Les disettes de 1790, puis de 1811 et 1812 font lui donner toute son importance. L’utilité de ce légume qui se prête à tant de préparation a popularisé son goût. Des pains de fécule sont mis en vente pour remplacer l’indispensable pain de blé, base de l’alimentation. Des soupes dites « vermicelles » sont distribuées aux indigents : c’est en fait des pommes de terre râpées cuites à l’eau, le féculent remplaçant le pain traditionnel. Afin d’encadrer les abus, les autorités sont obligées de légiférer comme le maire de Tours qui signa un arrêté le 24 décembre 1811 stipulant que « Tout boulanger, qui dans l’intention de diminuer le prix du pain, le composera d’un mélange de pommes de fer, de farine de maïs, de pois … sera tenu de marquer le pain ainsi fabriqué de la lettre M pour indiquer le mélange, afin que le consommateur, averti par ce signe, puisse débattre le prix, s’il se détermine à acheter du pain de cette sorte ».
Il était également conseillé de faire sécher des pâtes de pommes de terre aplaties en forme de filet pour les conserver plusieurs années.
Un certain Cointeraux, établi à Lyon, écrivit un ouvrage entièrement consacré à l’art d’accommoder et de conserver cet « hortolage ». Soucieux de faire des économies à son ménage, il mit toute sa famille au régime pomme de terre : matin, midi et soir, elle en mange en soupe, en ragoût, en crème, en macarons, en gâteaux, en crêpes et même en tisane ! Dès l’aube, ses enfants allument le poêle spécialement conçu pour la cuisson des tubercules, les font cuire, les épluchent et finissent la matinée à la presse pour en faire sortir le vermicelle ! Cette industrie familiale les occupe tous les jours !
Mais certains esprits chagrins intentèrent un autre procès à la pomme de terre : gourmande en temps de cuisson, elle était source d’une trop grande consommation de bois, et donc de dévastation de forêts. Ainsi le préfet de Haute-Vienne fait la remarque en 1808 dans sont étude général du département que « Le peuple, accoutumé à consommer une plus grande quantité de bois depuis que la révolution lui a donné les moyens de se le procurer en abondance et à vil prix, ne peut facilement revenir à ses anciens principes de réserve et d’économie; il a constamment rejeté la méthode des fours économiques qui lui a été proposée pour la cuisson de la pomme-de-terre. Ce végétal, dont la culture s’est particulièrement accrue depuis la disette de 1790, occasionne une grande consommation de combustibles ; on attribue en partie à cette cause l’épuisement du bois ».
En 1815, la pomme de terre fait son entrée officielle à la Société royale (depuis peu) et centrale d’Agriculture, qui en recense déjà 125 espèces.
On les préférait de couleur violette, voire rouge, longue et plate. Les chairs « jaunes » venaient en dernier. Les plus grosses et rondes étaient réservées à l’alimentation animale.
Comment la mangeait-on ?
À l’étuvée, ou en hachis avec de la viande, ou persillée, en salade ou encore accompagnée de sauce blanche …. et bien sûr : frite ! La recette précise qu’il faut couper les pommes de terre en tranches, les jeter dans une friture bien chaude, les retirer quand les tranches deviennent cassantes et de belle couleur, et enfin les saupoudrer de sel fin avant de les servir chaud. Jusque là, la recette a traversé deux siècles sans changement. Mais la suite montre à quel point le 19e siècle aimait manger des aliments consistants : car on pouvait enrober les tranches d’une pâte faite de farine, jaunes d’œufs, un peu de d’huile et d’eau-de-vie.
Mais pas encore de mention de la purée, si ce n’est comme préparation d’un gâteau de pommes de terre. Il suffit d’y ajouter de l’eau-de-vie (ingrédient très utilisé pour parfumer), du sucre et du citron, des jaunes d’œufs, des blancs en neige et de faire cuire le tour dans un four bien chaud. Cela donne une pâtisserie … nourrissante.
Et tout est bon dans la pomme de terre : sa fécule permet de faire des pâtes, du pain. Distillée, elle devient eau-de-vie. Et même mêlée à des amandes douces réduites en poudre, elle constitue un masque souverain contre les gerçures et les rougeurs de la peau.
Chantal Prévot
Décembre 2006
Sources
AUDOT (Louis), La cuisinière de la campagne et de la ville, Paris, chez Audot, 1818, 250 p.
Bulletin de l’Oise, 28 décembre 1811 (Arrété de M. le maire de Tours)
Catalogue de la collection de Pommes de Terre, réunie par la Société royale et centrale d’Agriculture de Paris – 1815, Paris, Impr. De Madame Huzard, (1815), 6 p.
Corps législatif. Discours par M. le Chevallier Challon, en présentant un Mémoire de M. le Baron Van Recum sur la distillation de l’eau-de-vie de pommes de terre, (Paris), Impr; du Corps législatif (27 déc. 1813), 2 p.
COINTREAU (famille), La cuisine renversée ou le nouveau ménage, À Lyon : impr. De Ballanche et Barret, an 4
FIERRO (Alfred), « L’alimentation des Parisiens », dans Napoléon Ier, n°38, mai-juin 2006,p. 68-71
Notice sur les pâtes féculentes de Mme Vve Chauveau et Dufour, son associé [à partir de la fécule de pomme de terre], Se trouve à Paris, Au D^pot général, 1811, 46 p.
Textier-Olivier, Louis, Statistique générale de la France : département de la Haute Vienne, Paris, Testu, 1808, p. 52