Présentation
La Nuit des aventuriers est le roman vrai, au rythme et au souffle très travaillés, d’un coup d’État presque parfait. Si la conjuration du 2 décembre 1851 a si bien réussi, c’est qu’elle apparaissait inéluctable à ses contemporains ; elle scellait la faillite manifeste des élites. Or, que vivons-nous aujourd’hui sinon la défaillance des nôtres ? Même enfermement, même cécité…
« C’est étrange, au boudoir, ces hommes en noir. Graves. Fermés. Détonnant parmi le mobilier précieux, tendu de satin parme brodé d’argent. C’est cela, parfaitement incongrus. Ils esquissent des gestes, s’interrogent du regard… De toute évidence, ils attendent. On inclinerait volontiers pour le rendez-vous galant. Tout y invite en ce salon retiré, ouvrant sur les jardins immenses du palais présidentiel, tout, absolument tout. Mais à la longue, dans la nuit de décembre, cette douceur presque languide pourrait bien refroidir les ardeurs. On voudrait une bonbonnière ; c’est une veillée funèbre. […] Qui trouve-t-on dans ce boudoir ? Le président flanqué de son homme lige, son âme damnée, à vrai-dire, et puis le chef de cabinet de la présidence, un général-ministre, le préfet de police, un député, ce dernier irradiant un je-ne-sais-quoi de désinvolture aristocratique… Les y a précédés un officier subalterne, un proche du président, son « conseiller en recrutement « , en quelque sorte, mais celui-ci a filé comme une ombre avant même que ne débute l’ultime conciliabule : on l’a assigné aux remises, où il doit tenir prêt à partir tout véhicule nécessaire aux prochains déplacements de son maître, le char du triomphe ou les fourgons de l’exil… Pas une femme, dans ce portrait de groupe en clair-obscur. C’est dommage. C’est encore plus injuste. Deux louves au moins mériteraient d’y figurer, de richissimes effrontées, fines, ambitieuses, manipulatrices, dont les squales en eaux troubles, c’était à parier, ne veulent retenir que la prodigieuse beauté. Deux étrangères, de surcroît, goûtant sans excès les mœurs politiques du pays dont elles entendent bouleverser l’histoire. Chacune en son hôtel, elles attendent la manne du coup qui se joue. »