Le Sire de Fisch-Ton-Kan

 

Collection de caricatures et de charges pour servir à l’histoire de la guerre et de la révolution de 1870-1871, [s.l.], [ca. 1872], Bd. 7, S. 143 © Universitätsbibliothek Heidelberg

Il avait un’ moustache énorme,
Un grand sabre et des croix partout,
Partout, partout !
Mais tout ça c’était pour la forme,
Et ça n’servait à rien du tout,
Rien du tout,
C’était un fameux capitaine
Qui t’nait avant tout à sa peau,
A sa peau !
Un jour il voit qu’son sabre l’gêne,
Aux ennemis, il en fait cadeau,
Quel beau cadeau !

Refrain
V’la le sir’ de Fisch-ton-Kan
Qui s’en va-t-en guerre,
En deux temps et trois mouv’ments,
Badinguet, fisch’ton camp,
L’pèr’, la mèr’, Badingue,
A deux sous tout l’paquet,
L’pèr’, la mèr’, Badingue,
Et le p’tit Badinguet.

Enfin, pour finir la légende,
De c’monsieur qu’on croyait César,
Croyait César !
Sous ce grand homm’ de contrebande,
V’la qu’on n’trouve plus qu’un mouchard,
Qu’un mouchard !
Chez c’bohomm’là, tout était louche,
Et la moral’ de c’boniment,
C’est qu’étant porté sur sa bouche
Il devait finir par Sedan.

Refrain
V’la le sir’ de Fisch-ton-Kan
Qui s’en va-t-en guerre,
En deux temps et trois mouv’ments,
Badinguet, fisch’ton camp,
L’pèr’, la mèr’, Badingue,
A deux sous tout l’paquet,
L’pèr’, la mèr’, Badingue,
Et le p’tit Badinguet.

Commentaire

Cette chanson satirique qui connut une énorme popularité, fut composée pendant la Commune (mars – mai 1871). Le librettiste, Urbain Roucoux (1845-1901), était auteur, acteur et chansonnier. Non seulement éditeur des journaux musicaux Le Calino, Café Concert et La chanson illustrée, il fut aussi l’auteur de plus de 70 chansons populaires, dont les plus connues sont Les pompiers de Nanterre, Le Sire de Fisch ton kan et La Fauvette du temple (musique par André Messager, 1885). Roucoux fut aussi librettiste pour le compositeur classique Emmanuel Chabrier (opérette Le roi malgré lui, qui eut sa première à l’Opéra-comique en 1887).

La musique de cette chanson fut composée par Antoine Magdeleine Louis (décédé en 1915), qui fut aussi le partenaire de Roucoux pour la chanson, Les Pompiers de Nanterre, une oeuvre si populaire qu’elle fut jouée par une fanfare prussienne pour faire marcher des prisonniers français…

Les paroles de cette chanson satirique (politiquement incorrectes à souhait) parodient Napoléon III et la famille impériale – en effet, la publication de telles chansons aujourd’hui aboutirait sans aucun doute à un procès. Si l’empereur n’est pas nommé explicitement, il est assez clairement indiqué par son surnom moqueur, « Badinguet ». Cette appellation fut donnée par Victor Hugo (entre autres) d’après le nom de l’ouvrier auquel Napoléon-Louis emprunta ses vêtements pour s’échapper du fort de Ham où il était emprisonné (1840-1846). Eugénie et le Prince impérial sont également évoqués (toujours implicitement) avec les mots, « La mère Badingue » et « le petit Badinguet ». Au fil des six versets, la chanson se moque de la diplomatie de l’empereur, de sa prouesse militaire et de son intérêt pour l’artillerie, de son fils, de son ambition à devenir empereur, de ses prouesses sexuelles, et finalement de son échec à Sedan – il y a même une parodie des paroles de Partant pour la Syrie, la « Marseillaise » du Second Empire.

Le titre, assez curieux, Le Sire de Fisch-Ton-Kan, appelle quelques explications. Il évoque deux choses. On peut y voir d’abord l’ordre de « ficher le camp » donné à la famille « Badinguet ». Ensuite, ce titre dégage une forte saveur chinoise. « Ton Kan » peut faire référence à la ville chinoise de Tonkin, d’autant que la date de publication de la chanson coïncide avec un engouement du public pour toute chose chinoise. Nous sommes à l’époque de l’opérette chinoise de Offenbach Ba-Ta Clan (1855), et en 1873 Emmanuel Chabrier écrivit une seconde (et inachevée) parodie de Napoléon III avec le poète Paul Verlaine (la première parodie fut écrite avec Verlaine en 1864 sous le titre Vaucochard et fils Ier) appelé Le Sire de Fisch Ton Kan, avec une intrigue pleine de références chinoises. L’armée française avait participé au (tristement) célèbre sac du Palais d’été à Pékin dix ans auparavant (en octobre 1860) et avait mis en déroute les troupes mandchoues à Palikao. Napoléon III avait décoré le commandant en chef des opérations, le général Cousin de Montauban, avec le titre de Comte de Palikao. Il n’est pas surprenant qu’un des personnages de l’opéra de Chabrier s’appela « Pélican » ! Roucoux et Chabrier collaborèrent dans les années 1880, sans doute se connaissaient-ils en 1871, d’où la coïncidence de titre. Pourtant, la raison précise pour laquelle Roucoux en 1871 donna à Napoléon un nom « chinois » nous échappe.

Compositeur

Paul Burani (musique) / Antonin Louis (paroles)

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