La confession d’un enfant du siècle, d’Alfred de Musset : première partie, chapitre I-II

Alfred de Musset est bien plus que cette image du brillant décadent littéraire, aux amours sulfureuses. Il est le représentant d’une génération, celle de Victor Hugo, par exemple, et surtout le fruit d’une époque. Sans Napoléon, pas de romantisme. Sans la fin de l’Empereur, pas d’inspiration.

« Comme à l’approche d’une tempête il passe dans les forêts un vent terrible qui fait frissonner tous les arbres, à quoi succède un profond silence, ainsi Napoléon avait tout ébranlé en passant sur le monde. »

« Devant Napoléon la majesté royale l’avait fait ce geste qui perd tout, et non seulement la majesté, mais la religion, mais la noblesse, mais toute puissance divine et humaine.
Napoléon mort, les puissances divines et humaines étaient bien rétablies de fait ; mais la croyance en elles n’existait plus. Il y a un danger terrible à savoir ce qui est possible, car l’esprit va toujours plus loin. Autre chose est de se dire : Ceci pourrait être, ou de se dire : Ceci a été ; c’est la première morsure du chien. »

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Extraits

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE PREMIER

Pour écrire l’histoire de sa vie, il faut d’abord avoir vécu ; aussi n’est-ce pas la mienne que j’écris.

Mais de même qu’un blessé atteint de la gangrène s’en va dans un amphithéâtre se faire couper un membre pourri ; et le professeur qui l’ampute, couvrant d’un linge blanc le membre séparé du corps, le fait circuler de mains en mains par tout l’amphithéâtre, pour que les élèves l’examinent ; de même, lorsqu’un certain temps de l’existence d’un homme, et, pour ainsi dire, un des membres de sa vie, a été blessé et gangrené par une maladie morale, il peut couper cette portion de lui-même, la retrancher du reste de sa vie, et la faire circuler sur la place publique, afin que les gens du même âge palpent et jugent la maladie.

Ainsi, ayant été atteint, dans la première fleur de la jeunesse, d’une maladie morale abominable, je raconte ce qui m’est arrivé pendant trois ans. Si j’étais seul malade, je n’en dirais rien ; mais comme il y en a beaucoup d’autres que moi qui souffrent du même mal, j’écris pour ceux-là, sans trop savoir s’ils y feront attention ; car dans le cas où personne n’y prendrait garde, j’aurai encore retiré ce fruit de mes paroles de m’être mieux guéri moi-même, et comme le renard pris au piège, j’aurai rongé mon pied captif.

CHAPITRE II

Pendant les guerres de l’empire, tandis que les maris et les frères étaient en Allemagne, les mères inquiètes avaient mis au monde une génération ardente, pâle, nerveuse. Conçus entre deux batailles, élevés dans les colléges aux roulements des tambours, des milliers d’enfants se regardaient entre eux d’un œil sombre, en essayant leurs muscles chétifs. De temps en temps leurs pères ensanglantés apparaissaient, les soulevaient sur leurs poitrines chamarrées d’or, puis les posaient à terre et remontaient à cheval.

Un seul homme était en vie alors en Europe ; le reste des êtres tâchait de se remplir les poumons de l’air qu’il avait respiré. Chaque année, la France faisait présent à cet homme de trois cent mille jeunes gens ; et lui, prenant avec un sourire cette fibre nouvelle arrachée au cœur de l’humanité, il la tordait entre ses mains, et en faisait une corde neuve à son arc ; puis il posait sur cet arc une de ces flèches qui traversèrent le monde, et s’en furent tomber dans une petite vallée d’une île déserte, sous un saule pleureur.

Jamais il n’y eut tant de nuits sans sommeil que du temps de cet homme ; jamais on ne vit se pencher sur les remparts des villes un tel peuple de mères désolées ; jamais il n’y eut un tel silence autour de ceux qui parlaient de mort. Et pourtant jamais il n’y eut tant de joie, tant de vie, tant de fanfares guerrières dans tous les cœurs ; jamais il n’y eut de soleils si purs que ceux qui séchèrent tout ce sang. On disait que Dieu les faisait pour cet homme, et on les appelait ses soleils d’Austerlitz. Mais il les faisait bien lui-même avec ses canons toujours tonnants, et qui ne laissaient de nuages qu’aux lendemains de ses batailles.

C’était l’air de ce ciel sans tache, où brillait tant de gloire, où resplendissait tant d’acier, que les enfants respiraient alors. Ils savaient bien qu’ils étaient destinés aux hécatombes ; mais ils croyaient Murat invulnérable, et on avait vu passer l’Empereur sur un pont où sifflaient tant de balles, qu’on ne savait s’il pouvait mourir. Et quand même on aurait dû mourir, qu’était-ce que cela ? La mort elle-même était si belle alors, si grande, si magnifique dans sa pourpre fumante ! Elle ressemblait si bien à l’espérance, elle fauchait de si verts épis qu’elle en était comme devenue jeune, et qu’on ne croyait plus à la vieillesse. Tous les berceaux de France étaient des boucliers ; tous les cercueils en étaient aussi ; il n’y avait vraiment plus de vieillards ; il n’y avait que des cadavres ou des demi-dieux.

Cependant l’immortel Empereur était un jour sur une colline à regarder sept peuples s’égorger ; comme il ne savait pas encore s’il serait le maître du monde ou seulement de la moitié, Azraël passa sur la route ; il l’effleura du bout de l’aile, et le poussa dans l’Océan. Au bruit de sa chute, les vieilles croyances moribondes se redressèrent sur leurs lits de douleur, et, avançant leurs pattes crochues, toutes les royales araignées découpèrent l’Europe, et de la pourpre de César se firent un habit d’Arlequin.

De même qu’un voyageur, tant qu’il est sur le chemin, court nuit et jour par la pluie et par le soleil, sans s’apercevoir de ses veilles ni des dangers ; mais dès qu’il est arrivé au milieu de sa famille et qu’il s’assoit devant le feu, il éprouve une lassitude sans bornes et peut à peine se traîner à son lit ; ainsi la France, veuve de César, sentit tout à coup sa blessure. Elle tomba en défaillance, et s’endormit d’un si profond sommeil que ses vieux rois, la croyant morte, l’enveloppèrent d’un linceul blanc. La vieille armée en cheveux gris rentra épuisée de fatigue, et les foyers des châteaux déserts se rallumèrent tristement.

Alors ces hommes de l’Empire, qui avaient tant couru et tant égorgé, embrassèrent leurs femmes amaigries et parlèrent de leurs premières amours ; ils se regardèrent dans les fontaines de leurs prairies natales, et ils s’y virent si vieux, si mutilés, qu’ils se souvinrent de leurs fils, afin qu’on leur fermât les yeux. Ils demandèrent où ils étaient ; les enfants sortirent des collèges, et ne voyant plus ni sabres, ni cuirasses, ni fantassins, ni cavaliers, ils demandèrent à leur tour où étaient leurs pères. Mais on leur répondit que la guerre était finie, que César était mort, et que les portraits de Wellington et de Blücher étaient suspendus dans les antichambres des consulats et des ambassades, avec ces deux mots au bas : Salvatoribus mundi.

Alors il s’assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse. Tous ces enfants étaient des gouttes d’un sang brûlant qui avait inondé la terre ; ils étaient nés au sein de la guerre, pour la guerre. Ils avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides ; on les avait trempés dans le mépris de la vie comme de jeunes épées. Ils n’étaient pas sortis de leurs villes, mais on leur avait dit que par chaque barrière de ces villes on allait à une capitale d’Europe. Ils avaient dans la tête tout un monde ; ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout cela était vide, et les cloches de leurs paroisses résonnaient seules dans le lointain.

De pâles fantômes, couverts de robes noires, traversaient lentement les campagnes ; d’autres frappaient aux portes des maisons, et dès qu’on leur avait ouvert, ils tiraient de leurs poches de grands parchemins tout usés, avec lesquels ils chassaient les habitants. De tous côtés arrivaient des hommes encore tout tremblants de la peur qui leur avait pris à leur départ, vingt ans auparavant. Tous réclamaient, disputaient et criaient ; on s’étonnait qu’une seule mort pût appeler tant de corbeaux.

Le roi de France était sur son trône, regardant çà et là s’il ne voyait pas une abeille dans ses tapisseries. Les uns lui tendaient leur chapeau, et il leur donnait de l’argent ; les autres lui montraient un crucifix, et il le baisait ; d’autres se contentaient de lui crier aux oreilles de grands noms retentissants, et il répondait à ceux-là d’aller dans sa grand’salle, que les échos en étaient sonores ; d’autres encore lui montraient leurs vieux manteaux, comme ils en avaient bien effacé les abeilles, et à ceux-là il donnait un habit neuf.

Les enfants regardaient tout cela, pensant toujours que l’ombre de César allait débarquer à Cannes et souffler sur ces larves ; mais le silence continuait toujours, et l’on ne voyait flotter dans le ciel que la pâleur des lis. Quand les enfants parlaient de gloire, on leur disait : Faites-vous prêtres ; quand ils parlaient d’ambition : Faites-vous prêtres ; d’espérance, d’amour, de force, de vie : Faites-vous prêtres.

Cependant, il monta à la tribune aux harangues un homme qui tenait à la main un contrat entre le roi et le peuple ; il commença à dire que la gloire était une belle chose, et l’ambition et la guerre aussi ; mais qu’il y en avait une plus belle, qui s’appelait la liberté.

Les enfants relevèrent la tête et se souvinrent de leurs grands-pères, qui en avaient aussi parlé. Ils se souvinrent d’avoir rencontré, dans les coins obscurs de la maison paternelle, des bustes mystérieux avec de longs cheveux de marbre et une inscription romaine ; ils se souvinrent d’avoir vu le soir, à la veillée, leurs aïeules branler la tête et parler d’un fleuve de sang bien plus terrible encore que celui de l’Empereur. Il y avait pour eux dans ce mot de liberté quelque chose qui leur faisait battre le cœur à la fois comme un lointain et terrible souvenir et comme une chère espérance, plus lointaine encore.

Ils tressaillirent en l’entendant ; mais, en rentrant au logis, ils virent trois paniers qu’on portait à Clamart : c’étaient trois jeunes gens qui avaient prononcé trop haut ce mot de liberté.

Un étrange sourire leur passa sur les lèvres à cette triste vue ; mais d’autres harangueurs, montant à la tribune, commencèrent à calculer publiquement ce que coûtait l’ambition, et que la gloire était bien chère ; ils firent voir l’horreur de la guerre et appelèrent boucheries les hécatombes. Et ils parlèrent tant et si longtemps que toutes les illusions humaines, comme des arbres en automne, tombaient feuille à feuille autour d’eux, et que ceux qui les écoutaient passaient leur main sur leur front, comme des fiévreux qui s’éveillent.

Les uns disaient : Ce qui a causé la chute de l’Empereur, c’est que le peuple n’en voulait plus ; les autres : Le peuple voulait le roi ; non, la liberté ; non, la raison ; non, la religion ; non, la constitution anglaise ; non, l’absolutisme ; un dernier ajouta : Non ! rien de tout cela, mais le repos. Et ils continuèrent ainsi, tantôt raillant, tantôt disputant, pendant nombre d’années, et, sous prétexte de bâtir, démolissant tout pierre à pierre, si bien qu’il ne passait plus rien de vivant dans l’atmosphère de leurs paroles, et que les hommes de la veille devenaient tout à coup des vieillards.

Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris.

Voilà dans quel chaos il fallut choisir alors ; voilà ce qui se présentait à des enfants pleins de force et d’audace, fils de l’Empire et petits-fils de la Révolution.

Or, du passé, ils n’en voulaient plus, car la foi en rien ne se donne ; l’avenir, ils l’aimaient, mais quoi ? comme Pygmalion Galathée ; c’était pour eux comme une amante de marbre, et ils attendaient qu’elle s’animât, que le sang colorât ses veines.

Il leur restait donc le présent, l’esprit du siècle, ange du crépuscule, qui n’est ni la nuit ni le jour ; ils le trouvèrent assis sur un sac de chaux plein d’ossements, serré dans le manteau des égoïstes, et grelottant d’un froid terrible. L’angoisse de la mort leur entra dans l’âme à la vue de ce spectre moitié momie et moitié fœtus ; ils s’en approchèrent comme le voyageur à qui l’on montre à Strasbourg la fille d’un vieux comte de Sarverden, embaumée dans sa parure de fiancée. Ce squelette enfantin fait frémir, car ses mains fluettes et livides portent l’anneau des épousées, et sa tête tombe en poussière au milieu des fleurs d’oranger.

Comme à l’approche d’une tempête il passe dans les forêts un vent terrible qui fait frissonner tous les arbres, à quoi succède un profond silence, ainsi Napoléon avait tout ébranlé en passant sur le monde ; les rois avaient senti vaciller leur couronne, et, portant leur main à leur tête, ils n’y avaient trouvé que leurs cheveux hérissés de terreur. Le pape avait fait trois cents lieues pour le bénir au nom de Dieu et lui poser son diadème ; mais il le lui avait pris des mains. Ainsi tout avait tremblé dans cette forêt lugubre des puissances de la vieille Europe ; puis le silence avait succédé.

On dit que, lorsqu’on rencontre un chien furieux, si l’on a le courage de marcher gravement, sans se retourner, et d’une manière régulière, le chien se contente de vous suivre pendant un certain temps, en grommelant entre ses dents ; tandis que, si on laisse échapper un geste de terreur, si on fait un pas trop vite, il se jette sur vous et vous dévore ; car une fois la première morsure faite, il n’y a plus moyen de lui échapper.

Or, dans l’histoire européenne, il était arrivé souvent qu’un souverain eût fait ce geste de terreur et que son peuple l’eût dévoré ; mais si un l’avait fait, tous ne l’avaient pas fait en même temps, c’est-à-dire qu’un roi avait disparu, mais non la majesté royale. Devant Napoléon la majesté royale l’avait fait ce geste qui perd tout, et non seulement la majesté, mais la religion, mais la noblesse, mais toute puissance divine et humaine.

Napoléon mort, les puissances divines et humaines étaient bien rétablies de fait ; mais la croyance en elles n’existait plus. Il y a un danger terrible à savoir ce qui est possible, car l’esprit va toujours plus loin. Autre chose est de se dire : Ceci pourrait être, ou de se dire : Ceci a été ; c’est la première morsure du chien.

Napoléon despote fut la dernière lueur de la lampe du despotisme ; il détruisit et parodia les rois, comme Voltaire les livres saints. Et après lui on entendit un grand bruit, c’était la pierre de Sainte-Hélène qui venait de tomber sur l’ancien monde. Aussitôt parut dans le ciel l’astre glacial de la raison ; et ses rayons, pareils à ceux de la froide déesse des nuits, versant de la lumière sans chaleur, enveloppèrent le monde d’un suaire livide.

On avait bien vu jusqu’alors des gens qui haïssaient les nobles, qui déclamaient contre les prêtres, qui conspiraient contre les rois ; on avait bien crié contre les abus et les préjugés ; mais ce fut une grande nouveauté que de voir le peuple en sourire. S’il passait un noble, ou un prêtre, ou un souverain, les paysans qui avaient fait la guerre commençaient à hocher la tête et à dire : « Ah ! celui-là nous l’avons vu en temps et en lieu ; il avait un autre visage. » Et quand on parlait du trône et de l’autel, ils répondaient : « Ce sont quatre ais de bois ; nous les avons cloués et décloués. » Et quand on leur disait : « Peuple, tu es revenu des erreurs qui t’avaient égaré ; tu as rappelé tes rois et tes prêtres » ; ils répondaient : « Ce n’est pas nous ; ce sont ces bavards-là. » Et quand on leur disait : « Peuple, oublie le passé, laboure et obéis », ils se redressaient sur leurs sièges, et on entendait un sourd retentissement. C’était un sabre rouillé et ébréché qui avait remué dans un coin de la chaumière. Alors on ajoutait aussitôt : « Reste en repos du moins ; si on ne te nuit pas, ne cherche pas à nuire. » Hélas ! ils se contentaient de cela.

Mais la jeunesse ne s’en contentait pas. Il est certain qu’il y a dans l’homme deux puissances occultes qui combattent jusqu’à la mort ; l’une, clairvoyante et froide, s’attache à la réalité, la calcule, la pèse, et juge le passé ; l’autre a soif de l’avenir et s’élance vers l’inconnu. Quand la passion emporte l’homme, la raison le suit en pleurant et en l’avertissant du danger ; mais dès que l’homme s’est arrêté à la voix de la raison, dès qu’il s’est dit : C’est vrai, je suis un fou ; où allais-je ? la passion lui crie : Et moi, je vais donc mourir ?

Un sentiment de malaise inexprimable commença donc à fermenter dans tous les cœurs jeunes. Condamnés au repos par les souverains du monde, livrés aux cuistres de toute espèce, à l’oisiveté et à l’ennui, les jeunes gens voyaient se retirer d’eux les vagues écumantes contre lesquelles ils avaient préparé leur bras. Tous ces gladiateurs frottés d’huile se sentaient au fond de l’âme une misère insupportable. Les plus riches se firent libertins ; ceux d’une fortune médiocre prirent un état et se résignèrent soit à la robe, soit à l’épée ; les plus pauvres se jetèrent dans l’enthousiasme à froid, dans les grands mots, dans l’affreuse mer de l’action sans but. Comme la faiblesse humaine cherche l’association et que les hommes sont troupeaux de nature, la politique s’en mêla. On s’allait battre avec les gardes du corps sur les marches de la chambre législative, on courait à une pièce de théâtre où Talma portait une perruque qui le faisait ressembler à César, on se ruait à l’enterrement d’un député libéral. Mais des membres des deux partis opposés, il n’en était pas un qui, en rentrant chez lui, ne sentît amèrement le vide de son existence et la pauvreté de ses mains.

En même temps que la vie du dehors était si pâle et si mesquine, la vie intérieure de la société prenait un aspect sombre et silencieux ; l’hypocrisie la plus sévère régnait dans les mœurs ; les idées anglaises se joignant à la dévotion, la gaîté même avait disparu. Peut-être était-ce la Providence qui préparait déjà ses voies nouvelles ; peut-être était-ce l’ange avant-coureur des sociétés futures qui semait déjà dans le cœur des femmes les germes de l’indépendance humaine, que quelque jour elles réclameront. Mais il est certain que tout d’un coup, chose inouïe, dans tous les salons de Paris, les hommes passèrent d’un côté et les femmes de l’autre ; et ainsi, les unes vêtues de blanc comme des fiancées, les autres vêtus de noir comme des orphelins, ils commencèrent à se mesurer des yeux.

Qu’on ne s’y trompe pas : ce vêtement noir que portent les hommes de notre temps est un symbole terrible ; pour en venir là, il a fallu que les armures tombassent pièce à pièce et les broderies fleur à fleur. C’est la raison humaine qui a renversé toutes les illusions ; mais elle en porte elle-même le deuil, afin qu’on la console.

Les mœurs des étudiants et des artistes, ces mœurs si libres, si belles, si pleines de jeunesse, se ressentirent du changement universel. Les hommes, en se séparant des femmes, avaient chuchoté un mot qui blesse à mort : le mépris ; ils s’étaient jetés dans le vin et dans les courtisanes. Les étudians et les artistes s’y jetèrent aussi ; l’amour était traité comme la gloire et la religion ; c’était une illusion ancienne.On allait donc aux mauvais lieux ; la grisette, cette classe si rêveuse, si romanesque, et d’un amour si tendre et si doux, se vit abandonnée aux comptoirs des boutiques. Elle était pauvre, et on ne l’aimait plus ; elle voulut avoir des robes et des chapeaux : elle se vendit. Ô misère ! le jeune homme qui aurait dû l’aimer, qu’elle aurait aimé elle-même, celui qui la conduisait autrefois aux bois de Verrières et de Romainville, aux danses sur le gazon, aux soupers sous l’ombrage ; celui qui venait causer le soir sous la lampe, au fond de la boutique, durant les longues veillées d’hiver ; celui qui partageait avec elle son morceau de pain trempé de la sueur de son front, et son amour sublime et pauvre ; celui-là, ce même homme, après l’avoir délaissée, la retrouvait quelque soir d’orgie au fond du lupanar, pâle et plombée, à jamais perdue, avec la faim sur les lèvres et la prostitution dans le cœur.

Or, vers ces temps-là, deux poètes, les deux plus beaux génies du siècle après Napoléon, venaient de consacrer leur vie à rassembler tous les éléments d’angoisse et de douleur épars dans l’univers. Goethe, le patriarche d’une littérature nouvelle, après avoir peint dans Werther la passion qui mène au suicide, avait tracé dans son Faust la plus sombre figure humaine qui eût jamais représenté le mal et le malheur. Ses écrits commencèrent alors à passer d’Allemagne en France.

Du fond de son cabinet d’étude, entouré de tableaux et de statues, riche, heureux et tranquille, il regardait venir à nous son œuvre de ténèbres avec un sourire paternel. Byron lui répondit par un cri de douleur qui fit tressaillir la Grèce, et suspendit Manfred sur les abîmes, comme si le néant eût été le mot de l’énigme hideuse dont il s’enveloppait.

Pardonnez-moi, ô grands poètes, qui êtes maintenant un peu de cendre et qui reposez sous la terre ; pardonnez-moi ! vous êtes des demi-dieux, et je ne suis qu’un enfant qui souffre. Mais en écrivant tout ceci, je ne puis m’empêcher de vous maudire. Que ne chantiez-vous le parfum des fleurs, les voix de la nature, l’espérance et l’amour, la vigne et le soleil, l’azur et la beauté ? Sans doute vous connaissiez la vie, et sans doute vous aviez souffert ; et le monde croulait autour de vous, et vous pleuriez sur ses ruines, et vous désespériez ; et vos maîtresses vous avaient trahis, et vos amis calomniés, et vos compatriotes méconnus ; et vous aviez le vide dans le cœur, la mort devant les yeux, et vous étiez des colosses de douleur. Mais dites-moi, vous, noble Goethe, n’y avait-il plus de voix consolatrice dans le murmure religieux de vos vieilles forêts d’Allemagne ? Vous pour qui la belle poésie était la sœur de la science, ne pouvaient-elles à elles deux trouver dans l’immortelle nature une plante salutaire pour le cœur de leur favori ? Vous qui étiez un panthéiste, un poète antique de la Grèce, un amant des formes sacrées, ne pouviez-vous mettre un peu de miel dans ces beaux vases que vous saviez faire, vous qui n’aviez qu’à sourire et à laisser les abeilles vous venir sur les lèvres ? Et toi, et toi, Byron, n’avais-tu pas près de Ravenne, sous tes orangers d’Italie, sous ton beau ciel vénitien, près de ta chère Adriatique, n’avais-tu pas ta bien-aimée ? Ô Dieu ! moi qui te parle, et qui ne suis qu’un faible enfant, j’ai connu peut-être des maux que tu n’as pas soufferts, et cependant je crois encore à l’espérance, et cependant je bénis Dieu.

Quand les idées anglaises et allemandes passèrent ainsi sur nos têtes, ce fut comme un dégoût morne et silencieux, suivi d’une convulsion terrible. Car formuler des idées générales, c’est changer le salpêtre en poudre, et la cervelle homérique du grand Goethe avait sucé, comme un alambic, toute la liqueur du fruit défendu. Ceux qui ne le lurent pas alors crurent n’en rien savoir. Pauvres créatures ! l’explosion les emporta comme des grains de poussière dans l’abîme du doute universel.

Ce fut comme une dénégation de toutes choses du ciel et de la terre, qu’on peut nommer désenchantement, ou si l’on veut, désespérance, comme si l’humanité en léthargie avait été crue morte par ceux qui lui tâtaient le pouls. De même que ce soldat à qui l’on demanda jadis : À quoi crois-tu ? et qui le premier répondit : À moi ; ainsi la jeunesse de France, entendant cette question, répondit la première : À rien.

Dès lors il se forma comme deux camps : d’une part, les esprits exaltés, souffrants, toutes les âmes expansives qui ont besoin de l’infini, plièrent la tête en pleurant ; ils s’enveloppèrent de rêves maladifs, et l’on ne vit plus que de frêles roseaux sur un océan d’amertume. D’une autre part, les hommes de chair restèrent debout, inflexibles, au milieu des jouissances positives, et il ne leur prit d’autre souci que de compter l’argent qu’ils avaient. Ce ne fut qu’un sanglot et un éclat de rire, l’un venant de l’âme, et l’autre du corps.

Voici donc ce que disait l’âme :

Hélas ! hélas ! la religion s’en va ; les nuages du ciel tombent en pluie ; nous n’avons plus ni espoir ni attente, pas deux petits morceaux de bois noir en croix devant lesquels tendre les mains. Le fleuve de la vie charrie de grands glaçons sur lesquels flottent les ours du pôle. L’astre de l’avenir se lève à peine ; il ne peut sortir de l’horizon ; il y reste enveloppé de nuages, et comme le soleil en hiver, son disque y apparaît d’un rouge de sang, qu’il a gardé de quatre-vingt-treize. Il n’y a plus d’amour, il n’y a plus de gloire. Quelle épaisse nuit sur la terre ! Et nous serons morts quand il fera jour.

Voici donc ce que disait le corps :

L’homme est ici-bas pour se servir de ses sens ; il a plus ou moins de morceaux d’un métal jaune ou blanc, avec quoi il a droit à plus ou moins d’estime. Manger, boire et dormir, c’est vivre. Quant aux liens qui existent entre les hommes, l’amitié consiste à prêter de l’argent ; mais il est rare d’avoir un ami qu’on puisse aimer assez pour cela. La parenté sert aux héritages : l’amour est un exercice du corps ; la seule jouissance intellectuelle est la vanité.

De même que, dans la machine pneumatique une balle de plomb et un duvet tombent aussi vite l’une que l’autre dans le vide, ainsi les plus fermes esprits subirent alors le même sort que les plus faibles et tombèrent aussi avant dans les ténèbres. De quoi sert la force lorsqu’elle manque de point d’appui ? Il n’y a point de ressource contre le vide. Je n’en veux d’autre preuve que Goethe lui-même, qui, lorsqu’il nous fit tant de mal, avait ressenti la souffrance de Faust avant de la répandre, et avait succombé comme tant d’autres, lui, fils de Spinosa, qui n’avait qu’à toucher la terre pour revivre, comme le fabuleux Antée.

Mais, pareille à la peste asiatique exhalée des vapeurs du Gange, l’affreuse désespérance marchait à grands pas sur la terre. Déjà Chateaubriand, prince de poésie, enveloppant l’horrible idole de son manteau de pèlerin, l’avait placée sur un autel de marbre, au milieu des parfums des encensoirs sacrés. Déjà, pleins d’une force désormais inutile, les enfants du siècle raidissaient leurs mains oisives et buvaient dans leur coupe stérile le breuvage empoisonné. Déjà tout s’abîmait, quand les chacals sortirent de terre. Une littérature cadavéreuse et infecte, qui n’avait que la forme, mais une forme hideuse, commença d’arroser d’un sang fétide tous les monstres de la nature.

Qui osera jamais raconter ce qui se passait alors dans les collèges ? Les hommes doutaient de tout : les jeunes gens nièrent tout. Les poètes chantaient le désespoir : les jeunes gens sortirent des écoles avec le front serein, le visage frais et vermeil, et le blasphème à la bouche. D’ailleurs le caractère français, qui de sa nature est gai et ouvert, prédominant toujours, les cerveaux se remplirent aisément des idées anglaises et allemandes, mais les cœurs, trop légers pour lutter et pour souffrir, se flétrirent comme des fleurs fanées. Ainsi le principe de mort descendit froidement et sans secousse de la tête aux entrailles. Au lieu d’avoir l’enthousiasme du mal nous n’eûmes que l’abnégation du bien ; au lieu du désespoir, l’insensibilité. Des enfants de quinze ans, assis nonchalamment sous des arbrisseaux en fleur, tenaient par passe-temps des propos qui auraient fait frémir d’horreur les bosquets immobiles de Versailles. La communion du Christ, l’hostie, ce symbole éternel de l’amour céleste, servait à cacheter des lettres ; les enfants crachaient le pain de Dieu.

Heureux ceux qui échappèrent à ces temps ! heureux ceux qui passèrent sur les abîmes en regardant le ciel ! Il y en eut sans doute, et ceux-là nous plaindront.

Il est malheureusement vrai qu’il y a dans le blasphème une grande déperdition de force qui soulage le cœur trop plein. Lorsqu’un athée, tirant sa montre, donnait un quart d’heure à Dieu pour le foudroyer, il est certain que c’était un quart d’heure de colère et de jouissance atroce qu’il se procurait. C’était le paroxysme du désespoir, un appel sans nom à toutes les puissances célestes ; c’était une pauvre et misérable créature se tordant sous le pied qui l’écrase ; c’était un grand cri de douleur. Et qui sait ? aux yeux de celui qui voit tout, c’est peut-être une prière.

Ainsi les jeunes gens trouvaient un emploi de la force inactive dans l’affectation du désespoir. Se railler de la gloire, de la religion, de l’amour, de tout au monde, est une grande consolation, pour ceux qui ne savent que faire ; ils se moquent par là d’eux-mêmes et se donnent raison tout en se faisant la leçon. Et puis, il est doux de se croire malheureux, lorsqu’on n’est que vide et ennuyé. La débauche, en outre, première conclusion des principes de mort, est une terrible meule de pressoir lorsqu’il s’agit de s’énerver.

En sorte que les riches se disaient : Il n’y a de vrai que la richesse ; tout le reste est un rêve ; jouissons et mourons. Ceux d’une fortune médiocre se disaient : Il n’y a de vrai que l’oubli ; tout le reste est un rêve ; oublions et mourons. Et les pauvres disaient : Il n’y a de vrai que le malheur ; tout le reste est un rêve ; blasphémons et mourons.

Ceci est-il trop noir ? est-ce exagéré ? Qu’en pensez-vous ? Suis-je un misanthrope ? Qu’on me permette une réflexion.

En lisant l’histoire de la chute de l’Empire romain, il est impossible de ne pas s’apercevoir du mal que les chrétiens, si admirables dans le désert, firent à l’État dès qu’ils eurent la puissance. « Quand je pense, dit Montesquieu, à l’ignorance profonde dans laquelle le clergé grec plongea les laïques, je ne puis m’empêcher de le comparer à ces Scythes dont parle Hérodote, qui crevaient les yeux à leurs esclaves, afin que rien ne pût les distraire et les empêcher de battre leur lait. – Aucune affaire d’État, aucune paix, aucune guerre, aucune trêve, aucune négociation, aucun mariage, ne se traitèrent que par le ministère des moines. On ne saurait croire quel mal il en résulta. »

Montesquieu aurait pu ajouter : Le christianisme perdit les empereurs, mais il sauva les peuples. Il ouvrit aux Barbares les palais de Constantinople, mais il ouvrit les portes des chaumières aux anges consolateurs du Christ. Il s’agissait bien des grands de la terre ; et voilà qui est plus intéressant que les derniers râlements d’un empire corrompu jusqu’à la moelle des os, que le sombre galvanisme au moyen duquel s’agitait encore le squelette de la tyrannie sur la tombe d’Héliogabale et de Caracalla ! La belle chose à conserver que la momie de Rome embaumée des parfums de Néron, cerclée du linceul de Tibère ! Il s’agissait, messieurs les politiques, d’aller trouver les pauvres et de leur dire d’être en paix ; il s’agissait de laisser les vers et les taupes ronger les monuments de honte, mais de tirer des flancs de la momie une vierge aussi belle que la mère du Rédempteur, l’espérance, amie des opprimés.

Voilà ce que fit le christianisme ; et maintenant, depuis tant d’années, qu’on fait ceux qui l’ont détruit ? Ils ont vu que le pauvre se laissait opprimer par le riche, le faible par le fort, par cette raison qu’ils se disaient : Le riche et le fort m’opprimeront sur la terre ; mais quand ils voudront entrer au paradis, je serai à la porte et je les accuserai au tribunal de Dieu. Ainsi, hélas ! ils prenaient patience.

Les antagonistes du Christ ont donc dit au pauvre : Tu prends patience jusqu’au jour de justice, il n’y a point de justice ; tu attends la vie éternelle pour y réclamer ta vengeance, il n’y a point de vie éternelle ; tu amasses dans un flacon tes larmes et celles de ta famille, les cris de tes enfants et les sanglots de ta femme, pour les porter au pied de Dieu à l’heure de ta mort ; il n’y a point de Dieu.

Alors il est certain que le pauvre a séché ses larmes, qu’il a dit à sa femme de se taire, à ses enfants de venir avec lui, et qu’il s’est redressé sur la glèbe avec la force d’un taureau. Il a dit au riche : Toi qui m’opprimes, tu n’es qu’un homme ; et au prêtre : Tu en as menti, toi qui m’as consolé. C’était justement là ce que voulaient les antagonistes du Christ. Peut-être croyaient-ils faire ainsi le bonheur des hommes, en envoyant le pauvre à la conquête de la liberté.

Mais si le pauvre, ayant bien compris une fois que les prêtres le trompent, que les riches le dérobent, que tous les hommes ont les mêmes droits, que tous les biens sont de ce monde, et que sa misère est impie ; si le pauvre, croyant à lui et à ses deux bras pour toute croyance, s’est dit un beau jour : Guerre au riche ! à moi aussi la jouissance ici-bas, puisqu’il n’y en a pas d’autre ! à moi la terre, puisque le ciel est vide ! à moi et à tous, puisque tous sont égaux ! ô raisonneurs sublimes qui l’avez mené là, que lui direz-vous s’il est vaincu ?

Sans doute vous êtes des philanthropes, sans doute vous avez raison pour l’avenir, et le jour viendra où vous serez bénis ; mais pas encore, en vérité, nous ne pouvons pas vous bénir. Lorsque autrefois l’oppresseur disait : À moi la terre ! – À moi le ciel, répondait l’opprimé. À présent que répondra-t-il ?

Toute la maladie du siècle présent vient de deux causes ; le peuple qui a passé par 93 et par 1814 porte au cœur deux blessures. Tout ce qui était n’est plus ; tout ce qui sera n’est pas encore. Ne cherchez pas ailleurs le secret de nos maux.

Voilà un homme dont la maison tombe en ruine ; il l’a démolie pour en bâtir une autre. Les décombres gisent sur son champ, et il attend des pierres nouvelles pour son édifice nouveau. Au moment où le voilà prêt à tailler ses moellons et à faire son ciment, la pioche en mains, les bras retroussés, on vient lui dire que les pierres manquent et lui conseiller de reblanchir les vieilles pour en tirer parti. Que voulez-vous qu’il fasse, lui qui ne veut point de ruines pour faire un nid à sa couvée ? La carrière est pourtant profonde, les instruments trop faibles pour en tirer les pierres. Attendez, lui dit-on, on les tirera peu à peu ; espérez, travaillez, avancez, reculez. Que ne lui dit-on pas ? Et pendant ce temps-là cet homme, n’ayant plus sa vieille maison et pas encore sa maison nouvelle, ne sait comment se défendre de la pluie, ni comment préparer son repas du soir, ni où travailler, ni où reposer, ni où vivre, ni où mourir ; et ses enfants sont nouveau-nés.

Ou je me trompe étrangement, ou nous ressemblons à cet homme. Ô peuples des siècles futurs ! lorsque, par une chaude journée d’été, vous serez courbés sur vos charrues dans les vertes campagnes de la patrie ; lorsque vous verrez, sous un soleil pur et sans tache, la terre, votre mère féconde, sourire dans sa robe matinale au travailleur, son enfant bien-aimé ; lorsque, essuyant sur vos fronts tranquilles le saint baptême de la sueur, vous promènerez vos regards sur votre horizon immense, où il n’y aura pas un épi plus haut que l’autre dans la moisson humaine, mais seulement des bleuets et des marguerites au milieu des blés jaunissants ; ô hommes libres ! quand alors vous remercierez Dieu d’être nés pour cette récolte, pensez à nous qui n’y serons plus ; dites-vous que nous avons acheté bien cher le repos dont vous jouirez ; plaignez-nous plus que tous vos pères ; car nous avons beaucoup des maux qui les rendaient dignes de plainte, et nous avons perdu ce qui les consolait.