Madame Récamier, la "dame au sofa"

Auteur(s) : LERNER Elodie
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Compte-rendu du catalogue de l'exposition Juliette Récamier, muse et mécène, présentée au Musée des Beaux-Arts de Lyon du 27 mars au 29 juin 2009.
Madame Récamier, la "dame au sofa"
Canova, Les trois Grâces, 1810, esquisse, Lyon, MBA. © Lyon, MBA/Basset

L'un des principaux attraits du catalogue de la rétrospective « Juliette Récamier, muse et mécène », présentée au Musée des Beaux-Arts de Lyon du 27 mars au 29 juin 2009, réside dans les notices complètes qui analysent chacune des quelques 170 oeuvres exposées. Mais ce n'est pas le seul. Très largement illustré, cet ouvrage offre notamment au lecteur une bonne somme des connaissances sur Juliette, née en 1777 et décédée en 1849. Sa relation avec François-René de Chateaubriand (1768-1848) est ainsi notoire. De même, l'histoire du tableau peint par Jacques-Louis David (1748-1825) a-t-elle été souvent racontée, tout comme l'idylle de la française avec Auguste, prince de Prusse (1779-1843). Nous avons choisi de nous attarder plutôt sur certains chapitres qui s'attachent à des aspects moins souvent évoqués et dévoilent un peu la mystérieuse Mme Récamier en nous la montrant sous un nouveau jour. Partons donc en promenade, au bras de Juliette, dans son jardin secret.

Lyonnaise et fière de l’être

Vue d'une salle de l'expositionLes arbres de ce jardin plongent leur racine dans les origines lyonnaises de cette parisienne d'adoption. Comme de juste, cette exposition de déroule à Lyon et le catalogue met en exergue l'attachement à sa région natale de Juliette. Le legs (1) de cette dernière à la ville de Lyon montre que ce sentiment dura jusqu'à son dernier souffle. Cette fidélité, les lyonnais la lui ont bien rendu et en tout premier lieu son mémorialiste Edouard Herriot (1872-1957) qui fut maire de cette ville et président de l'Assemblée nationale. Ils ont aussi donné le nom de Juliette à une rue et à un lycée, dans la salle des professeurs duquel trône un exemplaire de son buste par Joseph Chinard (1756-1813).

Style Directoire et somptuosités consulaires

Juliette rencontre Chinard certainement dès 1790. Très tôt, elle bénéficie d'un enseignement artistique poussé, puis apprend à peindre auprès d'Hubert Robert (1733-1808). Tout au long de sa vie, elle visite avec plaisir les ateliers d'artistes. Son goût pour les arts va se manifester dans la décoration de son logement, l'hôtel particulier de la rue du Mont-Blanc acheté en 1798. Le réaménagement intérieur est confié à Louis-Martin Berthault (1770-1823), aux frères Jacob, probablement aidés par Charles Percier (1764-1838), soit aux plus grands de leur temps. Le résultat se montre à la hauteur des espérances du couple : teinté d'anacréontisme (2), le style Directoire y est porté à son apogée. Le catalogue met l'accent sur la postérité de cette décoration qui influence durablement des architectes tels que Karl Friedrich Schinkel (1781-1841) pour la chambre de la reine Louise au Palais de Charlottenbourg à Berlin.
La richesse de l'hôtel de la rue du Mont-Blanc est digne du statut social de monsieur Récamier. Promu régent de la Banque de France, il reçoit aussi lors de superbes fêtes au château de Clichy ou au domaine du Raincy, prêté par le banquier Gabriel-Julien Ouvrard (1770-1846). Le rôle d'hôtesse tenue par Mme Récamier dans son salon, où elle accueille les plus grands artistes de son temps ainsi que des hommes et femmes de tous bords politiques, est détaillé. En 1802, au moment de la Paix d'Amiens conclue entre la France et l'Angleterre, son voyage triomphal à Londres atteste d'une renommée internationale. En 1806 cependant, la vie de Juliette bascule : son mari est ruiné ; les années fastes appartiennent au passé.

L’exil voulu par Napoléon

Canova, Juliette Récamier en Béatrice, 1819-1822, Lyon, MBA. © Lyon, MBA/BassetCette faillite s'accompagne de la méfiance grandissante à son égard du pouvoir en place. Les relations avec la famille Bonaparte avaient pourtant plutôt bien commencé, sous le signe de l'amour même : l'adoration, non partagée du frère de Napoléon Lucien pour Juliette. Elles vont par la suite se dégrader sans doute en grande partie en raison de l'amitié que Juliette manifeste pour Germaine de Staël (1766-1817), opposante politique à Napoléon rencontrée en 1798. En 1807, Juliette la rejoint dans son château de Coppet. L'intimité des deux femmes transparaît bien dans cette remarque de Germaine, charmée de la robe envoyée par sa cadette : « Je dirai à tout le monde que je la tiens de vous et, je verrai tous les hommes soupirer de ce que ce n'est pas vous qui la portez » (3). Napoléon ne tolère pas une telle proximité : en 1812, c'est l'exil pour Juliette.
Dans cette exposition reconnue d'intérêt national qui met en avant la richesse des collections françaises, le visiteur peut ainsi aussi découvrir des pièces venues des musées italiens car pendant cet éloignement forcé de Paris, Juliette séjourne entre autres en Italie en 1813 et 1814. Roi de Naples, Joachim Murat (1767-1815) organise même spécialement en son honneur une fouille sur le fameux site de Pompéi : « Joachim, la reine et toute la cour se rendirent à Pompéi […] la fouille donna quelques beaux objets en bronze » (4) C'est à cette période que Juliette rencontre le célèbre italien Antonio Canova (1757-1822). Sans doute un peu épris, le sculpteur lui offre comme un hommage personnel sa composition intitulée « Les trois Grâces ». Leur bonne entente se trouve un temps écornée quand Canova fait la surprise à Juliette de son portrait sculpté de mémoire. Notre étonnement reste grand encore face à cette oeuvre originale, aujourd'hui intitulée « Juliette Récamier en Béatrice », laissant imaginer celui de Juliette ! Celle-ci n'arrive pas à se reconnaître dans cet ouvrage et pour cause : l'artiste l'a idéalisée, lui donnant un profil à la grecque. Ce léger accroc ne suffira pas à remettre leur amitié en cause.

Une collection assemblée au nom de l’amitié

L'étude consacrée aux cercles de Juliette fait en effet la part belle à la sociabilité, mais aussi à l'amitié. Peut-on parler de collection au sujet des pièces rassemblées par Mme Récamier auprès de ses connaissances au fil des années ? Le terme n'est peut-être pas tout à fait approprié ; ses choix sont semble t-il guidés plus par les amitiés la liant aux artistes ou aux modèles représentés que par des goûts artistiques. Non qu'elle n'en manifeste aucun, mais pour Juliette les arts se présentent avant tout comme le vecteur du souvenir de ses proches. L'exposition a le mérite d'essayer de réunir ces objets conservés avec coeur par Juliette, en se basant notamment sur son testament et la liste des souvenirs distribués après sa mort par sa nièce Amélie Lenormant.
Notons d'ailleurs que l'ensemble des oeuvres montrées dans cette exposition a été rassemblé avec attention, sans qu'aucune pièce majeure en lien avec la figure de Juliette n'ait été oubliée. Les portraits par François Gérard (1770-1837) et David ainsi que les meubles originaux de la chambre de Juliette (5) n'ont malheureusement pas pu être déplacés. L'exposition va même bien au-delà de l'évocation de la seule Mme Récamier, par une galerie d'égéries et de personnalités de cette époque. A l'appui de cette démonstration plus large, des commentaires et lectures de textes très intéressants sont disponibles par audioguides, dont la gratuité du prêt doit être saluée. Cette volonté d'exhaustivité a cependant pour pendant les problèmes d'attribution que soulèvent quelques unes de ces oeuvres (6) et une mise en scène de Juliette dans son milieu qui ne laisse pas toujours la place à une découverte plus intime de la femme.

Une reine de la mode

Chaussure de Juliette Récamier, Union centrale des arts décoratifs © Les Arts Décoratifs/TholanceC'est en visitant la salle réservée aux vêtements que cette intimité nous est peut-être rendue la plus accessible. Sans doute la plus belle de cette rétrospective, cette pièce montre, autour de la fine chaussure de Juliette, robes et accessoires d'époque prêtés pour la plupart par le Musée Galliéra. Heureuse idée muséographique, ces tissus présentés au rez-de-chaussée peuvent être admirés « sous toutes les coutures » depuis le premier étage. Juliette profite de la tendance depuis la fin du XVIIIe siècle à l'allègement de l'habillement ; la femme moderne jouit désormais d'une plus grande liberté de mouvement, en adoptant les robes-chemises de coton blanc. Les formes de celles-ci sont supposées proches des parures portées pendant l'antiquité, période alors en pleine redécouverte.

Mme Récamier arbore presque toujours ce type de robe blanche, associée à une coiffure qualifiée par ses contemporains de « bizarre » et évite les diamants, au profit des perles. Du châle en cachemire, devenu son emblème, elle fait un usage particulier, s'en servant pour effectuer une danse. Amélie Lenormant, se souvient : « Elle aima la danse avec passion pendant quelques années et, à son début dans le monde, elle se faisait un point d'honneur d'arriver au bal la première et de le quitter la dernière » (7). Mme Récamier devient ainsi une gravure de mode au sens figuré, mais aussi propre du terme quand elle apparait sur une planche du Journal des dames et des modes le 6 novembre 1802 (8). Comme le note Jehanne Lajaz, « Juliette n'était pas à la mode, elle avait un style, voire tout simplement du style » et annonçait déjà les « canons esthétiques du romantisme ».  

Une question d’image

Robe à manches longues « en Amadis », époque Directoire, Paris, Galliéra/RicciCar l'image qu'elle renvoie préoccupe Juliette, appartenant à cette haute bourgeoisie à l'origine d'un renouveau des commandes privées, notamment de portraits, après les années révolutionnaires. Lorsque Chinard sculpte le premier buste de Juliette, elle n'a que 21 ans. Elle sera l'une des femmes les plus adulées et les plus représentées de son époque, mais peu de ces effigies remportent ses suffrages. Ses contemporains, ses amis même, ne reconnaissent d'ailleurs que rarement la divine dans ces images. Alors, impossibilité de trouver un artiste à la hauteur de sa beauté ou difficulté à saisir une physionomie réputée changeante ?
Et, si Juliette elle-même était d'une certaine façon à l'origine de cette cacophonie visuelle ? Ne jamais se laisser entièrement saisir par un artiste, ne serait-ce pas un moyen d'entretenir le mystère ? Commissaire général de l'exposition et conservateur des peintures et sculptures du XIXe siècle, Stéphane Paccoud décrit Mme Récamier comme « une véritable stratège du contrôle de son image ». Qu'aurait-elle pensé du film tourné à son sujet par Gaston Ravel en 1928 – projeté, heureuse idée, dans la dernière salle de l'exposition – ? Les souvenirs de Juliette continuent de hanter notre siècle et l'oeuvre de René Magritte (1898-1967). Véhiculés par le biais des bibelots, ils demeurent aussi présents dans l'inconscient populaire ; et la grâce de Juliette de se ressentir jusque sur le timbre de 12 francs édité en 1950, d'après le tableau de François Gérard.

Magritte, Perspective, Madame Récamier de David, 1951, Ottawa, MBA du Canada. © MBA du CanadaComment, autour de Mme Récamier, un tel mythe a-t-il pu se construire et perdurer ? Son secret est peut-être que du séjour à Paris à celui passé à l'Abbaye-aux-Bois (logement reconstitué dans une salle de l'exposition), Juliette reste constante. Constante dans l'image de chasteté qu'elle donne d'elle-même –éloignée de celle des « merveilleuses » (9), souvent jugées frivoles – ; constante également dans son goût pour le style Directoire, tant dans l'aménagement de son intérieur, que dans sa tenue. Mme Récamier fut et restera un symbole de l'art sous le règne de Napoléon : la « dame au sofa », sylphide alanguie, qui n'a pas fini d'inspirer les artistes et de nous faire rêver.

 
Lieu et année de parution :
Paris, 2009.
 
Maison d'édition :
Hazan.
 
Nombre de pages :
271 pages.

Notes

(1) Mme Récamier lègue à Lyon « Les trois grâces » de Canova et la « Corinne au cap Misène » de Gérard.
(2) Le poète grec Anacréon (570-478 av. Jc.) composait des chansons d'amour légères et gracieuses.
(3) Germaine de Staël, Lettres de madame de Staël à madame Récamier, 1952, p. 125.
(4) Amélie Lenormant, Souvenirs et correspondances tirés des papiers de madame Récamier, I, Paris, 1859, p. 247.
(5) Conservés au Musée du Louvre.
(6) La question de l'attribution à Jean-Antoine Gros (1771-1835) du portrait de Mme Récamier conservé à Zagreb est ainsi débattue.
(7) Amélie Lenormant, op. cit., I, Paris, 1859, p. 18.
(8) Eau forte coloriée sur papier, n° 425, Lyon, Musée des tissus.
(9) A ce sujet, voir le catalogue de l'exposition Au temps des merveilleuses, Paris, Musée Carnavalet, 9 mars-12 juin 2005, Paris, Paris-Musées, 2005.
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