Sur bien des aspects, la guerre de 1870 forme les prémices de ce que seront en France les deux conflits mondiaux du XXe siècle. L’invasion, la déroute des armées impériales, la guerre civile puis les conditions imposées à la France par l’Allemagne victorieuse furent vécus comme des traumatismes par la population française médusée devant une telle catastrophe. Les civils se retrouvèrent souvent en première ligne et, dans le chaos du replis ou le siège de Paris, les femmes furent des actrices majeures du conflit. Espionnes, cantinières, infirmières, combattantes, ouvrières etc. transcendant les classes sociales, elles furent nombreuses à participer à l’effort de guerre.
En partie occultées dans l’immédiat après-guerre, le rôle des femmes dans ce conflit ne fut pas totalement oublié dans les récits et les représentations picturales qui émergèrent à la fin du XIXe siècle. Joseph Turquan fut néanmoins le seul à y consacrer une étude en 1893 (Les femmes de France pendant l’invasion, Paris, Berger-Levrault). Les deux conflits mondiaux finirent d’effacer cette guerre de la mémoire collective et, avec elle, le rôle que les femmes y jouèrent.
C’est au travers l’étude de Jean-François Lecaillon que l’on redécouvre ce pan de l’Histoire.
Spécialiste de ce conflit, il explore avec justesse et sobriété le rôle des femmes dans cette guerre oubliée du « roman national ». Il s’inscrit dans un vaste mouvement historiographique de la redécouverte de la place des femmes dans le phénomène guerrier associé traditionnellement au monde masculin. Oscillant entre destins individuels et remises en perspective, Lecaillon nous replonge dans un conflit où les femme jouèrent un rôle central. Il remet ainsi en lumière les destins de l’ambulancière Victorine Brocher, de la militante Julie Victoire Daubié ou de la cantinière du 3e ZouaveLaurin-Dutailley et retrace également le parcours de centaines d’autres femmes héroïnes anonymes d’un conflit déclenché par les hommes.
Ces méconnaissance et oubli du rôle des femmes dans la guerre de 1870 tiennent en partie aux femmes elles-mêmes qui, le rappelle Lecaillon, « ont peu écrit sur la guerre. » S’il ressence une soixantaine de récits, dont une dizaine d’inédits, seuls quelques-uns sont des relations de terrain. Encore sont-elles écrites par des femmes de l’élite qui occultent le rôle des centaines d’anonymes qui ne couchèrent jamais sur le papier « leur » guerre. Néanmoins, le rappelle Lecaillon, la fin du XIXe siècle est une période charnière, où les cantinières disparaissent de l’armée et qui voit les femmes renvoyées au rôle d’arrière-plan que la société leur a assigné. Dans cette perspective, elles furent remisées au rôle de victimes de la barbarie prussienne et la combattante devint une « androgyne », voire une « femelle monstrueuse » si elle avait participé à la Commune.
Partant, la reconnaissance nationale pour leur engagement, à part pour quelques cantinières décorées de la Légion d’honneur, n’alla pas de soi. Leur participation à la guerre n’eut finalement que peu d’impact sur la société française du début du XXe siècle qui reprit son cours sous une IIIe République tenue d’une main très masculine. En cela, la fin de la guerre de 70 préfigure en France celle de 14…
L’étude très fouillée de Jean-François Lecaillon redonne ainsi toute leur place à ces femmes qui se sont engagées dans ce conflit, car, note-t-il, « pour l’historien, il ne doit y avoir que les actes ». (F. Houdecek)
Le rôle des femmes dans la guerre de 1870-1871
Les Français furent profondément marqués par les tragédies de l’Année terrible. Ils sont sortis humiliés et frustrés de cet épisode de l’histoire nationale. Mais comment les Françaises ont-elles vécu ces évènements ? Quels rôles ont-elles joués ?
L’engagement des femmes en 1870-1871 a été presque immédiatement occulté : la propagande patriotique a cantonné les Françaises au rôle de victimes de la barbarie prussienne… Pourtant, l’engagement féminin est important et pluriel : des espionnes aux infirmières et des ouvrières aux combattantes, des femmes de tous les milieux ont participé à l’effort de guerre. Mais leur histoire, progressivement oubliée, n’a plus jamais été racontée.
Jean-François Lecaillon s’est plongé dans les archives et les récits de souvenirs pour faire revivre le quotidien des Françaises pendant la durée du conflit et rappeler leur combat. Ainsi, Les Femmes et la guerre de 1870-1871 offre un éclairage nouveau sur cette guerre. Il s’agit aussi d’un hommage à ces Françaises illustres ou anonymes.
Docteur en Histoire, Jean-François Lecaillon a consacré sa thèse à la guerre française au Mexique. Il est spécialiste de la guerre de 1870 et s’intéresse particulièrement aux témoignages et à l’histoire des anonymes. Auteur de nombreux ouvrages sur ce conflit, notamment Été 1870, la guerre racontée par les soldats et Les Français et la guerre de 1870 (L’Artilleur, 2020), il tient le blog Mémoire d’Histoire.