De la guerre d’indépendance américaine, il n’est pas exagéré d’écrire que le public français ne connaît rien, ou presque. Tout au plus le nom de Lafayette suscitera-t-il quelques réminiscences. Ce constat ne manque pas de surprendre, tant l’épisode est célébré, commémoré, étudié, discuté aux Etats-Unis. Il est vrai que, pour les Américains, l’affrontement avec la Grande-Bretagne a fondé leur droit à l’existence, et marque le début de leur Histoire. En un sens, eux aussi ont pris leur Bastille.
Mille fois, dix mille fois racontée aux États-Unis, par le livre, par le film, par les fêtes populaires aussi, la guerre d’indépendance n’avait donné lieu, en France, qu’à quelques trop rares ouvrages (Citons, surtout, André Kaspi, L’indépendance américaine 1763-1789, Paris, Julliard, coll. « Archives », 1976 et Bernard Cottret, La Révolution américaine. La quête du bonheur, Paris, Perrin, 2003.). Encore s’attardaient-ils surtout sur les causes de la rupture entre la métropole anglaise et les colons américains, de même que sur la dimension politique et philosophique du conflit, et son héritage institutionnel, social et mémoriel, quitte à laisser le lecteur sur sa faim s’agissant des opérations militaires. Il était temps d’avoir accès à une chronique exhaustive, et celle-ci nous est offerte par Pascal Cyr et Sophie Muffat.
Ces deux auteurs, en effet, brossent de cette guerre un panorama aussi complet que possible. S’appuyant sur un appareil de sources conséquent (trente-huit pages de notes et de bibliographie), ils ne négligent aucun épisode, aucun aspect des hostilités, de leurs origines à leur déroulement, riche en faits d’armes et en erreurs colossales des deux côtés. Armement, financement, moral et entraînement de la troupe, conflits de loyauté, batailles rangées, escarmouches de guérilla, intrigues diplomatiques, manœuvres politiques, affaires d’espionnage, débats idéologiques, rien n’est laissé de côté dans ce récit conduit tambour battant. L’enchaînement des campagnes est parfois chroniqué jour par jour, voire heure par heure, non sans valider l’aphorisme selon lequel la victoire finale revient au camp qui commet le moins d’impairs.
Avec pertinence, les auteurs rappellent que cette guerre ne s’est pas confinée au territoire américain : elle a également débordé au Canada, à l’Atlantique, mettant aux prises deux superpuissances de l’époque, à savoir la Grande-Bretagne et la France, sans oublier l’Espagne. De même, les paradoxes dominent la narration : l’armée britannique remporte les batailles mais ne sait gagner cette guerre, faute de stratégie cohérente ; l’armée américaine enchaîne longtemps les échecs, mais s’adapte peu à peu et parvient à combler ses pertes, épuisant l’Angleterre ; les colons sombrent souvent dans des luttes intestines, entre querelles de personnes et désaccords politiques, mais parviennent vaille que vaille à préserver leur unité ; non sans se faire prier, la France offre un appui décisif aux indépendantistes (au point qu’on peut légitimement prétendre que c’est elle qui remporte la bataille finale de Yorktown) mais sans rien retirer du conflit, sinon l’épuisement de ses ressources financières, qui conduira l’Ancien Régime à l’abîme ; resté sous pavillon britannique, le Canada devra accueillir maints colons contraints à l’exil pour être demeurés loyaux envers la Couronne, ce qui bouleversera la démographie locale au détriment des francophones ; quant aux Américains, ils ont gagné leur liberté par les armes autant que par les principes, mais ni les Amérindiens, ni les esclaves noirs n’en profiteront. L’indépendance, de fait, n’est pas synonyme d’émancipation. Telle est la leçon de cet ouvrage passionnant, écrit d’une plume aussi élégante que sans complaisance. (Nicolas Bernard, avocat et historien)
Présentation par l’éditeur
La guerre d’indépendance américaine a sa part de mythe. Un peuple aurait pris les armes contre une force d’occupation oppressive afin de créer un État fondé sur la liberté. Pour n’être pas fausse, cette histoire est partielle. Comment une armée avec très peu de moyens et d’hommes sans expérience a-t-elle pu vaincre l’Angleterre ? On a souvent réduit le rôle de la France à sa contribution navale. En réalité, dès 1777, le gouvernement de Louis XVI, par le truchement de trafiquants d’armes à l’image de Beaumarchais, équipe les Américains. Une armée de paysans dispose désormais d’un des meilleurs équipements du monde et d’officiers expérimentés. C’est le tournant de la guerre.
Cet ouvrage corrige aussi de nombreuses idées reçues, comme celles qui concernent les colons américains. Ces derniers n’étaient pas seulement en quête d’indépendance, mais aussi d’argent. Leurs motivations étaient essentiellement économiques. De même, on découvrira le peu de sympathie qu’ils suscitent chez leurs voisins canadiens, et que dire des Amérindiens, victimes d’exactions et grands perdants de cette guerre ?
Dans ce livre magistral et inattendu, Pascal Cyr et Sophie Muffat revisitent une légende fondatrice de la modernité politique.