Curiosités : La Cuisine renversée, 1796

La nouvelle vous a peut-être échappé, mais 2008 est l'année internationale de la pomme de terre. Ce « trésor enfoui » est mis en avant par l'agence onusienne de l'alimentation, la FAO (Food and Agriculture Organizacion). Décrétée « aliment du futur », la pomme de terre jusqu'à présent cultivée essentiellement dans l'hémisphère nord, gagne les pays émergents du sud et vainc les dernières réticences des populations.

La France a vécue cette implantation il y a deux cents. Bien sûr, on connaît l'histoire fameuse de Parmentier qui fit, parait-il, garder un champ de pomme de terre par des soldats armés et donna ainsi envie aux paysans de s'accaparer de ce précieux légumes.

Mais la vrai incitation à manger de ce tubercule jugé jusqu'alors en France comme dangereux pour la santé humaine, tout juste bon pour les cochons, revient malheureusement  aux disettes qui sévirent sous la Révolution et l'Empire.
Si la pomme de terre était mangée couramment dans les marches de l'Est du pays, pays soumis depuis longtemps aux aléas militaires et possédant des terres propres à sa culture, elle restait objet de méfiance pour le reste de la nation.
Nécessité faisant loi, les familles durent accueillir ce drôle de légume à leur table.
 
De nombreux savants et philanthropes, soucieux de fournir au plus grand nombre une alimentation consistante, participèrent à une sorte de campagne de promotion. Parmi eux, un certain François Cointeraux, illustre inconnu et qui le restera, mais apporta tout de même sa petite pierre à l'édifice, en publiant en 1796 un manuel d'utilisation de la pomme de terre, intitulé La cuisine renversée ou le Nouveau ménage.

Tout d'abord, l'auteur prend soin de préciser que la pomme de terre n'est pas un fruit, comme son nom français pourrait le laisser entendre, mais le meilleur des « hortolages » (des légumes). Ses meilleurs atouts sont une culture simple, des récoltes abondantes, une nourriture saine, des recettes nombreuses et un prix d'achat très bas. De quoi effectivement instituer une forme nouvelle de gestion des ménages.

Car c'est bien simple, la famille Cointeraux au complet s'est convertie à la pomme de terre. Elle en mange en soupe, en ragoût, en fricassée ou en friture. Elle en mange au dîner et au souper -cela ne peut nous surprendre-, mais aussi aux petits-déjeuners et au goûters : et vive les gaufres et les tartelettes de pomme de terre ! Elle en boit en tisane. Et pour finir, elle en mange en pain.
Femme et enfants de la maisonnée, dès poltron minet, la mette à cuire, la pèle, la broie, la réduise en bouillie, la coupe en morceaux –appelés des vermicelles-, la remette à cuire et la voilà prête à affronter quelques années de conservation et à servir de base à toute sorte de plats. Bref, la famille Cointeraux vit par et pour la pomme de terre.

C'est une cuisine renversée, car elle est au plus près de l'économie, bien loin de la profusion et des dépenses des tablées de riches. L'eau de cuisson d'un jambon sert de base aux soupes de toute la semaine, soupes succulentes grâce aux vermicelles de pomme de terre. La pâtisserie –l'art d'accommoder pâtés et tourtes – peut se faire sans beurre, cet ingrédient cher, toujours grâce aux vermicelles séchés et réhydratés.

Jamais légume n'avait trouvé un avocat aussi passionné. François Cointeraux a réponse à toutes les objections, même celle de la saveur fade : « Les pommes de terre n'ont pas ce que l'on appelle un goût vif ou piquant. Sans doute que Dieu leur a fourni cette espèce de saveur pour laisser aux hommes le pouvoir de les accommoder de toutes les manières ».

Mai il fallu près d'un siècle pour que la pomme de terre soit acceptée dans toutes les régions françaises. Longtemps, le Midi préféra la pomme d'amour –la tomate- au douteux légume sorti de terre.

Extraits

Si vous voulez déguster quelques recettes de pomme de terre, vous pouvez consulter en ligne ces livres sur le site de la bibliothèque numérique de la Bnf :

COINTERAUX, François, La cuisine renversée, ou Le nouveau ménage, par la famille du professeur d'architecture rurale  Lyon, impr. de Ballanche et Banet, 1796 

 
Premier Empire, Nombreuses recettes de pomme de terre, p. 384-385
VIARD, A. Le cuisinier impérial, ou l'art de faire la cuisine et la pâtisserie pour toutes les fortunes, avec différentes recettes d'office et de fruits confits et la manière de servir une table depuis vingt jusqu'à soixante couverts  Paris, Barba, 1806

 
Second Empire, la pomme de terre est la première citée dans le chapitre consacré aux légumes. p. 155
La cuisinière des cuisinières : de la ville et de la campagne : manuel complet de cuisine à l'usage de tous ceux qui se mêlent de la dépense des maisons, Limoges E. Ardant et C. Thibaut Auteur : François Cointeraux
Titre : La Cuisine renversée, ou l'art d'accommoder la pomme de terre
Editeur : Lyon, Impr. Ballanche, 1796
Description : 71 p.
Cointeraux (François)