Guerre du Mexique (6) : Conclusion

Auteur(s) : GOUTTMAN Alain
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Bilan

Voir l'article précédent : 5. De la déception à l'abandon, le règne de Maximilien Ier
 
Voir le premier article de la série : 1. Les raisons de la Campagne du Mexique (1862-1867)
 
On aurait pu s'attendre à ce que la fin calamiteuse de l'entreprise mexicaine provoquât le sursaut qui aurait peut-être évité au pays la débâcle de 1870 et l'effondrement d'un régime que soutenaient encore – mollement, il est vrai – une large majorité de Français. Il n'y eut malheureusement pas de sursaut.
 
Les pertes subies par les Français au Mexique demeuraient légères et n'affectaient nullement les capacités défensives du pays en dépit des cris que pousserait une opposition radicale prompte à dénoncer « la saignée des hommes » et « la ruine des arsenaux ». Environ 6 500 Français périrent au Mexique, dont 1 650 tués au combat, 4 700 morts de maladie et 300 autres victimes d'accidents ou de causes diverses. Statistiquement, le nombre des morts s'élevait donc à 1 300 par an, un chiffre qu'il faut mettre en correspondance avec le montant du contingent annuel, qui était alors de l'ordre de 250 000 à 300 000 hommes. La guerre avait-elle réellement coûté au pays si cher qu'on le disait ? Au bout du compte, 340 millions de francs, répartis sur une durée de cinq ans, soit un peu plus de 60 millions par an, en un temps où le budget annuel du pays dépassait 2 milliards. C'était plutôt cher, en effet, mais ce n'était pas la ruine : le pays avait les moyens. Ainsi l'emprunt  lancé après la guerre, en 1868, serait-il couvert trente fois.
 
Ce qui aurait dû s'imposer, en revanche, face à une menace prussienne qui grandissait et s'encourageait, en partie, de l'échec militaire français au Mexique, c'était une réforme militaire en profondeur, qui aurait précisément emprunté les voies suivies par le gouvernement et l'état-major de Berlin, afin de mettre sur pied une armée moderne. Mais personne en France, semble-t-il, n'en voulait, sinon l'Empereur lui-même, lucide, en l'occurrence, mais prématurément vieilli et de plus en plus handicapé par sa maladie de la vessie. Confronté à un  personnel politique et militaire obtus, avare de ses deniers et “embourgeoisé” dans le pire sens du terme, il était devenu impuissant à imposer sa volonté de réforme. Et la France, comme devait l'écrire le général Trochu dans une brochure intitulée L'Armée française en 1867, continuerait à croire qu'elle « avait une armée parce qu'elle avait des institutions militaires »…
 
Pourtant, si le pays s'était cassé les dents sur le nationalisme d'un Benito Juarez, que ne pouvait-il craindre, tant diplomatiquement que militairement, de celui d'un Bismarck? À gauche comme à droite, malheureusement, à de très rares exceptions près, on avait la vue courte et on se laissait aller aux délices de la démagogie et de la jouissance du moment. La libéralisation du régime, dont on vit les premiers effets pendant ces années de guerre, jetait alors ses feux dans toutes les directions, sauf dans celle de l'intérêt national bien compris. Et face à la menace extérieure, on se cramponnait obstinément, les uns à un passé glorieux que rendaient pourtant caduc les progrès de la technique et de l'art de la guerre, et les autres à une détestation du régime qui justifiait toutes les utopies et allait jusqu'à souhaiter qu'un cataclysme le balayât… quitte à ce que la France fût balayée avec lui.
 
L'Empereur trouvera bien, pour le seconder efficacement au ministère de la Guerre, un Ney d'Elchingen, mais la loi que celui-ci soutiendra et fera finalement voter ne sera qu'une pâle décoction de celle qu'il avait élaborée et présentée.

Quel empire pour Napoléon IV ?

La France glissait sur une mauvaise pente, mais, signe qu'une société avait épuisé son temps historique, les Français la laissaient glisser.
Quant à l'Empereur lui-même, que pouvait-il?? S'il avait enfin identifié les causes objectives et extérieures de l'échec mexicain, avait-il, pour autant, pris conscience de celles qui lui étaient directement imputables?? Le flou persistant de sa pensée politique, la faiblesse d'une réflexion insuffisamment documentée, sa naïveté face aux manipulateurs, la faiblesse de cette diplomatie en partie double – voire triple – qu'il affectionnait?
 
Rien ne le démontra, en tout état de cause, dans le comportement qui fut le sien par la suite, si ce n'est l'insistance qu'il mit à vouloir faire adopter par le Corps législatif sa grande réforme militaire. Mais cette insistance ne prouvait qu'une chose : que l'Empereur avait pris conscience des forces et, surtout, des faiblesses de son armée. Elle ne traduisait aucun retour sur sa politique étrangère, ni, singulièrement, sur le soutien qu'il avait fourni, sans compter, avec un aveuglement proprement idéologique, aux nationalités en gestation. Il n'était d'ailleurs plus temps de revenir sur elle : il ne restait plus qu'à payer le prix de ses inconséquences. On estimera celles-ci à leur juste valeur lorsque l'on comptera, trois ans plus tard, pour établir un plan de campagne contre la Prusse, sur les fameuses “alliances”. Mais quelles alliances? L'italienne ? Alors que l'Empereur avait permis à Vienne de conserver la Vénétie ! L'autrichienne?? Mais comment François-Joseph aurait-il pu pardonner le coup de poignard de la guerre d'Italie et la passivité française lors de sa propre guerre avec la Prusse ? L'allemande ? Mais, les États du sud de l'Allemagne – Bavière, Hesse, Bade, Wurtemberg – entre Berlin, l'allemande triomphante, et Paris, la française décadente, n'auraient pas eu à hésiter longtemps.
 
Une des plus graves conséquences de l'échec mexicain fut incontestablement la perte de prestige subie, non seulement par le pays, mais aussi – et surtout – par l'Empereur des Français. Comme il semblait loin le temps où l'Europe entière sollicitait sa présence, ses conseils ou son appui ! C'était pourtant celui du Congrès de Paris, en 1856, et il n'y avait guère qu'une dizaine d'années de cela ! Mais tout semblait avoir changé depuis cette date. Et, comme devait l'écrire un contemporain une fois éteints les feux de l'exposition de 1867, l'Empereur, s'il avait « soulevé le monde », donnait le sentiment de l'avoir « laissé retomber ». L'Angleterre le considérait à nouveau avec la plus grande méfiance. La Russie, qui avait récupéré de sa seule initiative les atouts que le Congrès de Paris lui avait retirés, ne voyait aucune raison de compromettre son entente avec Berlin en se rapprochant d'un empire français qui semblait se lézarder. Les plus troublés par ce qu'ils venaient d'observer – autant la passivité des Tuileries lors de la guerre austro-prussienne que l'échec de l'intervention française au Mexique – furent donc les États du sud de l'Allemagne : Bavière, Hesse, Bade, Wurtemberg. Que valaient, à leurs yeux, les promesses françaises de protection contre les ambitions prussiennes alors que Paris venait de laisser Berlin détruire celle que Vienne leur accordait traditionnellement? La déroute mexicaine ne pouvait que leur inspirer davantage encore de méfiance envers l'imprévisible Empereur des Français.
 
En France même, après que le public n'eut cessé d'être, durant des années, continuellement désinformé par une presse largement aux ordres, on découvrit tout à coup l'étendue des mensonges avec lesquels on l'avait fait se tenir tranquille. Et l'opinion en voulut à l'Empereur d'avoir été ainsi traitée comme quantité négligeable.
 
Une autre analyse, enfin, aurait pu inquiéter, elle aussi, quant à l'avenir du régime. La voix rendue aux représentants du peuple s'était fait entendre, pendant la guerre du Mexique, non seulement à propos du bien-fondé de l'entreprise, mais aussi – et peut-être surtout – en matière financière : le strict contrôle comptable que le Corps législatif avait exercé sur les moyens accordés à l'expédition ainsi que sur ceux consentis à un empire mexicain tout juste sorti des limbes avait, d'une part, condamné Maximilien à vivre toujours sans le sou, et d'autre part, irrémédiablement lié les mains de Napoléon III. L'Empereur ne pouvait plus user, en toute souveraineté et à sa convenance – comme pendant les années cinquante – du budget de l'État. De ce simple point de vue, la « grande pensée du règne » n'était plus de son temps. Mais si les grandes pensées, les grandes ambitions et les actions d'éclat, se révélaient désormais anachroniques, n'étaient-elles plus, pour autant, consubstantielles du bonapartisme ? Si l'Empereur devait y renoncer définitivement, quel système de pouvoir lèguerait-il à son fils ? L'empire sur lequel règnerait Napoléon IV pourrait-il n'être qu'un empire à la petite semaine, aux visées boutiquières, auxquels des comptables à lorgnon et manchettes de lustrine dicteraient sa politique ? Dans ce cas, pourquoi pas une république qui, elle, au moins, ne marchanderait pas leurs libertés aux parlementaires et au peuple?
Il y avait là une grave question, qui devait profondément tourmenter, sinon l'Empereur, très affaibli par la maladie qui le rongeait et annihilait sa volonté, du moins l'Impératrice. Et qui, sans doute, lui inspirera l'attitude volontariste – sinon belliciste – qui devait être la sienne en juillet 1870, pour le plus grand malheur du pays.

Encadré Benito Juarez, le vrai fondateur de la République mexicaine

L'homme qui devait présider à la naissance du Mexique moderne est un Indien de pure race zapotèque, originaire d'un petit village de l'État d'Oaxaca, au sud du pays, où il est né le 21 mars 1808. D'abord berger, il est remarqué par son maître d'école qui l'encourage à faire des études. Intelligent, travailleur, il devient avocat, puis gouverneur de l'Etat d'Oaxaca de 1847 à 1852. En 1855, sous un gouvernement libéral, il devient ministre des Cultes et s'attaque à la laïcisation du pays. Président de la République, il sépare l'Église de l'État, supprime les ordres religieux et nationalise les biens du clergé, qui représentaient environ un tiers de la richesse nationale. Devenu président de la République, mais réfugié à la Vera-Cruz, il mène contre les conservateurs la « guerre de trois ans » à l'issue de laquelle, à la fin de 1860, il triomphe des forces conservatrices du général Miramon, qui avaient pris le pouvoir à Mexico. Confronté à l'intervention française, Juarez se révèle un homme de fer. Convaincu de la justesse de sa cause, sûr de lui – et de l'appui des États-Unis, champions du libéralisme – il n'abandonne jamais le combat et, même repoussé jusqu'à quelques dizaines de mètres du rio Grande, ne transfère jamais son gouvernement sur l'autre rive. C'est son combat qui devait fédérer, dans un même élan national, les diverses sensibilités politiques du Mexique, jusqu'à donner naissance (tardivement et à travers bien des difficultés) à une véritable nationalité mexicaine. Il refuse la grâce de Maximilien aux diplomates américains et européens qui la lui demandent – les premiers avec sans doute moins de ferveur que les seconds… –  mais il n'est certes pas pour autant le « monstre » ni le « Barbare » que dénonce toute la presse. En véritable homme d'État, il a une ambition : être celui qui signifie, une bonne fois pour toutes, aux puissances de la « vieille Europe », qu'elles n'ont plus rien à faire sur le sol de la « jeune Amérique ». Et s'inscrire dans la ligne des révolutionnaires français, qui, à l'appel de Danton, avaient, par défi, « jeté à la face des dynasties européennes, une tête de roi ».

Cet article est publié avec l'aimable autorisation de Napoléon III. Le magazine du Second d'Empire et de l'auteur.

 
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Voir le premier article de la série : 1. Les raisons de la Campagne du Mexique (1862-1867)
 
Cet article fait partie du dossier thématique sur la Campagne du Mexique (1861-1867).
 

Titre de revue :
Napoléon III, le magazine du second empire
Numéro de la revue :
9
Numéro de page :
36-38
Mois de publication :
Janv.-mars
Année de publication :
2010
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