanité, c’est Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826) qui a, de loin, joué le premier rôle. Magistrat issu d’une longue lignée de juristes de Belley (Ain), député, conseiller à la Cour de cassation, poète et essayiste, polyglotte, musicien talentueux, ami fidèle et délicat, il fut un gourmet aux connaissances encyclopédiques et aux curiosités toujours renouvelées, sans cesse désireux d’aller au-delà des habitudes et des conventions, exigeant comme on ne l’avait jamais été avant lui sur la qualité et la fraîcheur des aliments, sur l’assemblage des saveurs, sur l’accord mets-vins, sur l’équilibre des repas et mille choses encore. La publication de sa célébrissime Physiologie du goût juste au moment de sa mort est venue à point pour accompagner un mouvement en cours depuis la Révolution : la bonne chère n’était plus l’apanage de la noblesse, la bourgeoisie désormais aux manettes voulait aussi s’emparer de ce signe extérieur de prestige. Brillat-Savarin, éducateur du goût, est le père de la grande cuisine qui s’est développée en France (et ensuite dans le monde entier) au XIXe siècle.
