Comment écrire le récit d’une bataille au XXIe siècle ? C’est la délicate question à laquelle Bruno Colson s’est attaché à répondre. Connu par ses travaux sur la guerre napoléonienne, il nous livre ici une vision de la bataille de Leipzig de très haute tenue, tout en étant agréable à lire. C’est avant tout une étude extrêmement fouillée sur les différents aspects de la guerre napoléonienne qui entre dans le cadre des questionnements les plus actuels, comme ceux de l’émergence de la « guerre totale ».
On a pu souvent reprocher aux études sur les campagnes ou les batailles napoléoniennes de ne donner qu’une vision partielle, voire partiale, des évènements. Ce n’est pas le cas de ce Leipzig. Pour son récit de la bataille des Nations, la démarche de Bruno Colson a été similaire à son De la guerre (Perrin, 2011). Il s’est attelé à la difficile et colossale tâche de relire les sources (manuscrites ou bibliographiques) provenant des différentes nations engagées sur le terrain, pour donner une vision équilibrée des événements. Il remet ainsi en perspective les idées reçues qui sont véhiculées par une historiographie parfois ancienne ou partisane, qui découle souvent d’une réécriture a posteriori et souvent politique des évènements.
Si les études anciennes s’attachaient à la vision des commandants en chef et aux grands mouvements des unités, ces dernières années la recherche moderne s’est appliquée à remettre le combattant au centre du récit guerrier. Colson envisage ainsi, tour à tour, les différents points de vue des acteurs de la bataille depuis le haut commandement des deux camps jusqu’aux soldats. Cette vision au « ras du sol » rend l’atmosphère des combats plus réelle, plus palpable. Décrire l’ambiance d’un moment est plus souvent du ressort du romancier que de l’historien. Dans son récit, Bruno Colson réussit le tour de force d’allier la vivacité de la narration à la précision historique. Chaque moment de la bataille est ainsi décortiqué et analysé sans que l’exercice ne soit fastidieux. De plus si son travail plonge le lecteur au coeur de la mêlé, il fourmille de détails sur la manière de combattre sous l’Empire. Dans sa manière de relater les évènements, Bruno Colson est ainsi plus proche des historiens anglo-saxons souvent moteurs dans le domaine des études d’histoire militaire.
La bataille de Leipzig mérite tous les superlatifs tant par son emprise géographique que par le nombre de combattants engagés par les belligérants qui va de pair avec le taux élevé de pertes pour les deux camps. Mais l’une des particularités de cet affrontement est sa proximité avec un grand centre urbain. Déjà en 1809, de nombreux civils avaient assisté aux combats d’Essling et de Wagram depuis les hauteurs de Vienne. À Leipzig, une grande partie des habitants n’avaient pas quitté la ville. C’est donc « sous leurs fenêtres » que se déroulèrent les combats. Nombreux furent ces témoins civils qui donnèrent par la suite leur vision de l’affrontement. Souvent inconnus en France, ces témoignages donnent un éclairage nouveau sur la manière dont les non-combattants ont vécu les guerres napoléoniennes. Bruno Colson nous montre ainsi des populations, non-partisanes, qui n’aspirent qu’à l’arrêt des combats, ou encore l’organisation du recyclage des effets militaire qui se met en place sitôt la bataille terminée. Si la recherche moderne a beaucoup travaillé sur l’expérience de guerre des soldats et leur ressenti des combats, une étude poussée sur l’impact des combats sur les populations civiles reste à mener. Le récit de Bruno Colson contribue ainsi à enrichir cette réflexion et ce n’est pas là la moindre de ces qualités. (François Houdecek)
Retrouvez notre interview « Quatre questions à… » Bruno Colson, à l’occasion de la sortie de son livre.
A lire du même auteur, Napoléon. De la guerre (Perrin, 2012).
Ce livre a reçu le Prix Premier Empire 2013 de la Fondation Napoléon. Il existe au format poche dans la collection « Tempus » (2016)