Précédée d’un tableau préliminaire de la Révolution française, de Walter Scott (Paris : Treuttel & Würtz, 1827)
Parmi les biographies “historiques” sur Napoléon, il en est une que l'on passe souvent sous silence, mais qui n'en fut pas moins importante dans la constitution de la légende napoléonienne. Elle nous vient d'outre-Manche et est signée par Sir Walter Scott.
Auteur à succès, Walter Scott (1771-1832) a élaboré une oeuvre romantique pour partie issue de l'histoire et des légendes de son cher pays natal, l'Ecosse, et pour une autre partie, des romans historiques, parmi lesquels le fameux Ivanhoé (bien relayé par le film hollywoodien de 1952 avec le beau Robert Taylord), et Quentin Durward, écuyer à la cour de Louis XI).
Mais la fiction ne suffit plus à l'écrivain. Le succès de la biographie sur l'Amiral Nelson lui donne le courage de s'attaquer dès lors à un héros bien plus redoutable, car il vient juste de mourir sur l'île de Sainte-Hélène. Walter Scott mettra presque cinq ans à réunir la documentation nécessaire, il se rendit même à Paris pour la compléter. Et finalement en 1827, The life of Napoleon Buonaparte, emperor of French, with a preliminary view of the french revolution, est publié en plusieurs livraison à la fois par le grand éditeur londonien Longman, et à Edimbourg par Cadell & Co. C'est une somme considérable en neuf volumes, qui part de la Révolution et finit sur le rocher de l'Atlantique Sud.
L'intérêt français est immédiat, c'est le libraire parisien Treuttel et Wurtz qui assure une publication en langue anglaise pour le continent et la traduction en français la même année que l'édition originale. Une édition américaine publiée à Philadelphie, et des traductions allemande et espagnole suivront rapidement.
L'oeuvre reçut un accueil assez mitigé de part et d'autre de la Manche pour des raisons diamétralement opposées. Bien que Walter Scott dans son avertissement précise bien qu'il avait pour but d'écrire avec impartialité un « précis populaire de l'histoire de l'hôte le plus étonnant et des évènements les plus extraordinaires qu'on ait vus ces trente dernières années », ses opinions favorables sur Buonaparte déplaisent aux Anglais, et ses critiques sur l'homme va-t-en-guerre, inconstant dans sa politique, mortifient les partisans français de Napoléon.
L'exemple le plus éclatant fut sans conteste la dispute qui opposa le compagnon d'exil Gaspard Gourgaud à l'écrivain écossais, et qui faillir finir en duel (on n'en attendait pas moins du bouillant général). L'objet de la querelle réside dans les pages consacrées au départ du général Gourgaud de l'île de Sainte-Hélène. Walter Scott qui avait eu accès à des archives britanniques de la guerre et des colonies affirme que l'officier français, désireux de se rendre en Europe auprès de sa famille et fatigué de la mésentente avec le grand-maréchal Bertrand, a informé tout d'abord le gouverneur, puis le gouvernement britannique à Londres, des projets de fuites qui avaient été proposés à Napoléon, et du désir de ce dernier, au contraire, de rester prisonnier.
Les journalistes français prendront fait et cause pour Gourgaud, qui bénéficiera même de l'appui de ses anciens compagnons d'exil, Bertrand et Montholon, unis pour une fois (Walter Scott réussissant là où Napoléon avait échoué !). Le duel physique ne se fit pas (il aurait fallu aller en Grande-Bretagne) et se transforma en duel pamphlétaire, à coup de publications. Si Gourgaud revêtit alors l'habit du martyr aux yeux de l'opinion française, le doute était posé et les publications historiques récentes montrent que submergé par la rancoeur, et l'ambiance si particulière de Sainte-Hélène et de Longwood, le général s'est laissé allé à des confidences et des indiscrétions.
Un autre mécontent fut le gouverneur de Sainte-Hélène, Sir Hudson Lowe, qui fut outré du traitement que Walter Scott lui avait réservé. Pourtant, ce dernier avec beaucoup de précaution décrit les querelles entre l'illustre prisonnier et son geôlier, et renvoie dos à dos deux personnes aux tempéraments peu conciliants. Mais Hudson Lowe n'apprécia guère que Walter Scott insinue que « plus d'indulgence [de sa part] n'auraient pas nuit, bien au contraire ».
Au-delà de ces orgueils froissés, La vie de Napoléon de Walter Scott marque le revirement d'une certaine opinion britannique et s'insère dans le processus qui fit de l'homme Napoléon un mythe.