Éditorial
Sur le nombre de morts pendant les guerres napoléoniennes, on a dit tout et son contraire. Certains auteurs ont compté en millions, ne s’apercevant même pas que leur nombre excédait celui du total des engagés pendant la période ! D’autres ont compté en centaines de milles, ne s’intéressant qu’aux pertes les jours de bataille et oubliant tous ceux qui périrent ensuite pour mille et une raisons.
Cette querelle de chiffres pourrait paraître superflue si elle ne donnait pas de précieuses informations sur le déroulé d’une campagne, sa mortalité mais aussi les suites de celle-ci.
Suite à la journée d’études de notre revue qui s’est tenue en octobre 2022, plusieurs spécialistes renommés se sont penchés sur la question et ont livré des conclusions qui permettent de mieux cerner la réalité des pertes à la guerre. Notre journée d’études a ainsi atteint son but, susciter la recherche, lui permettre de débattre, de se confronter et in fine de s’exprimer.
Les résultats de leurs travaux font l’objet de cette publication autour d’une question aussi sensible que complexe. Il est donc beaucoup question de chiffres mais il s’agit d’un passage obligé si l’on veut vraiment cerner ce sujet.
Grâce au travail considérable des chercheurs, réalisé notamment à partir de dizaines de milliers de registres matricules des soldats conservés en archives, leur précision étonne et fournit une approche inédite de la vérité que nous avons le privilège de présenter ici.
On s’aperçoit que la mortalité est certes importante mais diffuse car très liée aux évènements de la vie d’alors, de l’accident à la maladie Les analyses mettent par exemple en évidence le fait que les causes de décès les plus fréquentes sont liées aux longs déplacements effectués, ou aux contacts avec les populations locales, davantage qu’aux armes de guerre. L’étude détaillée de la Jeune Garde met ainsi en évidence une mortalité forte dans ce corps, qui peut être mise en lien avec le manque d’expérience de ces recrues, et leur plus grande fragilité face à la maladie.
Le seul fait de déplacer des hommes et des femmes en ce début de XIXe augmente dans de grandes proportions la mortalité, multipliant ainsi les accidents, tels les chutes de cheval, ou les épidémies, du typhus à la syphilis. Le contexte de la guerre, fait de pénuries et de privations, ainsi que la rigueur du climat qui a sensiblement accru la mortalité durant la campagne de Russie, contribuent naturellement à accentuer le phénomène.
On ne saurait bien entendu exclure la mortalité du combat lui-même mais tuer, les manuels d’instruction de l’époque le prouvent, n’est pas chose facile contrairement à ce qui se passera un siècle plus tard lors de la Première guerre mondiale.
La tuerie de masse restant donc un phénomène rare, la mort semble plutôt une affaire individuelle intimement liée à la constitution physique des individus comme à l’endroit géographique dans lequel les soldats furent projetés. Pierre Branda
Sommaire
• Introduction, par Hervé Drévillon et François Houdecek
• Comment meure t-on dans les campagnes napoléoniennes ? Ou la mort, du combat au traumatisme, par Michel Roucaud
• Dépouillement et échantillonnage des registres de matricules des régiments en Espagne (1808-1814) : premiers résultats, par Antonio Grajal de Blas, Christian Granger, Jorge Planas Campos
• Les pertes au sein de la garde impériale, par Stéphane Calvet
• Où sont les morts, où sont les corps ?, par Frédéric Lemaire
• Un cas de micro-histoire. Les rapports Richelmi : soigner à Glogau en 1813, par Jean-François Brun
• La guerre qui rend fou, par François Houdecek