Escargots et foie gras

Escargots en beurre persillé et foies gras sont des mets que nous associons aux jours de fête, notamment les fêtes de fin d’année. Ils sont devenus des symboles de la cuisine et gastronomie française, au grand dam souvent des visiteurs étrangers dégoûtés par la viscosité de l’escargot et le traitement infligé aux oies.

Bouton, fixé sous verre, représentant un escargot © CC0/Paris Musées

Au Premier Empire, le commerce de l’escargot était modeste. Il était réservé en haut de l’échelle sociale à un public d’initiés gastronomiques ou aux déjeuners festifs, et en bas de l’échelle sociale aux familles paysannes qui trouvaient un moyen de subsistance dans une fracassée d’escargots. Certaines régions, telle la Bretagne, étaient totalement réfractaires à la consommation des « limaçons », l’appellation encore en vogue. Les escargots dit de vigne ou vignerons car c’était là un de leurs principaux habitats (nous les nommons actuellement escargots de Bourgogne ou gros-blanc) et les escargots petits-gris (ou escargots-chagrinés) étaient ramassés. Les autres espèces d’escargot aux dimensions vraiment trop petites pour en tirer profit étaient délaissées. L’ingestion de feuilles de vigne donnait un goût savoureux à la chair des « pieds charnus ». Les plus renommés provenaient de la région de Nancy (département de la Meurthe) où s’était développé un circuit commercial. Les habitants des cantons viticoles les ramassaient, voire pratiquaient un petit élevage, pour les vendre aux pâtissiers nancéiens qui pendant l’hiver les cuisinaient avec du beurre et des fines herbes, avant de les replacer dans leur coquille. Ainsi apprêtés, les escargots partaient sur les tables lorraines et les marchés parisiens. Une règle religieuse spécifiait depuis la Haute Antiquité qu’il était permis de manger des escargots lors du Carême, leur chair n’étant pas assimilée à de la viande, et leur coquille symbolisant la spirale de la vie. Cette dérogation fut un atout précieux au commerce des gastéropodes.

En voici quelques recettes d’époque. Nous avons respecté textuellement le style et l’absence habituelle alors, de mesures des ingrédients comme des temps de cuisson.

La recette la plus usitée, retrouvée dans plusieurs manuels culinaires, consistait à faire rissoler les escargots avec des herbes, et les napper d’une sauce crémeuse :

Escargots de vigne en fricassée de poulets [mais sans poulet]

Pour les faire sortir de leurs coquilles et les bien nettoyer, vous mettez une bonne poignée de cendres [NB : pour laver au mieux] dans un chaudron avec de l’eau de rivière [NB : considérée plus propre à la consommation que l’eau des puits, trop stagnante]; quand elle commence à bouillir, mettez dedans les escargots [NB : il n’est pas question de les faire dégorger de leur bave] et les y laissez vingt minutes au plus ; quand ils se tirent aisément de leurs coquilles, nettoyez-les et remettez-les encore dans une nouvelle vous les laissez bouillir un instant ; égouttez-les et mettez-les cuire dans une casserole avec un morceau de beurre, un bouquet de persil, ciboules, thym, laurier et des champignons ; ajoutez une pincée de farine, mouillez avec du bouillon, un verre de vin blanc, sel, poivre ; laissez cuire jusqu’à ce que les escargots soient moelleux, et qu’il reste un peu de sauce ; en servant mettez-y une liaison de trois jaunes d’œufs avec de la crème ; faire lier sans bouillir ; ajoutez-y un peu de verjus ou du vinaigre blanc, avec un peu de muscade. [1]

Ainsi préparés, avec ou sans sauce, ou avec un plus grand choix d’épices, les escargots  (surtout les petits-gris) prenaient les accents des provinces de France et devenaient « escargols » à Toulouse, « cagarolles » dans les Cévennes, « cagouille » dans l’Anjou et dans les Charentes, « Cornard » en Franche-Comté, « Marcarole » dans le Nord.

Il était moins courant de les présenter avec leur coquille, leur préparation nécessitant plus de soin pour les nettoyer :

Manière de préparer et de farcir les escargots

Mettez d’abord vos limaçons dans l’eau, et jetez-y une pleine main de cendre, laissez-les y bouillir environ un quart d’heure jusqu’à ce qu’on puisse les retirer facilement de leur coque. Alors vous les dépouillez de leur peau noire et non de leur graisse, vous coupez et jetez la peau jaune qu’ils ont au col. Vous les faites ensuite bouillir pendant très peu de temps dans de l’eau salée, d’où vous les retirez pur les mettre dans l’eau froide.

Après cela vous faites roussir de la mie de pain dans du beurre, vos y ajoutez un peu de crème douce, déjà bouillie, et assaisonnée de cannelle, de fleur de muscade, de quelques anchois hachés [NB : la chair de l’escargot étant manquant de saveur, l’utilisation d’épices et condiments n’en était que redoublée]. Cela fait, vous lavez vos coques, vous remettez dedans les limaçons, et achevez de les remplir avec votre mie de pain, etc. Enfin vous mettez vos escargots ainsi préparés dans le four de campagne, où ils achèvent de cuire. [2]

Selon la tradition culinaire, la recette des escargots à la bourguignonne (au beurre additionné de persil haché et d’ail pilé, replacés dans leur coquille) serait l’œuvre du chef de cuisine Anacréon, au service de Talleyrand en 1814. Il eut l’idée de préparer les escargots servis au tsar Alexandre Ier de cette manière très simple, le 22 mai 1814 très exactement. Le succès d’estime rencontré auprès du monarque donna à la recette ses lettres de noblesse, et depuis, elle règne presque sans partage sur les cassolettes.

Mais le limaçon avait d’autres vertus. Thérapeutique tout d’abord, les bouillons d’escargots étaient recommandés par les médecins pour apaiser les maux de bronches. Cosmétique ensuite, la graisse d’escargot donnait une pommade impeccable pour guérir des boutons de visage, et de manière plus générale pour accélérer les cicatrisations et adoucir les peaux rougies et asséchées par le froid. Il est à noter que cette idée a resurgi il y a peu dans une société de cosmétique chilienne qui avait remarqué les effets remarquables d’un tel produit sur les mains gercées des ouvrières des poissonneries et avait commercialisé un baume à la bave d’escargot. [3]

Un foie gras déjà contesté

Autre plat devenu festif, le foie gras, là encore, était consommé sur les riches tables ou de manière plus populaire et traditionnelle dans les régions de production, le Périgord et les alentours, et l’Alsace. Au Premier Empire et jusqu’en 1850, le terme de foie gras s’appliquait aussi bien aux foies hypertrophiés des oies ou canards, mais aussi à ceux des volailles, des chapons, voire des perdrix. Le « pâté de Strasbourg » était très renommé. Des détracteurs, défenseurs des animaux avant la lettre, estimaient que la pratique du gavage était un acte barbare : On enferme étroitement ces malheureux oiseaux, on leur cloue les pieds, on leur crève les yeux et  on les gorge de boulettes en les empêchant de boire pour les étouffer dans leur graisse. (…) Cet acte barbare met les oies à la torture. [4] Ces protestations n’émouvaient pas les gourmets qui goûtaient le foie gras avec des truffes, ou garnis de lard. Préparation culinaire du terroir, le foie gras restait cher au cœur des habitants du sud-ouest et de l’est de la France, à l’instar de Joachim Murat, natif du Quercy. Selon un de ses historiens, le général d’alors n’avait pas oublié les richesses de sa province (en octobre 1803) : Malgré la précipitation du départ  Joachim, dont l’appétit et la gourmandise étaient connus de tous les états-majors, avait fait prendre certaines précautions gastronomiques : un fourgon de cavalerie suivait vers Paris la berline à petites journées : il contenait des pots de grès remplis de raisiné, de foies gras et de confits d’oie. [5] Ce fut la dernière nuit de Murat en ses terres d’enfance, emportant avec lui ses saveurs.

Chantal Prévot, décembre 2023

Notes

[1] Extrait de La cuisinière de la campagne et de la ville ou La Nouvelle cuisine économique, À Paris, chez Audot, 1818, p. 201
[2] Extrait de La cuisine élémentaire et économique propre à toutes les conditions et à tous les pays, A Paris, Chez Levacher, 1805, p. 121-123
[3] La « crema de caracol » est toujours en vente dans des officines spécialisées.
[4] Statistique générale et particulière de la France, Paris, Buisson, 1803, t.1, p. 314
[5] Jean Fusil, « Murat et le Quercy », Cavalier et Roi, n° 38, 2007, p. 7-25

Type de recette

salée